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Accès à l'eau : les élus luttent contre la précarité

PUBLIÉ LE 19 JANVIER 2017
LA RÉDACTION
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Le magazine des professionnels de l’eau et de l’assainissement.
Les services publics d’eau et d’assainissement ont eu pendant longtemps une mission purement technique : celle d’assurer la production et l’approvisionnement en eau potable des usagers. Mais face à une paupérisation des populations et des coûts croissants des services répercutés sur l’usager, la question d’un droit à l’eau pour les ménages les plus pauvres devient prégnante. « Ce qui peut sembler paradoxal, c’est qu’il faille payer l’accès à une eau alors qu’en même temps on parle de droit à l’eau », décrypte Marie Tsanga Tabi, chercheure au sein de l’UMR Geste (Gestion territoriale de l’eau et environnement). Une équation difficile à résoudre pour les services d’eau car l’enjeu social peut se heurter à la durabilité économique du service.En parallèle de l’émergence de la notion de droit à l’eau, quelques solutions sont apparues pour que les services d’eau atténuent cette vulnérabilité mais de manière essentiellement curative, une fois la facture émise. Les communes peuvent délivrer des aides via les centres communaux d’action sociale (CCAS). Depuis le début des années 1990, le Fonds de solidarité logement (FSL), géré à l’échelle du département, aide au paiement des charges, qu’il s’agisse du logement, de l’électricité ou de l’eau. Il peut être abondé par les services d’eau dans la limite de 0,5 % des montants des redevances perçues. Par ailleurs, des abandons de créances ou des admissions en non-valeur sont appliqués selon que les distributeurs sont privés ou publics.  Mais un vent d’innovation souffle depuis 2013. La loi Brottes du 15 avril n’a pas seulement interdit les coupures d’eau, elle a aussi permis de distinguer les ménages comme une catégorie spéciale d’usagers, autorisant les mesures préventives. Il devient alors possible, dans le cadre d’une expérimentation, de pratiquer un tarif social selon les revenus ou la composition d’un ménage. « Cela crée de nouvelles solidarités entre usagers », explique Simon Godefroy, consultant associé au cabinet Citexia, spécialisé dans la tarification des services publics locaux. En outre, l’expérimentation prévoit des dérogations : une tarification progressive, avec une première tranche gratuite, un abondement plus conséquent du FSL jusqu’à 2 % et la possibilité pour la collectivité d’utiliser le budget général pour financer l’action sociale du service d’eau. Cinquante se sont portées candidates fin 2014. Elles ont jusqu’au mois d’avril 2018 pour mettre en place une expérimentation. Lorsqu’une collectivité commence à explorer le sujet, elle a tout intérêt à estimer le niveau de pauvreté vis-à-vis de l’eau sur son territoire. Le premier réflexe est de regarder le montant des impayés, mais cette information n’est que partielle. « Les impayés constituent seulement la précarité visible. D’expérience, on constate que 30 à 50 % d’entre eux sont liés à des problèmes sociaux », détaille Simon Godefroy. En effet, certains foyers continueront de régler leur facture au prix de gros efforts. Des chercheurs anglais ont défini, dans les années 1990, un indicateur pour mesurer la précarité en eau des ménages. À l’image de la précarité énergétique établie quand les factures d’énergie excèdent 10 % du revenu du foyer, elle correspond à une facture qui dépasse 3 % du revenu. « Cet indicateur est intéressant car il permet d’évaluer l’ampleur du problème d’accessibilité financière à l’eau sur un territoire avec les données de l’Insee sans passer forcément par le service d’eau. Dans certains cas, cela peut représenter jusqu’à 10 % des abonnés, ce qui devient significatif. Une partie de la population est donc socialement vulnérable en termes d’accès à l’eau. Si la précarité s’aggrave et que le service ne s’y penche pas, il peut en résulter un effet boomerang », avertit Marie Tsanga Tabi. Pour offrir une aide préventive plutôt que curative, le premier levier imaginé a été d’adapter le principe de la tarification progressive, possible depuis la loi sur l’eau de 2006, en recherchant une visée sociale. Dunkerque a été la première collectivité à lancer une tarification dite écosolidaire avec son délégataire Suez dès fin 2012 avant même l’expérimentation Brottes (lire encadré). Rennes ou Paris testent, entre autres, une