Les bouleversements écologiques en cours bousculent le bien-être et la santé mentale d’un nombre croissant de Français inquiets pour l’avenir de la planète, angoissés à l’idée de ne plus maîtriser leur destin. Ce phénomène contemporain, conceptualisé par Véronique Lapaige, Médecin-chercheur en santé mentale, apparu en 1997, se nomme l’éco-anxiété. Elle fait l’objet de plus en plus de demandes de consultations.
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« L’éco-anxiété n’est pas une maladie »
Cette vulnérabilité aux troubles anxieux, accentuée par l’actualité climatique, résulte avant tout de plusieurs facteurs génétiques, environnementaux, psychologiques ou développementaux. Les épisodes de sécheresse, d’incendies et d’inondations ont eu pour effet de renforcer les interrogations collectives en plus des conséquences morales de la COVID-19. C’est comme si l’humanité avait oublié qu’elle est vulnérable alors qu’elle a dû subir, au cours de son histoire, les effets de l’évolution. Les espèces humaines et animales n’ont pourtant cessé d’être influencées par les grandes mutations développant une adaptation, fruit de la plasticité neuronale, entre autres.
Toujours est-il que cette éco-anxiété n’est pas une maladie. Elle provient d’une décentration avec le présent, d’une anticipation par rapport aux catastrophes climatiques éventuelles. Sans le conscientiser, la personne a produit une réaction adaptative après une période plus ou moins longue de prise de conscience. Elle n’a pas eu l’occasion de la traduire pour lui donner un sens, notamment par la sémantisation. L’éco-anxiété n’a donc rien de pathologique : ce sont nos émotions qui nous conduisent à un état personnel passager insécurisant.
En outre, cette anxiété contemporaine est plus prononcée chez les jeunes (+/- autour de la trentaine), les femmes plus que les hommes. En général, tous les individus qui évoluent dans le secteur de la santé, de l’éducation, au sein des catégories socioprofessionnelles diplômées, sans pour autant avoir de rapport avec le capital économique des personnes. Par ailleurs, la tertiarisation des activités professionnelles et le mode de vie beaucoup plus urbain qu’autrefois, ont renforcé ce sentiment d’impuissance face à la nature.
Thérapie par la parole
Les professionnels de la santé mentale tout comme les coachs en neurosciences sont aujourd’hui en mesure de prendre en charge l’éco-anxiété en inversant le récit du consulté qui présente une charge mentale devenue trop lourde pour la gérer lui-même. Une thérapie brève par la parole viendra renverser la peur constante du futur. Tout d’abord, les adeptes de la résilience proposeront de faire de l’éco-anxiété, une force de changement. Ensuite, pour contourner le récit anxiogène du patient, il sera invité à se réapproprier le présent. C’est-à-dire, à se reconnecter à la nature, à randonner, se promener en forêt ou en montagne, à jardiner. Ces conseils qui semblent d’une banalité évidente, vont lui permettre de sortir de l’idée limitante d’une exploitation nocive de la nature dont il s’accable. De même, l’action peut être réparatrice et ce léger “trauma” peut s’effacer en s’engageant dans une association ou pour des causes liées à la protection de l’environnement.
Parler et agir donnent à la personne les clés pour se trouver, se revaloriser et se faire à nouveau confiance. Là où elle était angoissée et angoissante pour les autres, elle modifie son propre récit. Elle développe un nouveau sentiment d’appartenance pour des centres d’intérêts qui lui font sens. En l’occurrence, elle met en place un processus de transformation ou plus prosaïquement, elle entre en résilience par un développement personnel nouveau et facilité ; ce qui aura pour effet d’augmenter son niveau de bonheur et de bien-être.
En conclusion, l’éco-anxiété n’est pas un phénomène de mode. Elle est à prendre en considération même si elle est encore peu intégrée à la psychologie sociale. Le changement climatique n’est pas neutre sur le plan émotionnel au sens où il peut conduire à l’inaction et à l’isolement alors qu’il doit activer le processus créatif de chacun de nous. C’est-à-dire, atténuer l’individualisme et la compétition qui règnent dans notre société du sprint, au profit d’un meilleur vivre ensemble. Ou d’une société du “care” qui vise à la fois à prendre soin de soi-même, des autres et du monde qui nous entoure.