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Accueil > Actualités > Biodiversité > Redéfinition de la voie de fait : les conséquences en matière immobilière
BIODIVERSITÉ

Redéfinition de la voie de fait : les conséquences en matière immobilière

PUBLIÉ LE 1er NOVEMBRE 2013
LA RÉDACTION
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I. Un problème récurrent : la confusion entre voie de fait et emprise irrégulière Il est depuis longtemps admis, par dérogation au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, qu'un acte administratif doit être soumis au contrôle du juge judiciaire lorsqu'il est constitutif d'une voie de fait, cette qualification étant retenue lorsque l'administration, « d'une part, a pris une décision manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir lui appartenant ou bien a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière et, d'autre part, a ainsi porté une atteinte grave à une liberté fondamentale ou au droit de propriété » (1). Mais cette jurisprudence traditionnelle, source de complications (A), a fait l'objet d'une importante révision suite à une décision du Tribunal des conflits en date du 27 juin 2013 (B). A. Une solution traditionnelle, source de complications Pour comprendre la raison de la rénovation de la voie de fait, il faut brièvement rappeler quel était jusqu'ici l'état du droit (1) et quels problèmes concrets celui-ci soulevait (2). 1. Lorsque l'administration entend édifier un ouvrage sur un terrain qui ne lui appartient pas – et à défaut d'un accord amiable avec le légitime propriétaire – il lui faut mettre en œuvre une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, à moins qu'elle ne puisse prétendre au bénéfice d'une servitude administrative spécifique (comme la servitude permettant la pose de canalisations publiques d'eau et d'assainissement, instituée aux articles L. 152-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime). Si, pour une raison quelconque, la procédure est méconnue, l'installation de l'ouvrage est irrégulière, causant ainsi une atteinte aux droits du propriétaire ; la qualification de voie de fait est donc susceptible d'être retenue. Mais la question a été quelque peu obscurcie en raison de l'apparition d'une autre notion : l'emprise irrégulière. À l'origine, voie de fait et emprise irrégulière n'étaient pas clairement séparées par la doctrine ; beaucoup d'auteurs y voyaient deux notions voisines voire synonymes, les juridictions de l'ordre judiciaire étant également compétentes pour statuer en matière d'emprise irrégulière. Tout changea lorsque le régime juridique applicable aux ouvrages publics fut remis en cause. En effet, jusqu'à une date récente, les conclusions tendant à la démolition ou à la dépose d'un ouvrage installé de manière irrégulière par l'administration n'étaient admises que si l'ouvrage ne pouvait être qualifié d'ouvrage public (2). Car dès que cette qualification est retenue, l'ouvrage bénéficie d'une protection que n'ont pas les constructions privées, l'ouvrage public étant traditionnellement réputé intangible. Aussi, et conformément à l'adage « ouvrage public mal planté ne se détruit pas » était-il interdit au juge judiciaire de prescrire une mesure de nature à porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l'intégrité ou au fonctionnement de l'ouvrage public (3) et ce, au mépris du respect dû à la propriété privée. Or, dans la mesure où ce droit est constitutionnellement garanti, une telle solution ne pouvait raisonnablement perdurer – surtout après que la Cour de cassation eut rappelé qu'un transfert de propriété non demandé par le propriétaire ne pouvait intervenir qu'à la suite d'une procédure d'expropriation régulière (4). Aussi le Tribunal des conflits a-t-il été amené à réformer en profondeur l'état du droit, de telle manière qu'on peut dire, avec Pierre Sablière, qu'aujourd'hui « ouvrage public mal planté mais en voie de régularisation appropriée ne se détruit pas ». Car s'il est désormais possible de porter atteinte à un ouvrage public et d'en obtenir la dépose, ce n'est qu'à la condition que l'administration ait l'opportunité de régulariser ladite emprise, la démolition de l'ouvrage ne pouvant être obtenue que si l'administration s'est abstenue de rectifier son erreur (5). 