Depuis quelques années, les Spanc subissent un feu soutenu de critiques provenant d’usagers mécontents et d’associations. L’Association nationale de défense des consommateurs et des usagers (CLCV) d’un côté, France Libertés-Fondation Danielle Miterrand, 60 millions de consommateurs et le réseau d’association d’usagers Confiance de l’autre, ont des approches assez différentes, tant dans leur rhétorique, leurs modes d'action, que dans leurs attentes et les objectifs qui les animent. Mais sur le fond, en faisant abstraction des termes chocs utilisés (« racket », « loterie des redevances », « imagination au pouvoir pour matraquer les usagers », « conflits d'intérêts manifestes », « obligations de travaux injustifiés », « marché captif »…), les enjeux soulevés sont à prendre en compte. Disparités de tarifs et de pratiques, déficit de qualification des contrôleurs, absence de transparence, manque de données statistiques élémentaires, traduisent les carences réelles du dispositif existant. Cette situation résulte de la mise en place tâtonnante de ces services à l'origine, sur un périmètre et un parc d’installations plus ou moins large, avec ou sans subventions. Et avec une réglementation qui ne s’est stabilisée qu’en 2012, alors que l’obligation du contrôle était en vigueur depuis des années et que des dizaines de milliers de diagnostics avaient été effectuées. Mais c’est incontestable, il y a un certain nombre de points sur lesquels des progrès restent à faire.Le premier volet de critiques concerne l’hétérogénéité des pratiques de contrôle. France Libertés, 60 millions de consommateurs et le réseau Confiance dénoncent, suite à leur enquête, des contrôles qui durent « de dix minutes à une heure », « souvent hâtifs et incomplets ». La CLCV estime que « malgré les précisions et clarifications apportées par la réglementation en 2012, les interprétations qui en sont faites conduisent encore à rendre obligatoires des travaux qui ne le sont pas, ou qui sont disproportionnés par rapport aux enjeux sanitaires et environnementaux réels ». Les modalités des contrôles et la façon d’évaluer l’état des installations sont pourtant maintenant clairement définies. « Le plan d’action national pour l’assainissement non collectif (Pananc) a permis de poser un cadre afin d’harmoniser les pratiques et la lisibilité des rapports établis par les Spanc et d’améliorer l’égalité des usagers devant le service », rappelle Sandrine Potier, chef de service ANC à la FNCCR. L’aboutissement de ces travaux est le guide d’accompagnement des Spanc, avec ses fiches de situation (dont une nouvelle fournée sera présentée aux Assises de l’ANC, à Bourg-en-Bresse, en octobre). Elles fournissent les clés de raisonnement pour évaluer une installation de manière analogue partout dans l’Hexagone. « Mais il faut que ces documents soient adoptés et que les services se les soient appropriés, indique Sandrine Potier. Certains Spanc ne connaissent pas ces outils. D’autres sont tellement inscrits dans leurs habitudes qu’ils ont du mal à réaliser qu’ils en font trop, ou pas assez, par rapport à ce qui est réellement exigé par la réglementation. » Toutefois, pour la CLCV, diffuser de bonnes pratiques ne suffit pas. « Ce cadre technique (le guide, les grilles, les fiches) est sous-utilisé. Il y a certes eu des progrès, mais c’est loin d’être le cas partout. La solution pour une réelle harmonisation des pratiques est de rendre ce cadre technique obligatoire », suggère Adrien Tchang-Minh, chargé de mission environnement à la CLCV.La deuxième salve de critiques concerne l’absence de validation des compétences professionnelles des contrôleurs. « Il y a des techniciens compétents sur certains territoires, mais d’autres n’ont aucune formation, ils ont appris “sur le tas”, n’ont qu’une connaissance très approximative des systèmes existants, des conditions de sol... », soulève Adrien Tchang-Minh. « La compétence professionnelle des agents chargés du contrôle est un sujet majeur, que l’on ne commence malheureusement à aborder que maintenant dans le cadre du Pananc, car il a fallu traiter d’autres priorités », répond Sandrine Potier. « Le diagnostiqueur de l’ANC est le seul, parmi tous ceux chargés d’un contrôle obligatoire (amiante, etc.) à ne pas être certifié : il n’y a même aucun prérequis de base pour devenir contrôleur », confirme Patrick Domerc, directeur technique du Spanc du pays des Coteaux (65) et président de l’Artanc, l’association régionale des techniciens de l’ANC du bassin Adour-Garonne. Les constats sont unanimes : il faut professionnaliser le métier, la compétence du contrôleur doit être reconnue, ou tout du moins, encadrée. Dans le cadre du Pananc, des travaux ont été engagés pour préparer un référentiel de formation, la première étape étant de lister les compétences indispensables et les modules de formation à prévoir. L’Artanc souhaite, de son côté, se positionner comme organisme de formation, en partenariat avec le CNFPT : des premiers modules de formations devraient rapidement être disponibles. « Le dilemme est qu’il faudrait rendre obligatoire la formation des diagnostiqueurs (sinon, dans le budget contraint des Spanc et compte tenu de la charge de travail, cela ne se fera pas), sans tomber dans le piège du “business” de la certification avec des risques de surcoûts insupportables pour les services) », met en garde Patrick Domerc.Une autre