Dans cette tribune, Maggie Slowik, directrice industrielle chez IFS, éditeur mondial de solutions logicielles d’entreprise, réalise un état des lieux de la décarbonation industrielle.
Les industriels sont dans l’obligation de réduire leur empreinte carbone et leurs émissions de CO2, en particulier en Europe où le cadre réglementaire évolue à grande vitesse. Où ces entreprises en sont-elles et à quels défis sont-elles confrontées ?
L’ESG comme nouvelle normalité
La crise et ses effets considérables à l’échelle mondiale ont accentué des tendances préexistantes, allant dans le sens du respect et de la communication de la performance ESG. Le cadre réglementaire se durcit, notamment en Europe. La directive CSRD va compléter et réviser la directive NFRD de l’UE relative à la publication des informations extra-financières. Les entreprises seront tenues d’établir chaque année, à partir de 2025, un rapport de durabilité selon les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards), dans un format électronique standard.
La pandémie a renforcé les arguments stratégiques favorables aux investissements durables. La plupart des entreprises ont déjà engagé des initiatives, en manifestant un intérêt croissant pour la visibilité et la traçabilité des supply chains, notamment pour mieux cerner les émissions Scope 3. A court terme, les nouvelles règles CSRD risqueraient d’entraver la compétitivité des entreprises. Sur le moyen à long terme, cette pression réglementaire pourrait contribuer à générer une plus grande valeur durable.
Le problème des données
L’un des principaux défis a trait aux données concernant le Scope des émissions. Il est très complexe de recueillir toutes les données pertinentes auprès des diverses sources et de renseigner des rapports légaux faisant intervenir des centaines de KPI. Le calcul des émissions Scope 1 et 2 est relativement simple car celles-ci sont directement produites et maîtrisées par les entreprises et qu’il fait appel à un nombre gérable de méthodes. Les données Scope 3 impliquent de calculer la part substantielle des émissions relevant du Scope 3 pour les activités industrielles, réparties dans 15 catégories différentes. Chacune fait l’objet de ses propres méthodes de calcul et dépend de données externes. Bien qu’il manque de précision et limite la capacité d’action, son calcul est un bon point de départ pour les entreprises en phase initiale de décarbonation dès lors que les chiffres sont cohérents dans l’optique du reporting.
Adopter des modèles économiques intégrant la durabilité
Les industriels sont amenés à revoir à terme leurs modes de fonctionnement afin d’incorporer la durabilité dans le processus d’un bout à l’autre, à commencer par la conception du produit où l’impact environnemental peut déjà être déterminé et infléchi dans une large mesure. Un représentant d’un fabricant de composants fait part du succès rencontré par son entreprise avec un nouveau modèle économique qui donne une « seconde vie » à des circuits électroniques fournis à des clients expressément intéressés par des produits reconditionnés ou remanufacturés. Cette démarche aide à réduire l’empreinte carbone totale par rapport à des produits neufs.Les entreprises prennent de plus en plus conscience que de nouveaux modèles économiques transformatifs sont non seulement source d’innovation mais offrent aussi le potentiel d’améliorer la compétitivité et d’attirer et fidéliser les compétences.
La solution de ce problème mondial est complexe, vaste et appelée à évoluer pour les générations à venir. Il est certain que la technologie jouera un rôle déterminant. Elle aidera les entreprises à gagner en productivité et en efficacité, à réaliser des économies, à réduire leurs déchets et leur consommation de ressources et, peut-être plus important encore, à analyser et suivre leurs progrès. En outre, le marché de l’offre technologique sera en mesure de fournir non seulement des logiciels mais aussi de l’expertise, des compétences et des éclairages à l’heure où la majorité des industriels ne disposent pas des compétences numériques et écologiques adéquates en interne. À l’avenir, les entreprises vont devoir investir dans le développement de nouvelles compétences « vertes », notamment en matière d’efficacité des ressources, de conception durable des produits et des processus, de décarbonation, etc.
L’essentiel est d’aller de l’avant
De nombreuses entreprises se sont déjà engagées sur la voie de la décarbonation et conviennent que le sujet ne fera que prendre de l’ampleur. Les industriels français sont très au fait des réglementations et initiatives spécifiques à différents pays et, dans certains cas, les premiers succès inspirent et motivent d’autres régions, divisions de l’entreprise. La France est le pays où l’industrie impulse la plupart de nos initiatives de durabilité. Cela atteste du fait qu’une entreprise plus responsable et plus verte peut également être rentable car elle dégage des gains d’efficacité bien plus importants et s’ouvre automatiquement davantage à l’innovation et à la collaboration.
Il n’existe pas de solution universelle car chaque parcours est différent. L’essentiel est de continuer à aller de l’avant, de dépasser les échecs en investissant plus et, surtout, d’apprendre à collaborer tout au long de la chaîne de valeur. Seul un écosystème collaboratif pourra améliorer la transparence, la précision et l’accessibilité des données relatives aux émissions, ce qui est indispensable sur la voie de la décarbonation.