C’est en 2012 qu’une contamination des ressources souterraines par les ions perchlorates est mise en évidence sur l’ancienne ligne de front de la Première Guerre mondiale ; dans le Nord et le Pas-de-Calais. Celle-ci est particulièrement marquée dans un triangle situé entre les agglomérations d'Arras, Douai, Henin Carvin et Lens-Lievin, où les teneurs en perchlorates atteignent jusqu’à 60 microgrammes par litre. Les autorités préfectorales de deux départements concernés ont très vite réagi en prenant des arrêtés de restriction d’usage pour les populations considérées comme les plus sensibles, femmes enceintes et nourrissons, à partir d’une teneur en perchlorates au robinet respectivement de 15 et 4 microgrammes par litres. Cette restriction touche 544 communes.« Sachant que nous desservons 50 % de la population concernée par le seuil bas (1,2 million d’habitants), nous avions un rôle important à jouer en tant que délégataire, souligne Michel Chaumontet à la direction technique et innovation de la zone Île-de-France/Nord-Ouest de l’activité Eau, chez Veolia. Face à une problématique totalement inconnue, nous avons déroulé une méthodologie pragmatique. En commençant par développer une méthode analytique fiable pour mesurer les perchlorates dans l’eau. Il fallait ensuite envisager les différentes solutions disponibles pour les collectivités. L’interconnexion, la substitution et la dilution de ressources étaient possibles pour certaines, mais pas généralisables. Il restait à envisager les traitements susceptibles d’éliminer ces perchlorates. Nous avons observé des taux d’abattement des perchlorates dans certaines zones de distribution situées à l’aval d’usines équipées de résines pour traiter les nitrates ». Veolia installe donc, pendant un an, un pilote dans une usine en fonctionnement où l’eau brute affiche des teneurs en perchlorates de l’ordre de 30 à 35 µg/l. Différentes résines échangeuses d’ions y sont testées en termes d’efficacité et de vitesse de saturation : résines classiques ou résines spéciales aux nitrates ou aux perchlorates. Les taux d’abattement obtenus atteignent les 99 %. En parallèle, le délégataire fait tourner un pilote sur des membranes de nanofiltration plus ou moins fines (NF90 et NF200) et obtient, pour la NF90, un rendement de l’ordre de 85 %. « Nous avons alors publié nos résultats qui confirmaient aux collectivités l'efficacité des résines. »Pourtant aucune d’entre elles n’a encore fait le choix du traitement. Les teneurs en perchlorates des eaux brutes sont restées constantes, l’évolution de cette pollution reste d’ailleurs une inconnue et les restrictions d’usage sont maintenues dans le Nord et dans le Pas-de-Calais. Une situation figée dont les acteurs locaux s’expliquent. Jean-Jacques Hérin, directeur du pôle aménagement-réseaux-environnement à la communauté d’agglomération du Douaisis, a fait partie du groupe d’étude monté avec Veolia. « Réglementairement parlant, rappelons qu’il n’y a aucune norme sur les perchlorates, donc aucune obligation pour les communes de traiter. Ensuite, techniquement, nous ne disposons pas d’attestation de conformité sanitaire des résines sur les perchlorates et ce sont des procédures très longues. En outre, le traitement aurait un impact minimal d’environ 20 centimes le m3 et les élus jugent que le coût de dépollution de la nappe devrait être pris en charge par l’État comme résultant d’un fait de guerre. Reste enfin une contradiction entre les restrictions d’usage qui pèsent sur nos départements alors que la Somme ou l’Aisne, qui affichent des niveaux comparables, voire supérieurs, en perchlorates n’ont que des recommandations sanitaires. Sachant qu’aucun lien cartographique n’a été fait localement entre perchlorates et excès de maladies thyroïdiennes dans les zones impactées. »Alexandra Delmolino