tarification comprenant une première tranche gratuite. D’autres encore préfèrent moduler la part fixe. Mais pour cibler la mesure, il faut avoir accès à des données personnelles et confidentielles sur les abonnés, comme les revenus ou la composition du foyer. L’expérimentation a ouvert la possibilité de contractualiser avec des organismes sociaux tels que les CPAM pour obtenir les données sur les bénéficiaires de la CMU-C ou les CAF afin de connaître les quotients familiaux et de les croiser avec le fichier des abonnés au service. Cela implique néanmoins une autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et des dispositifs de cryptage. Si cette étape était un point bloquant au lancement de l’expérimentation, les premiers retours d’expérience sont plutôt positifs. « Toutes les collectivités ont progressivement réussi à inclure dans le dispositif la CAF ou la CPAM », s’est réjoui Régis Taisne, de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), lors d’une journée thématique organisée en novembre dernier par Idéal Connaissances et la fédération. Techniquement, cela nécessite un long travail de recoupement des fichiers entre abonnés du service et bénéficiaires de la CAF ou de la CPAM qui peut faire grimper les coûts de gestion d’un tel dispositif. « On retrouve partout les mêmes écueils. Le service d’eau dispose d’un fichier des abonnés avec lequel il n’est pas possible systématiquement d’identifier les ménages par rapport aux autres abonnés, d’autant plus pour l’habitat collectif où bien souvent l’abonné au service d’eau est l’immeuble lui-même. Or il faudrait pouvoir croiser ces données avec les données personnelles des ménages pour adapter les prix selon les revenus et la composition du foyer. Cette difficulté technique est rencontrée par beaucoup de services d’eau pour lesquels l’individualisation des compteurs n’est pas totale, ce qui explique que la mise en place d’une tarification sociale au sens strict reste plutôt à l’état de possibilité théorique », expose Chloé Jaillard, du cabinet Calia Conseil, qui accompagne plusieurs collectivités dans l’expérimentation. Les usagers qui n’ont pas de facture et payent leur consommation d’eau via des charges locatives ne peuvent en effet pas être bénéficiaires directement. « Nous avions pensé à la tarification sociale, mais finalement nous avons considéré qu’elle nous enfermerait dans un carcan. Il est difficile d’avoir une approche pertinente et efficiente par les tarifs », reconnaît ainsi Pierre-Yves Clavier, directeur écologie urbaine à Brest Métropole, inscrite dans l’expérimentation. Par ailleurs, la tarification progressive a des effets pervers, comme la pénalisation des familles nombreuses et la baisse des consommations des gros préleveurs (industriels, etc.) qui peut déséquilibrer financièrement le système et générer des augmentations de tarifs. Certains ont donc décidé de contourner le problème en s’affranchissant de la facture. « En se basant sur le prix de l’eau et les quotients familiaux fournis par la CAF, sur la base d’une consommation raisonnée de 30 m3 par personne et par an, on vérifie que la charge en eau ne dépasse pas 3 % du revenu et que le droit à l’eau est respecté », a témoigné Denis Guilbert, directeur du cycle de l’eau à Nantes Métropole lors de la journée organisée par Idéal et la FNCCR. Chaque année, la CAF transmet le quotient familial, le nombre de personnes et les coordonnées bancaires de chaque foyer. Le service d’eau réalise le calcul et envoie directement une aide sur le compte bancaire pour repasser sous les 3 %. En 2016, pour sa première année, la mesure a touché plus de 6 000 ménages pour un montant de 346 000 euros. Néanmoins, il en reste 15 % non identifiés par la CAF, en grande majorité des étudiants. Pour cela, la collectivité a développé un système déclaratif mais, malgré la communication effectuée autour du dispositif (voir illustration), très peu de dossiers ont été enregistrés. En effet, les systèmes déclaratifs ont besoin de temps pour atteindre leur public. C’est pourtant la solution qu’ont choisie les élus de la Codah (communauté de l’agglomération havraise) pour mettre en place un contrat de solidarité eau. Les abonnés en difficulté se rendent auprès des services instructeurs (CCAS ou services de la mairie) pour faire examiner leur dossier. Avec 98 % d’individualisation des compteurs, le calcul de la précarité en eau est réalisé sur des factures réelles mais sur la base de consommations normales