2. Largement saluée, cette importante avancée jurisprudentielle a néanmoins continué de poser des difficultés aux propriétaires dépossédés, ce contentieux étant réparti entre les deux ordres de juridiction. Le Tribunal des conflits a en effet jugé que « les conclusions dirigées contre le refus de supprimer ou de dépla-cer un ouvrage public et, le cas échéant à ce que soit ordonné ce déplacement ou cette suppression, relèvent par nature de la compétence du juge administratif », les juridictions de l'ordre judiciaire étant toutefois compétentes en matière de voie de fait lorsque « la réalisation de l'ouvrage procède d'un acte qui est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'autorité administrative et qu'aucune procédure de régularisation appropriée n'a été engagée ». La distinction à opérer pour savoir quel juge saisir est donc la suivante : ou bien l'emprise est constitutive d'une voie de fait, et ce sont les tribunaux civils qui sont compétents pour ordonner la démolition de l'ouvrage litigieux ; ou bien l'emprise n'est pas constitutive d'une voie de fait, et c'est la juridiction administrative qu'il convient de saisir. Malheureusement, la pratique a démontré que les justiciables – mal conseillés ? – avaient tendance à invoquer de manière quasi-systématique l'existence d'une voie de fait en lieu et place d'une emprise irrégulière, ce qui donnait lieu à d'interminables discussions sur le point de savoir si l'emprise résultait d'une décision manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'administration… Une difficulté que supprime la nouvelle jurisprudence. B. Un régime juridique rationalisé, gage de sécurité juridique Les difficultés nées de la jurisprudence traditionnelle devraient disparaître grâce à la reconfiguration de la voie de fait, telle qu'elle résulte de la décision du Tribunal des conflits en date du 27 juin 2013. L'adoption d'un nouvel élément constitutif de l'emprise irrégulière (1) va en effet réduire le périmètre de la voie de fait, en apportant une grille de lecture plus lisible aux propriétaires victimes d'une emprise irrégulière (2). 1. Le 27 juin 2013, le Tribunal des conflits a modifié les critères d'identification de la voie de fait, observant qu'elle ne peut être constituée que lorsque l'administration « soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière (…) aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets (…) d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative » (6). La différence avec la jurisprudence antérieure tient donc à l'exigence, nouvelle, d'une « extinction » du droit de propriété et non plus simplement d'une « atteinte » à ce droit. Il en résulte que la simple dépossession du propriétaire ne peut plus, aujourd'hui, être considérée comme révélant une voie de fait dans la mesure où le propriétaire conserve son titre sur le fonds où a été irrégulièrement implanté l'ouvrage public litigieux. Par voie de conséquence, les seules hypothèses qui pourront continuer à se voir appliquer le régime de la voie de fait seront les atteintes les plus graves à la propriété privée – et essentiellement la propriété mobilière –, ayant pour effet de supprimer le titre de propriété. Car le Tribunal des conflits a tenu à préciser que « l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public (…) n'aboutit pas (…) à l'extinction d'un droit de propriété ». Il appartiendra donc aux justiciables et à leurs conseils de prendre garde aux jurisprudences, aujourd'hui dépassées, où une simple dépossession pouvait être qualifiée de voie de fait, notamment lorsque l'administration ne pouvait justifier d'aucun titre l'habilitant à édifier ledit ouvrage (7). 2. En renforçant ses exigences quant aux éléments constitutifs de la voie de fait, le Tribunal des conflits en vient non pas à supprimer cette institution – qui, bien que résiduelle, conserve toute son utilité – mais à la distinguer clairement de l'emprise irrégulière, dont le contentieux est désormais clairement imparti aux juridictions administratives. On lit en effet dans la décision du Tribunal des conflits que « l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration ». Les discussions portées devant le juge au sujet de l'existence d'un pouvoir dont disposerait l'administration, et qui viraient parfois au byzantinisme juridique (8) – en dépit du sérieux effort de simplification entrepris depuis quelques années, notamment en matière