Cet été signe un renouveau dont Patrick Morel, le directeur du Syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel, maître d'ou vrage du projet, n'est pas peu fier : « Les nouveaux ouvrages d'accès, digue, pont-passerelle et terreplein d'arrivée, sont pratiquement achevés. Ils remplacent l'ancienne digue-route et ses disgracieux parkings. Les tests de relance des calèches hippomobiles se poursuivront cet été, tout en maintenant l'accès des visiteurs par navettes et à pied ». Rester accessible tout au long des travaux : ce mot d'ordre a forgé la complexité de ce chan tier à 182 millions d'euros, mené contre vents et marées, et bien parti pour être dans les temps. Le léger fléchissement de la fré quentation n'inquiète guère et devrait être compensé par l'at trait renouvelé du site. Car les dernières grandes marées ont prouvé l'efficacité des travaux : le Mont redevient une île. Hier encore, l'ensablement naturel de la baie menaçait de l'accrocher à la terre ferme.
Un phénomène accentué
par des aménagements d'une autre époque, effacés depuis. « Les portes à flot construites pour limiter en amont les inondations et protéger la ville de Pontorson empêchaient la marée de remonter dans le lit du Couesnon, ce petit fleuve côtier qui débouche au pied du Mont. Elles ont été remplacées par un barrage innovant, avec huit vannes fonctionnant dans les deux sens, lorsque l'eau s'écoule de l'amont vers l'aval et inversement. Marée après marée, des millions de mètres cubes de sédiments accumulés sont déblayés », explique Romain Desguées. Cet ingénieur, chargé au syndicat mixte du suivi hydrosédimentaire et du barrage, piste depuis cinq ans les effets de l'ouvrage sur l'ensemble de la baie. Avec des outils à la pointe : laser Lidar aéroporté pour établir des relevés topographiques des fonds de la baie et laser terrestre pour compléter ce suivi extrêmement fin des effets des lâchers d'eau. Calés sur les marées, ces der niers ont lieu deux fois par jour. Le barrage reste fermé lorsque la marée approche et, après décan tation des sédiments apportés par l'eau, les vannes s'ouvrent et la mer pénètre dans le Couesnon par surverse. L'eau s'accumule dans le lit du fleuve jusqu'à l'anse de Moidrey, une ancienne prairie humide qui agit comme réser voir depuis sa remise en eau pour les besoins du projet. À l'eau de mer se mêle alors l'eau douce du Couesnon. Quelques heures plus tard, les vannes s'ouvrent, en sous-verse cette fois, créant un effet de chasse qui remet en circulation les sédiments charriés par la marée montante. « La durée et l'importance de ces chasses sont modulées en fonction de l'état hydrosédimentaire au pied du Mont, poursuit-il. Les résultats sont significatifs. Mais désensabler et effacer les erreurs du passé prendra du temps. Ne crions pas victoire trop vite ! Dix ans de suivi seront nécessaires. »
Un comité scientifique veille au grain. Constitué d'experts internationaux et de spécialistes de l'hydraulique maritime, il se réunit chaque tri mestre et aide le syndicat mixte à prendre les bonnes décisions. Exemple : une maquette numé rique virtuelle de la baie vient de leur être présentée. Cet outil reproduit les effets des lâchers d'eau et en anticipe par simula tion certains effets.
À quel horizon le Mont seratil redevenu une île ? Nul ne le sait, mais des études prédisent que ce ne sera pas avant 2030. D'ici là, pour que le fleuve soit pleinement en mesure d'éroder ses berges et d'élargir son estuaire, redonnant ainsi toute sa place au paysage de grèves, des chenaux conti nueront d'être creusés en 2015 en aval du barrage. Une partie de la tangue, ce sédiment gris constitué de sablons et de parti cules de coquillages, déjà extraite, a été réutilisée pour construire une digue. « Une fois le dernier chenal creusé, le Couesnon aura retrouvé toute sa puissance. L'effet de chasse d'eau sera optimal, assure Romain Desguées. Le gros des sédiments issus des travaux de curage sera valorisé sur les champs d'agriculteurs exerçant à proximité. » Ce matériau, riche, ne fait pas de miracle, mais amé liore les rendements. La demande est forte, d'autant qu'il leur est livré gra tui tement. Résultat, une cinquantaine de conventions sont déjà passées. Autour du Mont se jouent donc de nouvelles dyna miques réactivant l'économie locale. « Beaucoup reste à faire, par exemple pour mieux valoriser à travers un label les produits de la baie. Une fois les travaux terminés, la vocation du syndicat mixte évoluera. Son noyau dur formé de deux régions, Bretagne et Basse-Normandie, et de deux départements, Manche et Ille-et-Vilaine, qui sont avec l'Europe et l'État les principaux financeurs du chantier, s'élargira alors », conclut Patrick Morel.