Le toxicologue et fondateur du Réseau Environnement Santé (RES), André Cicolella, place la crise sanitaire au même plan que le dérèglement climatique, la perte de biodiversité et l’épuisement des ressources naturelles. Son association prépare, avec le Centre national de la fonction publique territoriale, une formation pour les agents des collectivités sur les perturbateurs endocriniens. L’action locale peut efficacement réduire l’exposition à ces polluants chimiques, indépendamment des tergiversations du Parlement sur la date d’interdiction des plastiques à usage unique, assure le scientifique.
A Strasbourg, Bordeaux, Montpellier, des collectifs de parents obtiennent l’abandon des contenants en plastique à la cantine, quand la loi « Egalim » en fixe l’échéance à 2025. Vaut-il mieux batailler à l’échelle locale que s’en remettre à la loi ?
Si la société civile s’empare du sujet, les collectivités mettent les moyens. L’exposition aux perturbateurs endocriniens (PE) peut rapidement s’atténuer, sans attendre un vote national ou une évolution du règlement européen Reach : on en connaît les sources et il existe des substituts. Parmi le millier de PE, le RES met le focus sur les phtalates – cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques. 39 des 40 élus locaux dont on a analysé une mèche de cheveux sont contaminés au DEHP, substance la plus toxique de cette famille.
L’alimentation est la première source d’exposition aux phtalates, qui migrent de l’emballage au contenu. 70 % des petits pots pour bébé en contiennent, avec une concentration triple pour le plastique par rapport au verre. Suivent les sols en PVC qui libèrent du DEHP, composé organique semi-volatil s’amassant dans la poussière. L’asthme est la première pathologie chez les enfants de 5 à 9 ans. Bien qu’interdits dans les cosmétiques en 2009 au niveau européen, on y trouve encore des phtalates. Une étude saoudienne de 2014 en a décelé dans les 47 parfums analysés, du « N° 5 » de Chanel à « J’adore » de Dior.
D’où l’effet cocktail…
En France, 99,6 % des femmes enceintes – et leurs fœtus – sont contaminés par les phtalates, impliqués dans toutes les maladies chroniques (asthme et obésité, notamment) liées à l’exposition durant la grossesse. Centrée sur les maladies infectieuses, la consultation prénatale ignore cette pollution chimique, alors qu’il est facile d’agir sur sa consommation – et moins évident d’échapper à la pollution de l’air.
Développer le bio et écarter le plastique en restauration scolaire est le premier pas qui doit mener à une démarche globale. C’est tout le sens de la charte « Villes et territoires sans PE » portée par le RES depuis octobre 2017 et signée par quelque 200 communes, à commencer par Paris. La ville avait banni des crèches les biberons au bisphénol A début 2010, six mois avant le vote de leur interdiction. Elle utilise aujourd’hui des produits d’entretien exempts d’alkylphénols. La région Ile-de-France signera officiellement le 20 mars et conditionnera à l’adhésion à la charte ses aides aux équipements scolaires et sportifs des communes : ce sera un effet levier extraordinaire.
Comment appréciez-vous la deuxième Stratégie nationale sur les PE (2019-2022) ?
La première (2014-2018) a fait émerger la problématique, la suivante vise à réduire l’exposition aux PE, sans financement adapté. La conviction fait défaut au sein du gouvernement. S’il y a une pression citoyenne, il y aura une réponse politique. Il faut que le prochain plan cancer, qui débutera en 2020, inclue un volet environnemental (PE et pollution atmosphérique), aux côtés des classiques facteurs de risque (tabac, alcool).
André Cicolella, toxicologue et fondateur du Réseau Environnement Santé (RES).