d'empiétement (9) –, n'ont désormais plus lieu d'être : sous réserve, donc, de l'hypothèse où il serait porté atteinte au titre même du droit de propriété (solution clairement distincte de l'emprise telle qu'elle est traditionnellement entendue) (10) l'emprise est de facto considérée comme se rattachant à un pouvoir de l'administration : son contentieux relève ainsi de la seule juridiction administrative. II. Le nouveau contentieux de l'emprise irrégulière En cas de dépossession résultant d'une emprise irrégulière, seul le juge administratif peut être saisi de conclusions tendant à la démolition de l'ouvrage (A) ; mais on notera que le juge judiciaire conserve sa compétence de principe en matière indemnitaire (B). A. Les conclusions tendant à la remise en l'état du site, une compétence retrouvée par le juge administratif Si le propriétaire lésé peut ordonner la dépose de l'installation litigieuse, il lui faut garder à l'esprit, d'une part, que l'administration a toujours la possibilité de régulariser l'emprise et, d'autre part, que le juge administratif ne fera droit à sa demande qu'au terme d'un bilan coûts/avantages mettant en balance les divers intérêts en présence. Cette approche en deux temps amène à entreprendre l'étude de la procédure à suivre (1) avant d'envisager les arguments pris en compte par le juge lorsqu'il statue sur l'utilité de la démolition (2). 1. Lorsque l'ouvrage public litigieux, déjà construit, est affecté à une mission de service public, le juge administratif peut en ordonner la démolition. Il faut toutefois rappeler que, dans un premier temps, le Conseil d'État avait paru limiter cette hypothèse aux demandes fondées sur l'article L. 911-4 du Code de justice administrative, c'est-à-dire aux cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt précédemment rendu. Cela revenait à dire qu'il appartenait au propriétaire d'obtenir du juge administratif une décision constatant l'emprise irrégulière, suite à quoi (et en l'absence de réaction de l'administration) il lui fallait à nouveau saisir le juge pour qu'il tire les conséquences de la précédente décision. Car c'est au juge de l'exécution – et non au juge du principal – qu'il revient de se prononcer sur le sort de l'ouvrage. En effet « lorsque le juge administratif est saisi d'une demande d'exécution d'une décision juridictionnelle dont il résulte qu'un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'exécution de cette décision implique qu'il ordonne la démolition de cet ouvrage, de rechercher (…) si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible » (11). Mais cette solution a heureusement été transposée aux demandes fondées sur l'article L. 911-1 du Code de justice administrative : le propriétaire peut donc demander à l'administration de démolir l'ouvrage puis, en cas de refus, saisir le juge administratif pour qu'il annule cette décision et enjoigne à l'administration de remettre en état le site. C'est à ce moment que le juge recherchera si une régularisation appropriée est possible avant, le cas échéant, de vérifier si la démolition est ou non justifiée (12). Lorsque l'ouvrage public litigieux, en construction, n'est pas encore affecté à une mission de service public ou à l'usage du public, les choses devraient être quelque peu différentes dans la mesure où l'un des critères constitutifs de la notion d'ouvrage public – l'affectation – n'est par définition pas rempli. Mais, s'agissant d'un ouvrage public « en devenir » (d'après la formule du rapporteur public Claire Legras), le juge administratif considère que lorsque cette installation est irrégulièrement édifiée, « il appartient au juge administratif, qu'il soit saisi de conclusions tendant à ce qu'il prescrive les mesures d'exécution qu'implique nécessairement sa décision ou d'une demande d'exécution d'une décision précédemment rendue, d'ordonner dans tous les cas l'interruption des travaux ; (…) il lui incombe également, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'exécution de cette décision implique qu'il ordonne la démolition totale ou partielle de ces constructions » (13). Dans ces conditions, la prétendue « complexité » de la procédure suivie devant le juge administratif, longtemps dénoncée, n'apparaît pas avérée surtout si l'on songe à la possibilité qu'a le propriétaire de saisir le juge des référés sur le fondement notamment de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (14). L'essentiel n'est donc plus de connaître le moment de l'intervention du juge de l'exécution, mais le type de contrôle qu'il exerce. 