C’est un secteur qu’on oublie souvent lorsqu’il s’agit de penser la neutralité carbone globale de nos sociétés. Avec 11 milliards de tonnes de marchandises échangées annuellement par voie maritime au niveau international, le commerce maritime représente pourtant environ 3 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales. C’est par exemple plus que l’aviation commerciale, responsable de 2,6 % des émissions de la planète.
Alors que l’Organisation maritime internationale (OMI) s’est engagée à atteindre la neutralité carbone du transport maritime d’ici 2050, le plan d’action pour réduire les émissions de CO2 du secteur va à nouveau être discuté lors du 132ème Conseil de l’OMI du 8 au 12 juillet 2024.
De nombreuses voix, du Sud et du Nord, s’élèvent pour réclamer la mise en place d’une taxe carbone sur le transport maritime, secteur qui échappe aujourd’hui au protocole de Kyoto et n’est donc pas taxé. Une telle taxe irait dans le sens d’un prix mondial uniformisé du carbone et reposerait sur le principe du pollueur-payeur, selon lequel le coût doit être supporté par les acteurs dont les comportements engendrent les émissions. Elle serait donc juste. Elle permettrait de générer des recettes qui pourraient servir à financer des politiques d’adaptation ou atténuation du changement climatique, tout en modifiant les comportements et réduisant les émissions.
Chercheurs en économie, nous avons tâché de voir si ces multiples objectifs pouvaient être atteints simultanément. Nous estimons que si une taxe à 40 dollars par tonne de CO2 peut générer jusqu’à 60 milliards de dollars de recettes, elle ne réduirait les émissions du transport maritime que de 1,75 %, bien loin, du coup, des ambitions de réduction annoncées par l’OMI. De plus, revers de la médaille, la taxe aurait un coût économique de 166 milliards de dollars, du fait de l’augmentation des coûts de transport et de la diminution du pouvoir d’achat des consommateurs. Elle affecterait par ailleurs davantage les pays pauvres que les pays riches. Voyons pourquoi en entrant dans le détail.
Des simulations qui questionnent la raison d’être d’une taxation du transport maritime
En simulant à partir de données de commerce international les recettes fiscales et les effets à court terme de la mise en œuvre d’une taxe carbone de 40 dollars par tonne de CO2 sur les émissions du transport maritime pour 185 pays (40 dollars par tonne est un montant situé dans la fourchette basse des cibles fixées par les experts, correspondant à une hausse d’environ 30 % du prix du fuel lourd sur la base des prix de 2018), notre étude identifie plusieurs points d’attention. Elle questionne à la fois l’effet doublement vertueux, régulièrement avancé pour les taxes environnementales, qui permettrait à la fois de réduire les émissions et financer la transition, et le narratif du pollueur-payeur, qui ferait de la taxe sur le transport maritime une taxe équitable.
Les recettes fiscales générées par cette taxe hypothétique sont estimées entre 19,6 et 59,5 milliards de dollars pour un coût économique ou perte budgétaire de 166 milliards de dollars au niveau mondial. Le ratio coûts/recettes est donc très élevé. Autrement dit, si le seul objectif est de mobiliser des ressources financières, cette taxe n’est sans doute pas le meilleur moyen.
Par ailleurs, l’ampleur de l’effet de la taxe sur la réduction des émissions de carbone du transport maritime semble très éloignée des ambitions de réduction d’émission de GES du secteur maritime telles qu’affichées par l’OMI. Nous estimons que la distance moyenne parcourue en mer par 1$ de marchandise serait réduite de 2,59 % avec la taxe, ce qui entraînerait une réduction des émissions de carbone du transport maritime de 1,75 % environ. Quand nous considérons les réorientations de certains flux commerciaux vers des modes de transport plus intenses en carbone, tels que la transport routier ou aérien, l’effet global de la taxe sur les émissions de carbone dues au commerce serait encore plus modeste (entre -0,72 % et +0,12 %).
De plus, la mise en place d’une taxe carbone maritime affecterait davantage les consommateurs des pays pauvres que ceux des pays riches. Les pays les plus touchés le sont du fait de leur éloignement des marchés mondiaux, qui les rend dépendants du transport maritime pour leurs échanges commerciaux, mais aussi du type de biens, souvent volumineux et de faible valeur, qu’ils échangent. Les petits États insulaires en développement tels que les Comores ou Haïti seraient parmi les plus affectés, de même que des pays vulnérables tels que la Gambie ou la Guinée Bissau. Cette taxe aurait donc un caractère très inéquitable, qui devra être pris en compte dans l’utilisation des recettes qu’elle générera.
Fourni par l’auteur
D’autres études estimant l’effet d’une taxe sur le transport maritime avec d’autres méthodologies confirment l’effet plus important sur les pays les plus pauvres.
Ces résultats, tant en matière de réduction des émissions de carbone du transport maritime que d’impact économique sur les pays pauvres, pointent la nécessité de clarifier les objectifs que l’on souhaite atteindre avec la mise en place d’une taxe carbone sur le transport maritime. Une telle taxe ne peut pas être considérée comme un instrument miracle pour décarboner le secteur et financer la transition énergétique. Ses avantages et inconvénients doivent être mis en perspective avec ceux d’autres taxes internationales à l’étude, telles qu’une taxe carbone sur l’aviation civile, une taxe sur les transactions financières ou encore une taxe sur les ultra-riches. Cette comparaison permettra d’identifier le ou les dispositifs fiscaux les plus équitables, moins coûteux, plus incitatifs ou encore les plus mobilisateurs de ressources.
Comment accompagner la tarification carbone dans ce secteur ?
L’instauration d’un prix mondial du carbone, s’appliquant à tous les secteurs et acteurs, est identifiée comme étant incontournable dans la lutte contre le changement climatique. Ainsi, une taxe carbone sur le transport maritime devrait être accompagnée d’une taxe carbone sur le transport aérien de marchandises pour éviter la réorientation de flux commerciaux vers ce mode de transport beaucoup plus intense en carbone.
Par ailleurs, la mise en place de mécanismes de compensation pour les pays pauvres et vulnérables, en particulier les Pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement, est alignée avec un objectif d’équité, compte tenu de l’effet disproportionné de la taxe sur ces pays.
Enfin, il semble clair que pour atteindre l’objectif de zéro émission de GES à horizon 2050 que l’OMI s’est fixé, la tarification du carbone devra être accompagnée de règles plus directement contraignantes et incitant à une révolution technologique du secteur.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.