Face à la multiplication des canicules et inondations, la renaturation des sols s’impose comme un enjeu crucial pour adapter nos villes au changement climatique. Restaurer la fonctionnalité des sols permet en effet de limiter les îlots de chaleur, d’améliorer l’infiltration de l’eau, d’offrir davantage d’espaces verts et de créer des corridors écologiques favorables à la biodiversité.
Le récent règlement européen sur la restauration de la nature en fait d’ailleurs une priorité, en fixant un objectif d’augmentation des espaces verts urbains. En France, cet enjeu s’inscrit dans la stratégie nationale de neutralité écologique visée par l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN).
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Nous publions un document de travail qui apporte des données inédites, collectées directement auprès des acteurs de la renaturation des sols.
Cela nous conduit à évaluer des coûts de la renaturation allant de 50 à 320 euros par mètre carré pour des sols compactés, imperméabilisés ou construits, et jusqu’à 800 euros par mètre carré pour des sols pollués. Notre étude met aussi en lumière la structure et les facteurs de variabilité de ces coûts.
Décomposer la renaturation pour analyser ses coûts
Pour décrypter ces coûts, nous avons décomposé la renaturation des sols en une séquence d’étapes pour les évaluer individuellement. À cet effet, nous avons interrogé une cinquantaine d’acteurs de la filière (entreprises, agences publiques, collectivités locales, associations) et analysé une trentaine de rapports techniques et de devis. Au total, 748 estimations de coûts associées à huit étapes différentes ont été recueillies, puis converties en euro par mètre carré.
Salin, Claron et al. (2024) Fourni par l’auteur
Ces étapes présentent des coûts différenciés. Les « études préalables » (de 1 à 13 €/m2) et « la gestion et le suivi » (de 1 à 29 €/m2) figurent parmi les moins coûteuses. À l’inverse, la « gestion des déchets et terres excavées » (de 26 à 242 €/m2) et surtout « l’assainissement des sols », correspondant aux actions de dépollution (de 35 à 573 €/m2) représentent les dépenses les plus élevées.
Mais ces statistiques cachent d’importantes variabilités selon les techniques utilisées au sein de chaque étape et selon les spécificités de chaque chantier. Par exemple, la présence de bâtiments mitoyens ou de matériaux comme l’amiante peut considérablement alourdir les coûts de la « démolition du bâti ».
De 50 à 800 euros le mètre carré
Ces données permettent d’estimer les coûts d’une diversité d’itinéraires techniques de renaturation. Notre étude présente plusieurs scénarios qui dépendent de l’état initial des sols (construit, revêtu, compacté ou pollué) et de leur état final, couvrant un éventail représentatif de typologies d’opérations de renaturation. Par exemple, la végétalisation des cours d’école (appelées « cours oasis ») consiste à passer d’un sol revêtu à un sol végétalisé. Le coût de chaque scénario résulte de l’addition des coûts médians des étapes impliquées.
Dans la majorité des scénarios, les coûts médians varient de 50 à 320 euros par mètre carré et atteignent plus de 800 euros par mètre carré pour des sols initialement pollués. Mais en cas de contaminations lourdes nécessitant des traitements en décharges spécialisées, les coûts peuvent s’élever à plus de 1 100 euros par mètre carré.
Le degré d’ingénierie écologique mobilisée joue également. Une végétalisation à visée esthétique (avec des arbres matures et un entretien régulier) coûte plus cher qu’une restauration écologique ambitieuse, impliquant la recréation d’habitats naturels et un suivi écologique de long terme, elle-même plus onéreuse qu’une restauration partielle.
Cependant, à trajectoire de renaturation similaire, le coût global présente des variabilités importantes. Il dépend des caractéristiques du site (hétérogénéité des sols, niveau de contamination) et des techniques utilisées. La plupart des techniques de renaturation bénéficient d’économies d’échelle : plus la surface renaturée est grande, plus le coût au mètre carré diminue. La temporalité du projet joue évidemment un rôle majeur : un délai court nécessite généralement des ressources importantes entraînant les coûts à la hausse. Enfin, la localisation géographique influence aussi le coût de la main-d’œuvre et des matériaux (comme la terre végétale) ou les frais de gestion des déchets, qui sont tributaires de la proximité des sites de traitement.
À l’avenir, nos estimations pourraient être affinées par des données complémentaires. Pour une vision plus complète, il faudrait également intégrer d’autres composantes directes ou indirectes de la renaturation des sols (planification, maîtrise foncière, expertise juridique, etc.). Il serait en outre pertinent d’analyser les interactions entre les différentes étapes et de quantifier précisément l’influence des facteurs de variabilité des coûts.
Enfin, une étude prospective pourrait examiner comment la multiplication des projets de renaturation affectera les coûts qui pourraient diminuer grâce à des effets d’apprentissage ou augmenter en raison de la raréfaction de la terre végétale ou des sites de stockage des déchets. Ces effets dépendront du développement de nouvelles techniques, comme le réemploi et la valorisation des terres excavées.
Des données clés pour la transition des territoires
Cette base de données de coûts, avec les scénarios de renaturation qu’elle permet de modéliser, est un outil précieux pour de nombreux acteurs de l’aménagement du territoire. Elle aide à estimer les coûts de renaturation d’un site et de les comparer avec ceux de la construction ou de la réhabilitation d’espaces équivalents. Dans le cadre de la planification municipale ou régionale, elle offre des repères pour évaluer les investissements nécessaires à une trajectoire de renaturation ou pour prioriser les zones à renaturer.
Ces résultats constituent également une brique de base pour la recherche et le développement d’outils opérationnels consacrés à la mise en œuvre de l’objectif ZAN. Plusieurs initiatives expérimentales proposent ainsi d’intégrer les coûts de renaturation dans la chaîne de valeur de l’aménagement urbain, comme le « bilan d’opération de transition foncière » ou la « charge foncière verte », portés respectivement par l’Institut de la transition foncière et par l’Établissement public foncier d’Île-de-France.
À l’échelle nationale, ces données pourraient aussi nourrir les réflexions sur une fiscalité liée à l’artificialisation des sols, sur la mise en place de quotas d’artificialisation échangeables ou encore sur l’intégration de la dette écologique que génère l’artificialisation des sols dans différents cadres comptables.
Il convient toutefois de préciser que les données que nous avons recueillies concernent des opérations de renaturation qui ne s’inscrivaient pas dans le cadre réglementaire de la compensation de l’artificialisation, ni dans celui d’une compensation écologique. De telles obligations, qui impliquent une équivalence en nature plus exigeante, pourraient tirer les coûts à la hausse.
Si nos travaux peuvent nourrir les initiatives visant à valoriser la santé des sols dans l’aménagement du territoire, ils montrent aussi le coût élevé de la restauration. Du reste, celle-ci est un processus incertain, long, énergivore et confronté à des contraintes écologiques, sociales et politiques. Tous les sols dégradés ne peuvent pas être renaturés, et ceux qui le sont ne retrouvent jamais pleinement leur état d’origine. Il est donc crucial d’éviter au maximum la détérioration des sols : mieux vaut prévenir que guérir !
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.