calculées à l’échelle de l’agglomération pour ne pas financer les surconsommations. Sur quatre mois de fonctionnement en 2016, 70 dossiers ont été bénéficiaires dont 65 % sont en surconsommation au regard de la composition du ménage. Une réalité que certaines collectivités ont intégré en complément des aides préventives ou curatives dans leur politique sociale. La régie Eau de Paris va ainsi consacrer 500 000 euros par an pour des ambassadeurs de l’eau qui partiront à la rencontre des ménages modestes pour effectuer des diagnostics des installations et repérer les fuites, à l’image de ce qui est fait pour lutter contre la précarité énergétique. C’est également la voie suivie par Brest Métropole. « En plus de l’abondement du FSL et du projet de développer une aide financière aux ménages, nous allons agir dès maintenant de manière préventive en accompagnant des acteurs associatifs du territoire afin d’intégrer la précarité en eau à leur périmètre d’action : diagnostics de logement, accompagnement en cas de difficultés de paiement, sensibilisation aux écogestes... », explique Pierre-Yves Clavier. Au-delà de la difficulté d’accéder au public ciblé, le temps d’expérimentation a aussi décidé certaines collectivités à laisser tomber les dispositifs complexes à mettre en œuvre. « Nous voulions que cette aide aille à l’eau et uniquement aux foyers en difficulté en agissant au plus rapide, au plus simple et au plus juste », détaille Christian Lagrange, vice-président d’Est Ensemble, collectivité regroupant neuf communes de l’Est parisien qui a abondé de 40 000 euros son dispositif Eau sociale, un chèque eau curatif pour aider au paiement des factures, distribué par les CCAS. Enfin, le calcul des coûts de gestion peut favoriser un choix ou l’autre. « Il est compliqué de fixer un seuil au-delà duquel les coûts de gestion pourraient être considérés comme trop élevés par rapport au montant des aides distribuées. Néanmoins, il est nécessaire d’être vigilant sur cet indicateur. Les premières années sont souvent plus coûteuses car elles intègrent la création et le déploiement du dispositif en plus du fonctionnement courant. En outre, certains  peuvent être un peu plus coûteux que d’autres, mais il faut voir s'ils atteignent mieux la cible recherchée », explique Chloé Jaillard. Pour l’instant, les collectivités ont peu de recul sur les coûts réels de fonctionnement. Une donnée pourtant essentielle car les mesures sont essentiellement financées par le service d’eau. Le temps de se porter officiellement candidates et de mettre en place les dispositifs, les collectivités ont pour la plupart engagé leurs actions courant 2016. Et n’ont aucune visibilité sur ce qu’il adviendra des dispositifs à l’échéance de l’expérimentation en avril 2018. Un bilan sera réalisé par le Comité national de l’eau pour convaincre ou non le législateur de légaliser certaines pratiques. En parallèle, une proposition de loi a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale en juin 2016 pour sanctuariser le droit à l’eau et à l’assainissement. Elle prévoit notamment la mise en place d’une allocation forfaitaire préventive pour le paiement de la facture d’eau. La question de son financement n’est pas tranchée et le texte n’est toujours pas à l’ordre du jour du Sénat. Mais la généralisation des pratiques sera d’autant plus compliquée que chaque territoire a ses propres caractéristiques en matière de pauvreté vis-à-vis de l’eau en lien direct avec le prix fixé par le service. Grenoble Alpes Métropole a ainsi choisi de déployer un dispositif en prenant comme référence des charges en eau supérieures à 2,5 % des revenus au lieu de 3 % car son prix de l’eau est relativement modeste. « L’un des intérêts de l’expérimentation est d’inciter les collectivités à aller discuter avec les services sociaux. Monter des procédures et des conventions avec eux, cela ne peut qu’être bénéfique pour gérer les difficultés de paiement », rappelle Régis Taisne. Les services d’eau ont, en effet, quitté leur forteresse technique pour créer des liens avec un secteur qui leur était inconnu. Les dispositifs testés ne résoudront pas à eux seuls les problèmes de précarité, la facture d’eau n’en représentant qu’une faible part par rapport au logement ou à l’énergie mais ils répondent à une réelle attente vis-à-vis des services publics. À condition que le dispositif ne se limite pas à un affichage politique. Pauline Rey-Brahmi 
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