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POLITIQUES

Tribune | « Bâtiment bas carbone : le danger d’un "moins disant" européen »

PUBLIÉ LE 9 DÉCEMBRE 2024
CÉCILE DAP, DIRECTRICE DE LCBI, LA LOW CARBON BUILDING INITIATIVE
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Tribune | « Bâtiment bas carbone : le danger d’un  moins disant  européen »
Cécile Dap / Crédits : Pauline de Courreges
Les méthodes de calcul de l’empreinte carbone des bâtiments divergent beaucoup d’un pays de l’Union à l’autre. Pour accélérer la transformation bas carbone de l’immobilier, l’Europe doit absolument se doter d’un cadre d’évaluation robuste et harmonisé, développe dans cette tribune Cécile Dap, directrice de la Low Carbon Building Initiative.

Whole Life-Cycle Carbon emissions (WLC) … Derrière ce concept se cache un élément clé de la décarbonation de l’immobilier en Europe : compter les émissions sur l’entièreté du cycle de vie des bâtiments. Pour tenir ses engagements en matière de décarbonation (neutralité carbone d’ici à 2050, baisse de 55 % des émissions de carbone par rapport 1990 en 2030, baisse de 38 % de la consommation d’énergie finale par rapport à 2007 en 2030), l’Union européenne est dans l’obligation d’agir avec détermination sur le secteur du bâtiment, responsable à lui seul de 39 % des émissions.

Dès 2002, la Commission a produit une directive sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD), entrée en vigueur en janvier 2006 et régulièrement révisée, la plus récente version datant du printemps 2024. Mais la consommation d’énergie d’un bâtiment n’est qu’un aspect de son empreinte carbone, parfois minoritaire car les émissions opérationnelles peuvent représenter moins que les émissions du bâti. Il faut aussi pouvoir évaluer la totalité des émissions de CO2 d’un « objet » bâti, de sa construction à sa fin de vie, et naturellement durant son exploitation. C’est en empruntant cette démarche et en s’inspirant des travaux menés par BBCA en France que LCBI a bâti son propre référentiel européen harmonisé, qui lui permet d’attribuer un label aux bâtiments bas carbone les plus performants.

C’est un processus exigeant qui commande d’évaluer, entres autres, les émissions de carbone produites au cours de la fabrication des matériaux de construction, liées au type d’énergie mobilisé pour le chauffage, l’éclairage, le refroidissement du bâtiment au cours de son exploitation, mais aussi d’estimer le carbone qui sera émis lors des cinquante années de vie à venir du bâtiment. Exigeant, ce calcul n’en est pas moins nécessaire pour ajuster les procédés constructifs aux exigences de réduction rapide de notre impact carbone et identifier, de façon générale, les vecteurs de décarbonation les plus efficaces.  

C’est la raison pour laquelle la directive EPDB a intégré de nouveaux objectifs et, en particulier, celui d’établir d’ici fin 2025 un cadre harmonisé pour le calcul des émissions de carbone sur l’ensemble du cycle de vie et celui de mettre en œuvre, pour tous les nouveaux bâtiments, des valeurs limites nationales de WLC d’ici 2027. À partir de 2028, les États membres devront s’assurer que le potentiel de réchauffement global (GWP, Global Warming Potential) sur le cycle de vie des nouveaux bâtiments d’une surface utile supérieure à 1 000 m², et de tous les bâtiments à partir de 2030, soit calculé et divulgué via le certificat de performance énergétique (EPC).
Pour les acteurs de la construction – investisseurs, promoteurs, utilisateurs –, cette démarche est vertueuse. Mais le diable est dans les détails et en l’occurrence, les détails sont les modes de calculs retenus par les différents pays de l’Union européenne.
Les acteurs de l’immobilier en Europe doivent disposer d’évaluations comparables d’un pays à l’autre. La transparence des méthodes et des hypothèses de calcul du WLC est donc une étape essentielle pour une approche harmonisée à l’échelle européenne. Cela est crucial car les méthodes actuelles d’évaluation divergent en termes de portée et d’hypothèses, compliquant toute comparaison ou toute tentative de définition de ce qu’est un bâtiment bas carbone à l’échelle européenne.

Le risque, dans les discussions qui se déroulent actuellement, est que les divergences entre certains États soient telles que l’on s’oriente vers l’établissement d’un cadre « moins disant », et que l’harmonisation porte sur le plus faible nombre de points communs, laissant beaucoup de marge de manœuvre aux États membres. Ce serait assez préjudiciable pour la France, qui s’est dotée d’une réglementation exigeante avec la RE2020, mais aussi pour les acteurs privés qui ont mis en place avec LCBI des cadres d’évaluation très élaborés.
Cela serait aussi préjudiciable pour l’environnement : dans une période où les besoins en investissement pour décarboner augmentent, il est indispensable que les acteurs financiers puissent comparer l’empreinte carbone des actifs à échelle européenne, facilement et de façon fiable.    
 A titre d’exemple, la méthode d’évaluation des WLC doit absolument prendre en compte tous les modules du cycle de vie d’un bâtiment, sans quoi aucune comparaison de l’empreinte carbone ne sera possible. Il faut également inciter à analyser toutes les parties des bâtiments, et à minima rendre le périmètre d’analyse transparent, sans quoi certains bâtiments seront décrétés « bas carbone » simplement parce que tout n’aura pas été compté...  

On l’aura compris : le sujet n’est pas la compétition entre les modes de calcul à l’échelle européenne. Le véritable enjeu est de disposer, en Europe, d’un cadre d’évaluation robuste, comparable et harmonisé pour faciliter la tâche des investisseurs et réellement pouvoir allouer l’épargne à ceux qui décarbonent. C’est le seul moyen de mettre en œuvre ce vaste mouvement de décarbonation des bâtiments dont l’Europe (et au-delà !) a urgemment besoin. 
 
 
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