2. Le point commun de toutes les décisions aujourd'hui rendues par le juge administratif tient au bilan coûts/avantages incombant au juge de l'exécution. Il appartient en effet à celui-ci « de rechercher, d'abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible ; (…) dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d'une part, les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général » (15). On sait que le juge a d'ores et déjà ordonné la dépose d'une ligne électrique (16) ; dans un contentieux d'urbanisme où prédominaient des considérations environnementales, il a même estimé que la démolition d'une installation d'un port de plaisance ne portait pas une atteinte excessive à l'intérêt général. L'administration n'avait en effet pas démontré « qu'eu égard à l'intérêt public qui s'attache au maintien de la biodiversité et à la cessation de l'atteinte significative portée à l'unité d'un espace naturel fragile, la suppression de cet ouvrage, qui peut être effectuée pour un coût modéré, n'entraîne pas, même si son installation a représenté un coût financier, d'atteinte excessive à l'intérêt général » (17). Pour le dire autrement : la seule circonstance que la démolition présente un coût pour la collectivité ne suffit pas pour sauver l'ouvrage irrégulièrement édifié ; et si l'administration entend le préserver, il lui faut avancer l'existence d'un autre argument. C'est ainsi – pour reprendre un cas similaire – qu'il a été jugé que la démolition d'une cale d'accès à la mer portait une atteinte excessive à l'intérêt général compte tenu de « l'intérêt certain pour la sécurité des exploitants, des plaisanciers et des estivants » que cette installation présente (18). C'est donc bien à un contrôle approfondi de l'utilité de la démolition de l'ouvrage – et de son maintien – auquel se livre le juge. B. Les conclusions indemnitaires, une compétence exclusive du juge judiciaire Si les conclusions aux fins de remise en état du site relèvent du juge administratif, le juge judiciaire conserve sa compétence en matière indemnitaire. Il aurait certes été plus simple de confier au juge administratif un bloc de compétences complet mais le Conseil constitutionnel a constamment réaffirmé la compétence du juge judiciaire pour tout ce qui a trait à la réparation des dommages causés par une dépossession (19). Il en résulte que les juridictions de l'ordre judiciaire sont seules compétentes pour statuer sur la réparation de l'ensemble des préjudices découlant d'une atteinte à la propriété immobilière et, à ce titre, pour accueillir les demandes indemnitaires du propriétaire dépossédé (20). Si le juge administratif était malgré tout saisi de conclusions en ce sens, il ne pourrait faire aucun droit à la demande du justiciable car il lui appartient exclusivement de vérifier la régularité de l'emprise, notamment lorsque l'appréciation du caractère régulier ou irrégulier de l'emprise soulève une difficulté sérieuse (21). Si la question porte sur autre chose, le juge administratif devra rejeter la demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître (22), étant entendu que « si la juridiction administrative est tenue de se prononcer sur les questions préjudicielles qui lui sont renvoyées par l'autorité judiciaire, il est fait exception à cette règle au cas où la juridiction administrative est elle-même incompétente, soit totalement, soit seulement à titre partiel, pour connaître de la question préjudicielle soumise à son examen » (23). CONCLUSION Il semble qu'on puisse dire aujourd'hui que si la situation du propriétaire victime d'une emprise irrégulière continue de poser problème, il n'aura au moins plus de difficultés pour se retrouver dans ce qui pouvait jusqu'ici s'apparenter à un « labyrinthe contentieux » : au juge administratif le contentieux de la remise en l'état, et au juge judiciaire, celui de l'indemnisation – une configuration perpétuant l'esprit de la théorie classique, tout en conduisant à des solutions pratiques parfois radicalement différentes de ce qu'elles pouvaient être. Comme quoi, « plus ça change, plus ça sera la même chose !
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