Pour rendre les villes moins vulnérables au changement climatique (canicules, inondations…), une voie se dessine : la renaturation, où l’on tire parti de la végétation pour lutter à la fois contre le ruissellement et les températures élevées. Oui, mais quelles solutions choisir ? Un projet de recherche s’est penché sur la question.
Les villes sont particulièrement vulnérables au changement climatique : elles sont à la fois plus vulnérables aux vagues de chaleur du fait de l’effet îlot de chaleur urbain et aux pluies intenses qui peuvent être à l’origine d’inondations. La raison tient aux surfaces minérales (béton, ciment, asphalte…) utilisées. Puisqu’elles facilitent le ruissellement et le stockage de chaleur, elles sont particulièrement sensibles aux extrêmes hydrométéorologiques, qui risquent de s’intensifier sous l’action du changement climatique.
La renaturation du milieu urbain fait partie de ce qu’on appelle aujourd’hui les solutions fondées sur la nature (SFN) : toitures et façades végétalisées, noues (fossés végétalisés dimensionnés pour favoriser l’évacuation de l’eau de ruissellement), arbres de pluie, parcs urbains…
Elle apparaît comme un des leviers permettant cette adaptation climatique et rendre ainsi la ville plus résiliente face aux conséquences du changement climatique. De quoi mieux gérer les flux d’eau et d’énergie, qui doivent interagir avec les surfaces minérales au sein d’un système complexe qu’est le milieu urbain.
Au cœur de ces échanges, on retrouve le processus d’évapotranspiration, par lequel l’eau présente en surface est renvoyée dans l’atmosphère sous forme gazeuse, soit par l’évaporation de l’eau contenue dans les sols, soit par la transpiration des plantes. Parmi ces différentes fonctions, l’évapotranspiration permet : - de faire baisser localement la température car ce processus consomme de l’énergie, - d’autre part de « vidanger » les sols en leur rendant leur capacité d’infiltration.
L’évapotranspiration, difficile à quantifier
Bien qu’il représente une part substantielle du bilan hydrique (environ 50 à 70 %), ce processus d’évapotranspiration reste particulièrement difficile à estimer.
Il a fait l’objet d’études spécifiques lors du projet ANR EVNATURB (EValuation des performances écosystémiques d’une reNATuration du milieu URBain), qui a été porté de 2018 à 2022 par le laboratoire Hydrologie, Météorologie et Complexité (HM&Co) de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, en collaboration avec le Cerema et AgroParisTech.
Des protocoles expérimentaux ont d’abord été développés afin de quantifier ce flux et d’en appréhender la variabilité, tant spatiale que temporelle.
Deux grandes méthodes ont ainsi été comparées :
Les mesures indirectes, en déduisant l’évapotranspiration du bilan énergétique de surface, c’est-à-dire en mesurant tous les autres flux de chaleur parvenant ou quittant la surface, et dont la somme doit être nulle. Par exemple, rayonnement provenant du soleil et de l’atmosphère, réflexion de la surface, flux absorbé ou dissipé par le sol…
Les mesures directes, en utilisant une « chambre à transpiration » (boite de Plexiglas close) développée par le Cerema, que l’on pose temporairement sur un espace végétal et dont la mesure de variation d’humidité à l’intérieur correspond au flux de vapeur d’eau produit par la végétation.
Une base de données pour mieux choisir les végétaux
Les protocoles et méthodes de mesure développés peuvent désormais être facilement reproduits et mis en œuvre sur différents couverts végétaux et types de SFN pour en évaluer le pouvoir évapotranspirant. Les mesures collectées ont ainsi contribué à créer des bases de données qui ont été mises à disposition de la communauté scientifique.
