Stephan Sieber, PDG de Transporeon (une société Trimble) . Crédit : Trimble
Dans le cadre des nouvelles réglementations européennes pour le verdissement du fret qui sera lancé en juin 2023, l’Union européenne souhaite renforcer la transparence des chaînes d’approvisionnement. Stephan Sieber, PDG de Transporeon, met en exergue l’impact de cette réforme sur les chargeurs, les transporteurs et les prestataires de services logistiques.
L’UE est en mode vert. Une série de réglementations et d’orientations en matière de développement durable, comme le paquet "Greening Freight" (écologisation du fret) qui sera lancé en juin 2023, visent spécifiquement les secteurs de la logistique et du transport. Ce paquet contient notamment le chapitre européen CountEmissions, qui crée une méthodologie commune pour mesurer les émissions de gaz à effet de serre de porte à porte. La réforme du SEQE ,le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, vient également d’être adoptée ; elle vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 62% d’ici 2030 pour certains secteurs.
Le point commun entre ces initiatives est qu’elles mettent l’accent sur l’établissement de rapports sur le statut des entreprises en matière de développement durable. Comment répondre à ces nouvelles exigences et contribuer efficacement à la réduction des émissions ? Pour les chargeurs, les transporteurs et les prestataires de services logistiques, la conformité réglementaire exigera trois choses : des données, des données, et encore des données.
La transparence au cœur des préoccupations de l’UE
Avec ces nouvelles exigences, l’UE vise à améliorer la transparence de la chaîne d’approvisionnement et à inscrire la data dans le processus décisionnel des entreprises. L’hydrogène, les véhicules autonomes et la récupération de la chaleur des gaz d’échappement sont trois mesures de décarbonation que l’on qualifie d’innovantes et de populaires auprès des leaders de l’industrie, mais elles n’ont qu’un impact tangible limité sur la réduction des émissions, du moins à court terme (voir les travaux du professeur David Cebon).
Le seul moyen de séparer le bon grain de l’ivraie est donc de disposer de données et de rapports précis et détaillés, et la prise en compte de tous les scopes d’émission est un prérequis pour garantir une analyse complète.
Déclaration des émissions : une nouvelle donne
Le protocole sur les gaz à effet de serre (un cadre mondial normalisé) répartit les émissions en trois catégories : champ d’application 1, 2 et 3. Les émissions de la catégorie 1 proviennent des actifs appartenant à une entreprise. La deuxième catégorie comprend les émissions indirectes provenant de l’achat d’énergie produite hors site. Enfin, le troisième champ d’application comprend toutes les autres émissions indirectes provenant de la chaîne de valeur en amont et en aval d’une entreprise. C’est de loin la source d’émissions la plus importante pour la plupart des organisations - plus de 70 % de leur empreinte totale en moyenne.
Jusqu’à présent, la plupart des entreprises de l’UE n’ont rendu compte que des émissions des champs d’application 1 et 2, un tiers seulement mesurant leurs émissions du champ d’application 3. La situation est sur le point de changer, puisque les entreprises devront également rendre compte des émissions de la troisième catégorie, de leurs objectifs de réduction, et des progrès accomplis.
Quels impacts pour les chargeurs, les transporteurs et les prestataires de services logistiques ?
À mesure que les exigences en matière de transparence s’intensifient et que les rapports sur le scope 3 deviennent la norme, il est probable que les clients finaux fassent pression sur les logisticiens pour qu’ils décarbonent leurs activités. Il y a deux raisons à cela : les clients voudront réduire leurs propres émissions du scope 3, tout en préservant leur réputation auprès de consommateurs de plus en plus soucieux de l’environnement.
Le transport et les services logistiques sont souvent une source considérable d’émissions de niveau 3 pour les chargeurs. Étant donné qu’ils seront soumis à une pression accrue pour rendre compte de leurs émissions et les réduire, ils devront donner eux aussi la priorité au développement durable. Cela pourrait se traduire par la conclusion de contrats sur la base de leurs pratiques en matière de développement durable, ou même par le paiement d’une prime pour un transport à plus faible émission de carbone.
En outre, en Europe, la grande majorité du fret est encore transportée par la route. Une des voies vers la décarbonation consiste ici à améliorer l’efficacité des véhicules, et l’autre à renforcer l’efficacité des opérations logistiques de transport. Il est évident qu’une combinaison des deux est nécessaire à long terme, mais les technologies des véhicules électriques et de l’hydrogène sont encore relativement immatures et nécessitent des investissements substantiels. Accélérer la digitalisation des opérations logistiques est ici cruciale, tant pour la détection que la réduction des émissions. Elle permet notamment d’aider à réduire le kilométrage à vide, s’attaquer aux temps d’attente, et pallier les points de friction entre la route et l’entrepôt. Par ailleurs, les solutions numériques visant à améliorer l’efficacité peuvent être mises en œuvre dès maintenant à un coût marginal et avec un investissement initial faible.
Tout cela démontre que la mise en œuvre d’un plan de décarbonation solide et d’un processus digitalisé de déclaration des émissions n’est pas seulement une voie écologiquement saine, mais également une démarche commerciale nécessaire.
Mettre la technologie et les réseaux au service de la décarbonation
Garantir l’exactitude des données est essentiel. Les entreprises devront davantage s’appuyer sur des données primaires (principalement télématiques). Actuellement, l’industrie mesure précisément 20 % de ses émissions - scope 1 et 2 - à l’aide de ce type de données, mais elle n’est pas en mesure de calculer le champ les 80 % restants avec le même niveau de précision. Les plateformes de gestion du fret peuvent, dans une certaine mesure, apporter une réponse en s’appuyant sur leur capacité à récolter et analyser en temps réel un large volume de données complexes.
Compte tenu de l’abondance de données impliquées dans les rapports sur le développement durable, les entreprises peuvent encore améliorer la précision et alléger la charge de travail de leurs collaborateurs grâce à l’automatisation des processus de travail. De même, des capacités d’analyse de données sophistiquées permettent aux entreprises d’obtenir des informations en temps réel et de prendre des décisions éclairées tout au long du processus de gestion de la logistique du transport. L’adoption d’une approche en réseau est également pertinente. Elle permet un flux d’informations connecté entre des entreprises par ailleurs disparates et garantit que les émissions ne soient pas mesurées indépendamment d’autres facteurs.
Les expéditeurs, transporteurs et prestataires de services logistiques doivent ainsi travailler ensemble pour rationaliser les processus et s’engager dans le mouvement de transparence sur les données voulues par le cadre européen et nécessaire à la longévité des entreprises.