Dans son livre « Le Grand désordre hormonal, tout ce qui nous empoisonne à notre insu » (Le Cherche-Midi), la journaliste Corinne Lalo tire la sonnette d’alarme sur la contamination généralisée aux produits chimiques et aux perturbateurs endocriniens, à l’instar de la biologiste américaine Rachel Carson 60 ans plus tôt. Rencontre.
Pourquoi avez-vous décidé décrire ce livre ?
Cela fait plus de 35 ans que je suis journaliste, j’ai traité pratiquement tous les sujets environnementaux. Si j’ai fait ce livre, c’est parce que, au bout du compte, je me suis posé la question suivante : qu’est-ce qu’il y a de plus important dans tout ce que tu as vu ? Et pour moi, ce qu’il y a de plus important, c’est la contamination, l’empoisonnement des organismes vivants par les perturbateurs hormonaux. Toutes nos hormones, qui sont les messagères de l’organisme, sont perturbées, et si elles sont perturbées, c’est l’ensemble de notre physiologie qui est déréglée. Il était temps pour moi de tirer la sonnette d’alarme : on est en train de détruire le vivant, en s’attaquant notamment à la reproduction des êtres vivants.
Comment analysez-vous l’évolution de la situation depuis l’alerte lancée en 1962 par Rachel Carson avec son livre « Printemps silencieux » ?
Rachel Carson est en effet la première conscience écologique mondiale. Son livre était extrêmement visionnaire : tout ce qu’elle a écrit se produit actuellement sous nos yeux. A l’époque déjà, elle disait qu’on était à la croisée des chemins : soit on continue « business as usual » et l’on va vers le précipice, soit on emprunte une autre voie, certes plus difficile mais qui nous permettra de rétablir l’équilibre des écosystèmes naturels et de la biodiversité. Qu’avons-nous fait ? Nous avons choisi la voie de la facilité. Soixante ans plus tard, on est exactement dans la même situation, sauf que c’est pire encore, puisque nous vivons actuellement la sixième extinction des espèces. On a perdu 60 ans et on est toujours face au même dilemme : soit on choisit la voie facile et on continue à polluer, soit on choisit la voie difficile et on rétablit la santé.
Pourquoi, selon vous, avons-nous perdu autant de temps ?
Non seulement nous avons perdu du temps mais nous n’avons toujours pas pris la mesure du problème ! C’est à cause des lobbies industriels et de la corruption des politiques. Ces derniers sont inféodés aux lobbies. On est dans un système de corruption généralisé, et ça a empiré depuis 60 ans. La plupart des décisions politiques sont prises au niveau européen, et à Bruxelles les lobbies sont extrêmement puissants, ils ont la porte ouverte à la Commission européenne et ils font tout ce qu’ils veulent. Le Parlement européen n’a pas assez de pouvoir par rapport à la Commission, et les exécutifs nationaux sont en général de mèche avec la Commission, qui elle-même ne défend pas les populations. Il y a un vrai déficit démocratique dans les institutions européennes, ce qui fait que la Commission a un pouvoir démesuré.
A vous lire, on comprend que la pollution chimique est partout. Est-ce qu’il est possible d’échapper aux perturbateurs endocriniens ?
Les perturbateurs endocriniens sont partout. J’explique dans mon livre, sur la base d’articles scientifiques, où ils se trouvent, par quels mécanismes ils agissent et comment les organismes sont contaminés. On trouve des produits chimiques chez 100 % des êtres humains, y compris chez les bébés quand ils naissent. Des scientifiques californiens ont trouvé jusqu’à 200 composés chimiques dans le cordon ombilical des bébés. Les bébés ont déjà un capital de santé entamé à la naissance, ils sont pré-pollués. Ce phénomène se voit dans l’augmentation importante des malformations infantiles, génitales et autres. L’obésité, le diabète et l’autisme, qui se manifestent généralement à l’âge adulte, sont aussi d’origine fœtale. Il faut redonner la santé aux gens d’une façon globale pour qu’ensuite ils soient suffisamment armés d’un point de vue immunitaire pour se défendre contre ce type d’agressions.
Comment pouvons-nous sortir de cette situation mortifère ? Comment rétablir notre équilibre hormonal ?
On peut agir au niveau individuel et au niveau politique. Au niveau politique, il est temps de prendre des mesures beaucoup plus fortes, pour faire en sorte que certains produits chimiques soient purement et simplement interdits – à l’instar du bisphénol A dans les biberons. A titre individuel, il faut slalomer entre les toxiques, du matin au soir, il faut les éviter à tout prix. Il faut réduire sa charge toxique tout au long de la journée. J’explique comment faire dans mon livre.
Au vu de la contamination chimique généralisée, quel est le portrait-robot de l’humain de demain ? Comment l’espèce humaine peut-elle évoluer ?
La question de la disparition de l’être humain se pose avec acuité. Les Américains disent que l’on est engagé dans un compte à rebours final : pour eux, l’être humain va disparaître. Il est clair que, plus on absorbera de produits chimiques dans le corps, plus la reproduction sera problématique. L’avenir est dystopique si l’on ne fait rien. Mais je crois qu’il faut rester optimiste, on peut se préserver soi-même et ses enfants, et ensuite on peut agir politiquement. La priorité des priorités selon moi, c’est la disparation totale des produits chimiques, et nous pouvons agir !