Dans le cadre d’EVNATURB, elles ont été utilisées pour alimenter et valider des modèles numériques de comportement. C’est-à-dire des logiciels capables de simuler le cycle de l’eau (précipitation, infiltration, ruissellement, évapotranspiration…) et les transferts d’énergie à des échelles de temps et d’espace en phase avec les besoins des villes. Ce travail a été fait avec l’aide du Cerema en couplant leur modèle à celui développé à l’École des Ponts.
À l’échelle d’un projet d’aménagement ou d’un quartier, le modèle que nous avons validé permet désormais de calculer et de comprendre : comment les eaux de pluie ruissellent, s’infiltrent et/ou s’accumulent, mais aussi comment les différentes surfaces urbaines se comportent d’un point de vue thermique. Il permet de produire des courbes et cartes de débit, d’inondation, ou de température de l’air ou de surface.
Cet outil est précieux pour les décideurs, puisqu’il permet de tester la mise en œuvre de diverses SFN et la pertinence des choix opérés (type de solution, espèce végétale, localisation… ) pour répondre aux objectifs de gestion des eaux pluviales et d’atténuation des îlots de chaleur.
Quels végétaux dans la ville de demain ?
En parallèle, des travaux d’ingénierie écologique ont été menés en collaboration avec AgroParisTech pour faire le lien entre les caractéristiques des espèces végétales que l’on peut retrouver en ville et les fonctions écosystémiques mises à profit pour les objectifs d’adaptation recherchés. Ainsi, la forme et la surface des feuilles ou le type de système racinaire, appelés traits fonctionnels, vont influencer les capacités d’évapotranspiration ou de rétention d’eau.
Cela a conduit à s’interroger sur les conséquences des changements globaux en cours sur l’évolution des traits fonctionnels des végétaux urbains, leur durabilité, et sur les services écosystémiques qu’ils peuvent rendre. Cette analyse a ainsi permis de fournir de premières recommandations en termes d’espèces à utiliser (ciboulette commune, pâturin sur les toitures végétalisées, par exemple) et de bonnes pratiques (gestion adaptative, écoconception…) pour s’assurer de la pérennité des SFN mises en œuvre. Les résultats obtenus lors du projet sont désormais en cours de valorisation dans le cadre de partenariats de recherche industriels avec des entreprises comme la Soprema ou la RATP, qui développent des stratégies tournées vers l’adaptation au changement climatique.
Ils sont aussi mis en avant dans l’enseignement supérieur pour sensibiliser les jeunes générations à ces solutions d’adaptation, à leur complexité invisible, et à la nécessité de mettre en œuvre des approches pluridisciplinaires, multiéchelles et multiphysiques. C’est notamment le cas à l’École des Ponts, où l’adaptation des villes et les solutions fondées sur la nature sont abordées – entre autres – dans le cadre d’un module dispensé en deuxième année.
Des outils d’aide à la décision pour les collectivités locales
Les travaux de recherche que nous avons menés vont maintenant se poursuivre à travers un nouveau projet ANR, baptisé PENATE (Planifier et Evaluer les Solutions fondées sur la NAture à destination des collectivités TErritoriales), qui va débuter en février 2025. Coordonné par l’ENPC, il sera réalisé en collaboration avec le Cerema, le CSTB, l’INRAE et l’Université Gustave Eiffel afin de proposer une approche interdisciplinaire autour des SFN. Celle-ci mêlera géosciences, ingénierie écologique et politiques publiques. Pour rendre plus concrète cette approche, un certain nombre de collectivités (Lille, Grand Lyon, les Mureaux, Eurométropole de Strasbourg) seront impliquées.
L’idée est de faciliter les échanges entre scientifiques et collectivités sur ces sujets d’adaptation au changement climatique, en développant un prototype d’outil de diagnostic territorial et d’aide à la décision qui facilite la planification d’une renaturation d’un environnement urbain.
Ceci devrait aider à la définition et l’application des textes réglementaires d’aménagement et de développement durable comme le plan local d’urbanisme (PLU), le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ou de l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) de la Loi Climat et Résilience.
Le projet EVNATURB est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.