Alejandra Pollak, membre du conseil d’administration d’IFAW et Directrice des opérations au New Standard Institute.
Le mois de la mode vient de se clôturer. Tous les regards se sont tournés début septembre vers le Met Gala de New York, la plus grande soirée du secteur de la mode chaque année. Mais si on regarde au-delà des projecteurs et des défilés de mode, on découvre une scène nettement moins glamour. Alejandra Pollak, membre du conseil d’administration du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) dévoile la face cachée de cette industrie.
L’ensemble du monde de la mode, y compris les médias, les influenceurs et les designers, s’est rendu à New York pour lancer des tendances et, bien sûr, pour voir et être vu. Mais si on regarde au-delà des projecteurs et des défilés de mode, on découvre une scène nettement moins glamour. Une scène dans laquelle New York se reconstruit, se relève et fait face aux vies perdues à cause des inondations record déclenchées par l’ouragan Ida dans la région. Le Met Gala et la reconstruction après la tempête sont des événements très différents, mais ne vous y trompez pas : ils sont indéniablement liés.
Nous sommes tous témoins de plein fouet des ravages du changement climatique. Des saisons d’incendies plus chaudes et plus longues, une sécheresse extrême et des inondations sans précédent ont coûté d’innombrables vies et déplacé des milliers, voire des millions de personnes. IFAW et la communauté de la conservation dans son ensemble ne savent que trop bien que les animaux et la faune sauvage sont confrontés aux mêmes menaces liées au climat et qu’ils continuent de subir une mortalité, une perte d’habitat et une destruction généralisées qui menacent la persistance des espèces. Si tout cela vous indigne et vous terrifie, vous devez vous soucier des vêtements que vous portez et de l’industrie qui les fabrique.
La véritable industrie de l’habillement est loin du glamour dépeint dans les reportages sur les défilés de Paris, Londres, New York et Milan. Elle opère dans l’ombre, loin des yeux du consommateur occidental typique, et n’est presque jamais réglementée. Malgré ses efforts continus pour rester cachée, cette industrie a été révélée comme l’une des plus dommageables au monde pour l’environnement. De nombreuses études estiment que l’industrie de l’habillement est responsable de 4,0 à 8,1 % des émissions mondiales de carbone. Même selon des estimations prudentes, l’industrie de l’habillement est responsable de plus d’émissions de gaz à effet de serre que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni réunis.
75 % de son empreinte carbone se retrouve dans la phase de production du tissu, principalement dominée par la Chine, un pays dont le réseau énergétique est fortement dépendant des combustibles fossiles. De plus, le polyester, la principale fibre dans nos vêtements, est dérivé du pétrole, un combustible fossile. Avec une production de près de 150 milliards de vêtements par an, il est facile de voir comment l’industrie de l’habillement est devenue un acteur majeur du changement climatique.
Pollution des eaux et microfibres
Les chiffres mesurant la pollution réelle de l’eau dans le monde par l’industrie de l’habillement sont rares. Pourtant, même en l’absence de données précises sur l’industrie, tout le monde s’accorde à dire que les engrais, les produits chimiques, les teintures et l’intensité extrême de l’utilisation de l’eau dans le traitement des textiles ont entraîné la pollution des rivières, de l’eau douce et des écosystèmes marins dans le monde entier. Ne cherchez pas plus loin que le Bangladesh, le deuxième plus grand pays exportateur de vêtements au monde. Dhaka, épicentre de l’industrie du vêtement, est située dans un réseau de rivières qui sont régulièrement teintées de la « couleur de la saison » par les eaux usées des usines. Trois de ces rivières ont été déclarées biologiquement mortes.
La pollution de l’eau peut être visible à l’œil nu, mais une crise invisible a un impact sur la vie et les écosystèmes marins : les microplastiques. Lorsque nous pensons à la pollution plastique, nous pensons aux pailles, aux sacs et aux bouteilles en plastique, mais la plupart du plastique que l’on trouve dans nos océans est constitué de minuscules fibres synthétiques invisibles à l’œil nu. Pas moins de 209.000 tonnes de microfibres synthétiques rejoignent l’environnement marin en une seule année, et une étude récente prévient qu’il y aura plus de plastique que de poissons dans nos océans d’ici 2050. Les microfibres qui se détachent de nos vêtements sont suffisamment petites pour passer au travers des filtres des machines à laver et des stations d’épuration des eaux usées. Elles rejoignent nos rivières, nos lacs et nos océans, où les poissons les ingèrent à tous les niveaux de la chaîne alimentaire. En effet, nous mangeons littéralement nos vêtements.
D’autres études sont nécessaires pour déterminer les effets exacts à long terme de l’ingestion de microfibres sur la santé des animaux marins (et sur nous). Les premières études indiquent toutefois qu’elles entraînent des complications digestives qui se traduisent par une croissance limitée et des problèmes de reproduction.
C’est loin de l’objectif de la caméra que les vêtements meurent. La plupart de nos vêtements inutilisés finissent dans les décharges comme déchets textiles qui ne se décomposeront jamais. Le sort réservé aux vêtements donnés qui entrent sur le marché de l’occasion est plus complexe. Une étude menée par The OR Foundation révèle que seuls 10 à 20 % des vêtements collectés sont vendus dans les pays du Nord. L’excédent est expédié en balles et vendu sur les marchés des pays du Sud. Notre consommation accrue et l’élimination de vêtements de faible qualité ont submergé ces marchés et ont décimé les industries locales de l’habillement et de la fabrication. Sur le marché de Kantamanto au Ghana, 40 % des vêtements importés finissent dans des décharges, ce qui provoque une crise environnementale et de gestion des déchets.
Quelles alternatives durables ?
Nous savons désormais que nos vêtements sont nocifs pour la planète, ses habitants et ses animaux. Quelles sont les solutions ? Commençons par identifier ce qui n’est pas la solution : acheter auprès de marques qui se présentent comme durables. Ce n’est souvent rien d’autre que du marketing. Un système permettant de créer une demande pour de nouveaux produits durables sans modifier les modèles commerciaux fondamentaux. Flash info : votre t-shirt en polyester recyclé, même si vous vous sentez bien en l’achetant, ne sauve pas la planète.
C’est une caractéristique de notre système économique capitaliste que de nous qualifier de « consommateurs » avant de nous qualifier de citoyens. La première question que me posent les consommateurs « conscients » nouvellement sensibilisés est la suivante : « Quelles sont les marques durables que je devrais envisager d’acheter ? ». En d’autres termes, « comment puis-je consommer plus durablement ? » plutôt que « comment puis-je consommer moins ? » et « que puis-je faire pour que mes marques préférées soient tenues responsables de leurs impacts ? ». L’idée que nous pouvons consommer « consciemment » pour atteindre un avenir plus durable et que le marché répondra comme par magie à notre consumérisme individuel en adoptant une conduite commerciale plus responsable est un mythe.
Pour assurer la persistance de toutes les espèces animales, y compris des humains, nous devons renoncer à un état d’esprit individualiste et lancer un appel collectif à un changement dans l’industrie de l’habillement. En effet, l’ensemble de notre système économique mondial doit évoluer vers un modèle dans lequel les personnes, les animaux et la planète qu’ils habitent vivent ensemble. Faire plus d’achats, même si les marques prétendent être durables, ne nous permettra pas d’y arriver. La solution réside dans l’action collective et citoyenne.