Alimenté par la montée des préoccupations écologiques et la question des modèles économiques durables, le concept d’entreprise régénérative est de plus en plus visible. Derrière cet engouement, on décèle déjà l’effet buzzword. Si certaines entreprises en font une utilisation abusive, d’autres s’engagent avec sincérité dans cette démarche qui n’a rien d’anodin puisqu’elle suppose une transformation profonde du modèle économique. Mais que signifie réellement cette notion ? Surtout, est-elle réellement compatible avec le monde de l’entreprise ?, s’interroge dans cette tribune Auriane Clostre, directrice sustainability chez Stim.
Pour y voir plus clair, un premier référentiel vient de voir le jour sous la forme d’une spécification Afnor. Initié par une vingtaine d’acteurs français, parmi lesquels des entreprises, des collectivités et des universités, ce texte pose les fondamentaux d’un modèle encore balbutiant. Cette première normalisation définit l’économie régénérative comme " un modèle d’activités agissant pour l’intégrité du vivant, (…) et soutenant la vitalité des écosystèmes écologiques et sociaux (…). Sa création de valeur se caractérise par une prospérité écologique, sociale et économique, en intégrant le renouvellement continu (…)"
Ainsi, une entreprise régénérative ne cherche pas à faire “moins de mal” en limitant ou en compensant ses impacts environnementaux, mais à faire “plus de bien” en réparant et renforçant les écosystèmes dans lesquels elle opère. Autrement dit, elle passe d’un modèle extractiviste centré sur l’exploitation des ressources naturelles à un modèle restauratif centré sur la régénération des écosystèmes qui les produisent.
Dans l’agriculture par exemple, de nouvelles pratiques régénératrices émergent : réduire le labour pour ne pas perturber la vie microbienne des sols, mettre en place une rotation et une diversification des cultures pour ne pas épuiser les sols, planter des haies qui protègent contre l’érosion des sols et créent des habitats pour la faune.
A première vue, ce modèle fait passer la productivité et la performance économique au second plan. A court terme, oui. Mais à plus long terme, une terre épuisée deviendra stérile et ne permettra plus de produire ! La pérennité économique d’une activité repose sur la prospérité écologique des écosystèmes dont elle dépend. C’est bien ce constat que le modèle régénératif place au cœur du modèle économique.
Les entreprises agricoles et forestières, dépendant directement de ressources naturelles, ont été parmi les premières à s’approprier ce concept. Mais peut-il s’appliquer plus globalement au monde de l’entreprise ?
Un chemin praticable pour toutes les entreprises ? Durable, à impact, à mission, net zero… et désormais régénérative. Le vocabulaire emprunté par les entreprises pour valoriser leur engagement sociétal et environnemental est multiple, et toutes semblent capables de relever le défi. Rappelons que la majorité d’entre elles sont encore dans une logique d’exploitation et commencent juste à réduire voire à neutraliser leurs impacts sur les écosystèmes. Devenir une entreprise régénérative correspond à l’étape d’après : opérer une activité qui contribue plus qu’elle ne dégrade les écosystèmes.
Avec cette échelle de valeur en tête, les abus de langage sautent aux yeux. Par exemple, lorsqu’une entreprise fait évoluer sa flotte de véhicules vers l’électrique, elle réduit ses impacts. Lorsqu’une autre s’assure d’utiliser 100% de matière recyclée, elle neutralise ses impacts. Et lorsque des entreprises ont effectivement des pratiques régénératives, celles-ci ne concernent généralement qu’une partie de leur activité ou se concentrent sur un écosystème spécifique.
Nestlé, par exemple, explore des modèles agricoles régénératifs à travers ses approvisionnements en cacao et café, dans l’espoir d’améliorer la santé des sols. Patagonia a investi 75 M$ dans des projets de soutien et 100% de son coton provient de l’agriculture régénérative certifiée. Si ces initiatives sont louables, font-elles de ces organisations des entreprises régénératives ? A priori, les ressources exploitées par Patagonia ne se résument pas au coton, ni celles de Nestlé, au cacao et au café.
De plus petites entreprises s’approchent d’un modèle 100% régénératif. Pocheco par exemple, entreprise française de production d’enveloppes et sacs en papier, a complètement transformé son modèle : approvisionnement de papier via les plus hauts standards en matière de forêts durablement gérées, substitution des encres et colles par des alternatives végétales, désartificialisation des sols, végétalisation des toitures, récupération d’eau de pluie, climatisation adiabatique, phytoépuration… Autant de pratiques régénératives qui s’avèrent être économiquement rentables pour l’entreprise (ROI après 7 ans seulement).
Pour les entreprises qui ne dépendent pas directement d’écosystèmes naturels, le régénératif peut se concrétiser sous d’autres formes, plus sociales. En contribuant à l’économie locale ou aux communautés, en offrant de meilleures conditions de travail. Lush soutient par exemple les producteurs durables à travers des programmes sociaux spécifiques et le programme “Future Food” d’Unilever régénère les écosystèmes agricoles tout en améliorant les conditions de vie des petits agriculteurs.
Quoiqu’il en soit, les efforts à mener sont encore immenses avant d’évoquer un véritable virage vers une économie régénérative. D’ici là, il est inévitable que nous devions faire face à des arguments douteux qui mettront en péril sa légitimité. Pour autant, ce premier référentiel doit en appeler de nouveaux, afin de figer une définition commune de l’économie et des entreprises régénératives.
D’ici là, soyons précis et transparents : la plupart des entreprises qui se revendiquent régénératives seraient donc moins trompeuses en indiquant clairement la part de leurs activités effectivement régénératives ou simplement en précisant qu’elles ont l’intention de le devenir mais ne le sont pas encore.