Vincent Maillard, président d'Octopus Energy France. Crédit : Octopus Energy
Nous avons les connaissances et les moyens nécessaires pour éviter la catastrophe climatique. Pourtant, presque aucun gouvernement sur la planète ne prend les décisions qui s’imposent, par peur de s’aliéner les marchés ou leurs propres populations. Tribune signée par Vincent Maillard, président d’Octopus Energy France.
Concernant celles-ci, le problème semble plus simple à résoudre : il suffirait d’un petit sursaut d’exemplarité… Ce 22 mai, le gouvernement présentait son “plan d’action” pour le climat. Sans surprise, celui-ci n’a pas convaincu les oppositions ni les ONG, qui déplorent une absence de mesures concrètes et de budgétisation. Certains appellent à “rouvrir le débat”, ou bien à monter une “convention citoyenne”, alors même que 30 000 citoyens ont déjà été consultés l’année dernière par le Ministère de l’Ecologie pour élaborer cette feuille de route.
La transition énergétique semble plus facile à dire qu’à faire ; on s’exprime, on s’oppose, mais on agit le moins possible… D’où vient cette inertie et comment en sortir ?
Nos élites mal aimées
On entend dire que la démocratie n’est pas adaptée face au défi du climat, qui demande des actions immédiates et contraignantes. Ce défaitisme n’est pas très fondé ; les autres régimes politiques ne sont pas plus avancés sur le chemin de la transition - c’est le moins qu’on puisse dire. Le fait est que ni les sociétés démocratiques, ni les pouvoirs autoritaires ne veulent susciter la colère de leur population. Encore moins une révolte.
Le problème tient à la perte de confiance. Dans le monde occidental, une rupture s’est creusée entre les élites et le reste de la population. La France ne fait pas exception, ce que confirment les études sociologiques. Difficile, dans ces conditions, de demander aux citoyens de grands efforts. Faute d’ambition, la classe politique se recroqueville sur des mesures tantôt punitives, tantôt injustes, tantôt inefficaces et, bien souvent, un peu des trois à la fois. Preuves en sont : les limitations de vitesse sur les routes, les zones à Faibles émissions dans les villes ou la taxe carbone à l’origine des Gilets Jaunes.
Des réformes bien plus profondes sont nécessaires, mais rien n’est fait pour préparer les esprits. “L’immense majorité des gens ne se rend pas compte de ce que veut dire aller à la neutralité carbone”, déplorait déjà François-Marie Bréon (physicien et rapporteur du GIEC), en 2019, devant l’assemblée nationale.
Il est grand temps de rétablir la confiance, indispensable à l’action collective. Pour cela, nos élites devront mieux surveiller leurs paroles et leurs actes. Car elles sont en partie responsables de la défiance qu’elles inspirent.
Être exemplaire dans le débat public
Quand on parle d’énergie, les discussions sont souvent inaudibles. Chacun s’enferme dans sa chapelle : la décroissance, la concurrence, le techno-solutionnisme, le nucléaire, les énergies renouvelables… Tout le monde a partiellement raison, mais tout le monde a tort, aussi, de défendre une réponse unique au détriment des autres.
Cette polarisation du débat n’est pas le fruit du hasard. Les réseaux sociaux et le système médiatique y sont pour quelque chose. Surtout, les lobbys industriels ont joué de nos divisions pour éviter à tout prix l’émergence d’un consensus qui leur serait défavorable. On sait comment, outre-atlantique, la Global Climate Coalition ou le Heartland Institute ont politisé la question du climat dans les années 1990 pour en faire un marqueur politique, voire identitaire, recoupant désormais le clivage démocrate-républicain. Ici les choses ne sont pas très différentes et nombre de fondations, d’ONG ou d’experts apparemment neutres sont, en vérité, les VRP d’une solution technique plutôt qu’une autre. Récemment, des chercheurs ont révélé que nos pétroliers nationaux avaient sciemment pollué le débat public dès les années 1980. Il ne s’agit pas de cas à part. Ni d’Histoire ancienne. Le grand récit de la transition énergétique ne peut pas s’écrire dans ces conditions. Pour s’en sortir, il faudra retrouver des espaces de discussion qui soient sains, mais aussi toute une culture du débat rationnel où chacun s’efforce d’être le plus neutre et nuancé possible. Celles et ceux qui s’intéressent au problème de l’énergie se sont longtemps concentrés sur la recherche de solutions ; pas assez, peut-être, à la manière dont ces solutions étaient exprimées, puis reçues par le public.
Est-ce qu’il ne serait pas temps de faire front commun pour aller reconstruire la confiance sur le terrain de la communication ? Nous avons suffisamment de solutions. Nous avons maintenant besoin de nous entendre et de les faire entendre.
Être exemplaire dans sa vie professionnelle et sa vie privée
Pour être audible il faut non seulement être sincère, mais aussi, paraître sincère. Qu’on soit politique, journaliste, universitaire ou chef d’entreprise, comment exiger que notre discours soit pris au sérieux quand il est sans rapport avec nos actes ? Un exemple suffit : le trafic de jets privés croit toujours fortement (+10% depuis l’année dernière). Et pourtant le gouvernement traîne des pieds pour légiférer. Récemment encore, Jean Castex prenait un vol individuel pour simplement se rendre à son bureau de vote, générant l’équivalent de six mois d’émissions de CO2 pour un citoyen moyen ; le même, pourtant, avait publié quelques mois plus tôt une tribune toute vibrante d’émotions, dans laquelle il défendait “une écologie de l’action plutôt que de l’incantation”, déclarant cette cause “l’affaire de tous les citoyens.” Dans le monde économique, aussi, la parole des entreprises a perdu sa crédibilité. Trop de promesses non tenues, trop de greenwashing. Dernier scandale en janvier dernier : une énorme enquête a montré que les systèmes de compensation carbone relevaient, à 90%, d’une vaste fumisterie.
Certains pensent peut-être que les exceptions faites aux “grands de ce monde” sont inévitables et sans conséquences. Mais c’est en demander un peu trop à la nature humaine. Pour susciter l’adhésion, le discours écologique doit être incarné, en premier, par les experts et les décideurs qui le portent. On aurait tort de réduire cet enjeu de communication à de la simple démagogie ; c’est au contraire une condition préliminaire si nous voulons imaginer un avenir commun.
Des personnalités s’engagent déjà dans leur vie, leur travail et le font savoir publiquement. Valérie Masson Delmote (rapporteuse du GIEC), par exemple, revendique son végétarisme. Siân Berry (femme politique britannique) refuse désormais de prendre l’avion, comme les quelques 200 chercheurs signataires du No Fly Climate Sci. Quant à Mark Rutte (premier ministre hollandais), il est apprécié dans son pays pour ses manières modestes et ses déplacements à vélo. De la com’ ? En partie. Mais la com’ est parfois essentielle.
On peut faire toutes ces choses à la fois, et même plus… Pris séparément, ces engagements ne sauveront pas le climat de la planète ; mais ils pourraient bien aider à tempérer le climat social.