La Société des eaux de Marseille (SEM), l'équipe procédés membranaires (EPM) du laboratoire de mécanique, modélisation et procédés propres (M2P2) de l'université d'Aix-Marseille et l'Assistance publique – Hôpitaux de Marseille (APHM) ont décidé de s'associer sur un projet de recherche en janvier 2011. L'objectif : étudier la possibilité du traitement des effluents en sortie immédiate du service d'oncologie médicale de l'hôpital de la Timone à Marseille. Et envisager, à terme, de proposer aux établissements de soins une solution de traitement adaptée aux effluents des différents services qui réduirait ainsi la charge des effluents en entrée des stations d'épuration urbaines.
Ce projet de trois ans a constitué la thèse de doctorat de Pierre Hamon, soutenue en juillet 2014 sous la direction du professeur Benoît Marrot. Le procédé du bioréacteur à membranes (BRM) a été retenu pour le traitement des effluents hospitaliers du service d'oncologie médicale (EHO). Il offre en effet une épuration biologique accrue des micropolluants, grâce à l'application d'âges de boues supérieurs aux procédés biologiques des stations d'épuration classiques. Une installation pilote d'une capacité maximale de traitement de 2 l/h a ainsi été conçue par le laboratoire M2P2, dimensionnée, réalisée puis installée à la sortie des sanitaires du service d'oncologie médicale de l'hôpital. Le principe expérimental met ini tialement en contact des boues activées issues de Step avec les EHO dans le but de développer, au cours d'une phase d'acclimatation bactérienne, des capacités de biodégradation des molécules médicamenteuses. Les bactéries ainsi acclimatées et l'eau épurée sont ensuite séparées à l'aide d'une membrane d'ultrafiltration.
Cinq médicaments, les plus représentatifs et les plus utilisés par le service, ont été sélectionnés pour le suivi des performances du BRM pilote. Il s'agit de trois anticancéreux (ifosfamide, fluoro-uracile et cyclophosphamide) et de deux médicaments issus de deux classes thérapeutiques différentes : un antibiotique (sulfaméthoxazole) et un antidouleur (codéine). Ces molécules médicamenteuses ont été analysées par chromatographie liquide associée à une spectrométrie de masse en tandem.
Sur des débits certes faibles de 2 l/h, la pollution médicamenteuse contenue dans les EHO est extrêmement concentrée avec notamment des pics détectés supérieurs à 1 mg/l pour l'ifosfamide et le fluoro-uracile. Ces concentrations inédites par rapport aux précédentes études, cent fois supérieures à celles des effluents hospitaliers globaux et près d'un million de fois supérieures à celles des eaux usées urbaines, justifient ainsi pleinement le positionnement du projet. Cette stratégie permet d'éliminer une pollution spécifique et très concentrée tout en minimisant les coûts d'investissement et d'exploitation en raison de faibles débits.
Ces très fortes concentrations médicamenteuses couplées à de nombreuses fluctuations de la pollution carbonée et azotée des EHO n'ont pas facilité l'acclimatation de la biomasse épuratrice. Malgré ces conditions extrêmes, une légère croissance de la biomasse épuratrice a été obtenue sur le long terme et l'élimination biologique de la DCO et de l'ammonium a régulièrement été supérieure à 90 %, ce qui traduit une acclimatation progressive de la biomasse et démontre la robustesse du procédé BRM pour le traitement de ce type d'effluents.
Excepté sur le fluoro-ura-cile, éliminé au-delà des 90 %, l'élimination des médicaments sélectionnés a connu de nombreuses fluctuations. Les performances demeurent néanmoins très satisfaisantes puisque la codéine et le sulfaméthoxazole ont été éliminés à plus de 70 %, rejoignant ainsi les meilleures performances connues pour des solutions synthétiques, malgré la grande complexité des EHO réels. Surtout, l'ifosfamide et le cyclophosphamide, généralement non traités dans les stations d'épuration urbaines, ont respectivement été éliminés en moyenne à 49 et 60 % par le BRM pilote.
L'acclimatation de la biomasse ainsi effectuée confirme alors, d'une part, une épuration supérieure à celle obtenue par une biomasse de station d'épuration et, d'autre part, une meilleure résistance aux fortes concentrations de médicaments. De plus, une rétention importante des médicaments par la membrane a été observée. Inédite pour des membranes d'ultrafiltration utilisées en BRM, elle a permis d'obtenir une élimination globale excellente des médicaments avec notamment un pic minimal à 89 %. La rétention des médicaments s'est avérée liée au degré de colmatage membranaire et à l'état physiologique de la biomasse épuratrice.
Les résultats obtenus à l'issue de cette thèse, dont certains inédits en matière d'élimination de médicaments, sont très encourageants. La stratégie de traitement en amont de ces effluents spécifiques semble pertinente au regard de l'efficacité de dégradation – malgré les fortes concentrations médicamenteuses – de la biomasse épuratrice du BRM. Les conditions d'acclimatation de la biomasse épuratrice aux EHO, identifiées au cours de ce travail, devront être précisées lors d'études complémentaires tout comme les caractéristiques de rétention médicamenteuse par la membrane. Autant de travaux qui permettront d'améliorer l'état du savoir et d'envisager une industrialisation de ces procédés complexes dans les mois qui viennent dans les hôpitaux marseillais, le tout dans un contexte réglementaire qui devrait ra pidement évoluer.