La mobilisation des salariés s’est imposée comme un levier majeur de transformation des entreprises, souligne une étude de l’Ademe présentée dans le cadre du salon Produrable. Mais face à la lenteur des changements, l’essoufflement menace.
La montée en puissance de l’engagement écologique des salariés est « inédite », observe au salon Produrable Gaëtan Brisepierre, sociologue et auteur de l’étude de l’Ademe portant sur la place des salariés dans la transition écologique des entreprises (1). Publiée en décembre, elle analyse 12 organisations privées qui ont intégré des outils de mobilisation dans leur structure (réseau les Collectifs, plateforme numérique Lakaa, atelier 2tonnes, parcours de Corporate for Change).
Premier constat : la mobilisation écologique émerge pour partie spontanément par le biais de « salariés moteurs » soucieux d’accélérer la transition dans leur entreprise. Ces salariés ont souvent le même profil : ils sont souvent cadres, plutôt jeunes. Après un déclic personnel (voyage, confinement...), ils se sont formés aux enjeux de la crise écologique, et se sont retrouvés face à un dilemme : doivent-ils quitter leur entreprise et bifurquer pour être en accord avec leur engagement ? Ils font finalement le choix de rester. « Ils pensent qu’ils auront un impact plus grand qu’en montant leur petite start-up par exemple, qui mettra du temps à démarrer. Ils croient au levier de l’entreprise », développe le sociologue.
La direction RSE, entre soutien et garde-fou
Les salariés n’ont bien sûr pas le monopole de la mobilisation écologique, puisque celle-ci émerge également sous l’impulsion de la direction de l’entreprise, notamment par le biais de la RSE. « La mobilisation des salariés alimentent surtout les transformations déjà en cours dans l’entreprise », observe le chercheur.
Ces deux types de mobilisation, par le haut et par le bas, se font souvent de concert, mais peinent parfois à s’articuler. La direction RSE « peut être surprise de voir émerger une telle mobilisation, et peut se sentir menacée », explique Gaëtan Brisepierre.
Face à l’appropriation de ces problématiques par les employés, « la direction RSE peut adopter trois postures », continue le sociologue. Soit elle est « facilitatrice », et elle accompagne les salariés, estimant que cette mobilisation apporte une valeur. Soit elle endosse le rôle de « garde-fou » : elle perçoit la mobilisation comme un risque, car elle estime que celle-ci n’est pas en phase avec la stratégie de l’entreprise. Soit la direction RSE est « suiviste » : elle saisit l’opportunité et fait de cette mobilisation une brique de l’entreprise.
Un tremplin pour les salariés
Au niveau de l’organisation, la mobilisation des salariés entraîne une décentralisation de la RSE, avec par exemple la mise en place d’ambassadeurs. « La mobilisation des salariés remet également en cause le modèle managériale hiérarchique, car les dispositifs impliquent une transversalité entre les métiers, les sites… Les salariés, qui n’ont pas l’habitude d’avoir la parole, gagnent en influence ».
Cette affirmation des employés a un impact plus global. « On observe de nouvelles revendications des salariés, qui souhaitent par exemple s’exprimer sur la stratégie de l’entreprise. Les dirigeants ne savent pas encore très bien comment prendre en compte ces revendications, comment se positionner, et cela peut créer tensions », souligne le chercheur.
Or, « l’appui des dirigeants de l’entreprise appuie la solidité de la mobilisation. Une des stratégie est de les faire participer au dispositif, comme à un atelier d’automne», détaille le chercheur.
Des effets positifs mais un « risque d’essoufflement »
La mobilisation impacte globalement positivement les salariés. « Elle alimente la quête de sens au travail, permet de lutter contre l’écoanxiété, amène de la fierté et insuffle une culture partagée de la transition », énumère le chercheur.
Mais elle a aussi des effets plus ambivalents, notamment pour les salariés moteurs. « Si au départ, la mobilisation renforce le sentiment d’appartenance à l’entreprise, la lenteur des changements peut faire naître un sentiment de frustration, et réactualiser le désir de démission », développe-t-il.
Or, ces salariés moteurs sont souvent « des profils à haute valeur ajoutée, souligne le sociologue. L’entreprise n’a pas intérêt à les perdre. » Face au « risque d’essoufflement », « il y a un véritable enjeu de reconnaissance et de valorisation des salariés engagés », explique Gaëtan Brisepierre. Le temps disponible est le « point dur » de la mobilisation. « Le salarié ne dispose presque jamais de temps dédié alors qu’il dédie plusieurs heures par semaines, exploitant les temps morts de son travail », explique le chercheur. Pour lutter contre la démobilisation, le sociologue propose la mise en place d’un « crédit temps écologique ».