série de reproches concerne les règlements de service des Spanc. Nombre d’entre eux sont obsolètes, pas à jour par rapport à la réglementation, incomplets (pas de mention de la périodicité des contrôles, par exemple). « Ils comprennent aussi des clauses illégales ou susceptibles d’être considérées comme abusives », estime Emmanuel Poilane, directeur général de France Libertés, qui, avec ses partenaires, a épluché 200 règlements. Parmi les dispositions mises en cause, la facturation de la redevance avant que l’usager n’ait bénéficié du service est, de fait, condamnée par la jurisprudence. Sont aussi pointées du doigt, des pénalités financières « plus ou moins légitimes ». L’enquête dénonce par ailleurs d’importantes lacunes en matière de transmission du règlement, plus d’un quart des usagers interrogés ne l’ayant pas reçu.À décharge, il faut reconnaître que les changements réglementaires rendent le besoin de mise à jour du règlement quasi incessant. Malgré tout, l’importance de cette tâche, ainsi que la diffusion systématique aux usagers, sont souvent sous-estimées et négligées. Les outils existent pourtant afin d’aider les services sur ce volet. La FNCCR actualise son guide d’aide à la re?daction du re?glement de service, fruit d’un travail collaboratif issu d’expé?riences de Spanc et de te?moignages d’usagers. Ce guide aide à réfléchir sur les objectifs, la portée, la lisibilité du règlement, alerte sur les dispositions a? inété?grer ou, au contraire, les mentions à bannir (nouvelle version disponible fin 2016).Dernier point important : la disparité des tarifs, qui est un problème inhérent à l’organisation actuelle. On compte en effet environ 4 000 Spanc, majoritairement de petite taille (55 % de Spanc communaux desservent 11 % de la population, 45 % de Spanc intercommunaux couvrent les 89 % restants). Selon les données avancées par les associations, le montant des redevances varie de 1 à 20. La CLCV fait état de redevances de contrôle périodique de 42 à 650 euros. Les montants avancés par France Libertés et ses partenaires sont dans les mêmes fourchettes : 33 à 660 euros. Les associations souhaitent que les redevances soient encadrées, ce qui semble peu envisageable s’agissant d’un service public local dont les conditions économiques sont, par essence, liées à un contexte local. « Il faudrait aussi border l’application des pénalités et faire évoluer la réglementation sur la périodicité, car les Spanc ont en la matière un large choix, sans avoir à se justifier, défend Adrien Tchang-Minh. Certains petits Spanc ruraux, après avoir terminé les premiers diagnostics et mené à bien la plupart des réhabilitations nécessaires, ne sont pas viables économiquement compte tenu du faible nombre d’installations neuves et de mutations : pour se maintenir, certains optent pour des contrôles périodiques plus fréquents, ce qui n’a pas de sens. Les usagers ne peuvent pas être la variable d’ajustement pour équilibrer les finances des services. »La loi Notre devrait faire bouger les choses. En effet, la mutation territoriale que vivent les collectivités devrait, progressivement, apporter des réponses sur l’harmonisation des tarifs, du fait de l'extension conjointe du périmètre des Spanc. « Cette évolution devrait conduire à une remise à plat des organisations, prévoit Sandrine Potier. À terme, les petits Spanc communaux isolés devraient disparaître et il n’y aura plus, non plus, de territoires dépourvus de Spanc. On peut espérer que ces regroupements engendreront plus de cohésion territoriale, d’efficience, d’échanges entre les services, une forme de rationalisation, une meilleure utilisation des moyens, une montée en compétences… » Logiquement, le nombre de Spanc va en effet diminuer et les tarifs, comme les pratiques, devraient à terme s’harmoniser à l’échelle de territoires plus larges. Dans certains départements, il y a aujourd’hui plus de 1 0 Spanc : la Haute-Loire, le Doubs, la Seine-et-Marne... Dans le Calvados, le nombre de Spanc va descendre de 40 à 15. Le phénomène inverse pourra aussi, ponctuellement, se produire : en Indre et Loire où il y a 6 Spanc (dont un couvrant 2 5 communes, le Satese 37), le nombre de services pourrait augmenter, car certaines communautés de communes s’interrogent sur la reprise de la compétence en direct.D’un autre côté, certains observateurs craignent qu’avec ces évolutions institutionnelles, l’ANC devienne le parent pauvre des préoccupations des élus, face à l’eau potable, l’assainissement collectif, la Gemapi, voire les eaux pluviales, et que les moyens ne soient pas à la hauteur pour faire fonctionner correctement des structures à grande échelle. « Les deux scénarios sont possibles, analyse Yann Landot, avocat au cabinet Landot & associés. À terme, en effet, il pourrait y avoir moins de morcellement, moins de disparités, et des effets positifs en matière de professionnalisation, de synergies possibles entre l’assainissement collectif et le non collectif, de meilleure coopération avec les services instructeurs de l’urbanisme… Cela dit, il s’agira forcément d’une évolution très progressive. En outre, le contrôle continuera à coûter cher, car même s’il y a convergence, je ne vois pas beaucoup d’économies d’échelle qui pourraient résulter de ces évolutions de périmètres. Cela ne résoudra donc pas le fond du problème, qui est l’impopularité de la redevance. »Fabienne Nedey