L'idée de réduire à la source les gaz à effet de serre domine les réflexions industrielles car, économiquement, elle est souvent la plus logique. Tous les gaz sont concernés et, quel que soit le secteur industriel, trois voies sont à explorer : moins gaspiller, optimiser les procédés et adopter des substituts. On admet par exemple qu'une réduction entre 15 et 20 % des consommations d'énergie est très accessible. Sur les réseaux d'air comprimé, les fuites peuvent atteindre 15 %, sans parler du surdimensionnement des équipements. Dans le domaine du froid, même combat. Un réseau frigorifique en grandes surfaces affiche entre 20 et 30 % de fuites de CFC, HCFC ou HFC. Résultat, la moitié des ventes de gaz frigorigènes servent à compenser les pertes. C'est pourquoi la directive F-Gas a instauré des contraintes dans le contrôle des installations. Selon François Heyndrickx, délégué général de l'Alliance Froid Climatisation Environnement (AFCE), son application devrait se traduire par 20 % de réduction d'ici deux à trois ans, et beaucoup plus après. Dans les équipements électriques, en principe hermétiques, les efforts portent surtout sur la production, le remplissage sur site, la maintenance et la fin de vie des produits. Des préoccupations qui sont aussi d'actualité pour les circuits frigorigènes qui vont devoir passer du HCFC (R22) au HFC. Quelque 50 000 tonnes de gaz sont en jeu. Qualiclimafroid a d'ailleurs ajouté une option « conversion HFCF-HFC » à la qualification existante. L'amélioration des rendements des réactions est aussi une façon de réduire le gaspillage. Les procédés classiques de fabrication des semi-conducteurs (dépôt, gravure, nettoyage) ne consomment que 10 à 30 % des gaz introduits, le reste se perdant dans l'atmosphère. « Une action déterminante a été d'installer des détecteurs de fin de nettoyage des chambres ou de fin de gravure, tout en optimisant le débit des gaz et les temps de réaction », explique Philippe Cholat-Namy, ingénieur environnement-sécurité chez Altis Semiconductor. En cinq ans, le rendement électrique des réfrigérations a aussi progressé de 50 % et on conseille désormais de confiner les fluides frigorigènes à la zone technique, le froid étant véhiculé par de l'eau glacée dans la majorité du réseau. « Les volumes de gaz sont réduits et le contrôle de l'étanchéité facilité », insiste François Heyndrickx. Optimiser, c'est aussi réduire les besoins énergétiques. L'industrie textile le fait en teignant à plus basse température. « Réduire les volumes d'eau contribue aussi à cet effort, car il y a moins d'eau à chauffer », souligne Fanny Fourcade, responsable environnement à l'Institut français du textile (IFTH). Idem pour les procédés enzymatiques de prétraitement des fibres naturelles qui remplacent la voie chimique. Et, en général, la synthèse biologique (ou biotechnologies blanches) en déploiement dans la chimie, est moins énergivore. D'autres gains résultent directement de sauts technologiques. Le Jet Metal Technologies de métallisation de pièces plastiques évite le recours aux bains chauds dans des sels métalliques en projetant directement des réactifs sur la pièce (lire p. 54). De la même manière, un nouveau procédé de production d'éthylène, présenté en juin à la Clean Technology Conference de Boston, s'opère sans air (donc sans CO, CO2 et NOx) grâce à une membrane perméable au seul hydrogène. Dans certains secteurs, les bénéfices sont cependant minces. C'est le cas pour le protoxyde d'azote en production d'acide nitrique qui se forme sur les toiles de platine catalysant la réaction. Des recherches sont certes en cours pour modifier ces toiles ou maintenir le gaz du procédé à haute température afin de décomposer le N2O en N2 (brevet Hydro). Mais, pour ce secteur, l'oxydation thermique en cheminée reste l'option principale. L'Institut régional des matériaux avancés (Irma), basé en Bretagne, a mis au point un catalyseur spécial déjà utilisé sur des gaz concentrés d'une unité de production de Glyoxal et qui sera mis en oeuvre sur une première unité de production d'acide nitrique, à Rouen. Également en difficulté, l'agriculture ne renonce pas aux réductions à la source du méthane. Elle mise sur l'amélioration de la productivité des animaux par la sélection des races, mais aussi sur l'alimentation. Sanders (groupe Glon) vient ainsi de présenter les résultats d'une étude sur des additifs végétaux ou des graisses introduits dans les aliments pour bovins et qui contribuent à réduire les émissions de méthane lors de la digestion. « Les bactéries non méthanogènes sont favorisées et le lait produit est moins chargé en graisses saturées », souligne Jean-Philippe Rousseau, responsable des aliments pour ruminants. Les émissions sont ainsi divisées par deux ou trois selon les formes d'élevage. Tous les secteurs réfléchissent enfin à la substitution des gaz, stimulés par leur coût. Le SF6 perd des parts de marché dans la fonderie au profit de formulations alternatives (dont le retour du SO2). Les semi-conducteurs tirent un double bénéfice de l'utilisation de nouveaux gaz (NF3, le C3F8 ou le C4F8). « Ils sont à moindre effet de serre et surtout moins stables : ils se dissocient mieux sous l'action du plasma, donc le rendement de réaction est meilleur », note Philippe Cholat-Namy. Une des approches récentes consiste même à dissocier les gaz avant leur introduction dans les réacteurs pour n'y introduire que des espèces fluorées. Toutes les applications ne peuvent cependant pas recourir à de nouveaux gaz. L'industrie électronique n'a ainsi identifié aucun substitut au SF6 comme isolant. En réfrigération, le nouveau gaz réfrigérant pour climatisation automobile de Dupont et Honeywell, le HFO, n'est pas approprié pour les réseaux. Même problème dans le textile où on utilise du PFC en bains ou en pulvérisation pour imperméabiliser ou traiter antitache. « En olifugation (traitement antitache), les substituts ne sont pas aussi efficaces et n'affichent pas le même rendu de surface. En revanche, en imperméabilisation, les produits à base de silicone sont intéressants », explique Fanny Fourcade. Le foisonnement de solutions anti-effet de serre ne doit cependant pas faire oublier leurs possibles effets secondaires. Philippe Cholat-Namy rappelle que l'augmentation du rendement dans la fabrication des semi-conducteurs (mais également le traitement thermique des PFC en cheminée) se traduit par davantage de rejets gazeux fluorés (HF) toxiques, dont le traitement se traduit par des rejets liquides fluorés. « Se pose aussi la question de la substitution par des produits éventuellement plus toxiques. Le classement administratif d'un site peut s'en trouver modifié », prévient cet ingénieur. L'industrie du froid est directement confrontée à un tel arbitrage, notamment si elle recourt au CO2 comme fluide frigorigène, opéré à forte pression. Il faut donc hiérarchiser les risques et ne pas oublier non plus les risques technologiques liés à toute innovation majeure.