Daniel Zavala-Araiza, Senior Scientist pour l’ONG Environmental Defense Fund Europe. Crédit : John Rae/Environmental Defense Fund Europe
Fin septembre, un flot de gaz s’écoule du gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l’Allemagne dans la mer Baltique. Si le gaz a cessé de s’échapper, une importante quantité de méthane a néanmoins été relâchée dans l’atmosphère. Quelles conséquences pour le climat ? Comment éviter ces incidents à l’avenir ? Réponses avec Daniel Zavala-Araiza, Senior scientist pour l’ONG Environmental Defense Fund Europe.
EM : Quelle est la situation actuelle après les fuites du Nord Stream 2 dans la mer Baltique ?
Les fuites sont arrêtées mais les causes demeurent inconnues. Ce que nous savons c’est qu’une quantité très importante de méthane, qui est le principal composant du gaz naturel, est libérée dans l’atmosphère. Ce type d’incident peut arriver pour différents pipelines, par exemple pour le transport de grands volumes de gaz, les systèmes sont équipés de vannes permettant en cas de fuites de fermer et de rapidement limiter la quantité de gaz qui s’échappe dans l’atmosphère. Ce que nous avons appris au sujet de cet incident à Nord Stream 2, c’est que ce réseau ne contient pas de vannes de fermeture sur l’ensemble des canalisations exceptées celles se trouvant au début et à la fin des tuyaux.
Autre chose, que nous savons d’un accident antérieur, lorsqu’il y a une fuite de gaz sous l’eau habituellement une fraction de méthane est consommée. Il y a des bactéries qui s’oxydent essentiellement quand elles consomment le méthane, donc nous nous attendions lors de cet incident à ce qu’une portion de cette fuite en mer Baltique soit consommée et ne s’échappe pas dans l’atmosphère. Cependant, le problème ici est que les fuites se produisent dans un bassin d’eau peu profond près de la surface, que le gaz s’échappe à haute vitesse, par conséquent nous nous attendons actuellement à ce que la consommation de méthane sous l’eau soit très faible et, malheureusement, tous ces facteurs indiquent que la majorité du gaz contenu dans le pipeline se trouve déjà dans l’atmosphère.
EM : Quelles sont les estimations des fuites de méthane ?
Selon l’Agence Danoise de l’Energie qui a surveillé les fuites, le volume maximal qui aurait pu être libéré équivaut à un demi-million de tonnes de méthane, ce qui est significatif. Il y a d’autres estimations qui sont plus proches d’une centaine de tonnes de méthane, bien sûr il y a une incertitude sur ces chiffres mais à Environmental Defense Fund on estime que 115.000 tonnes de méthane ont été relâchées dans l’atmosphère en quelques jours, soit près de 10 millions de tonnes de CO2, c’est l’équivalent de l’impact des émissions annuelles de 2 millions de voitures essence ou 2,5 centrales à charbon sur le climat.
Même si ces fuites sont massives, nous nous devons de rappeler que l’ensemble de l’industrie émet une quantité similaire que celle que nous avons eue en quelques jours. Cette fuite attire beaucoup l’attention du monde entier, ce qui est très important parce que le méthane est un problème essentiel en termes d’impact climatique. Donc nous devons utiliser ce malheureux événement pour porter l’attention sur le reste de l’industrie qui est responsable des émissions de méthane de l’ordre de 80 millions de tonnes. Significativement plus élevées que les fuites enregistrées à Nord Stream 2.
EM : Que signifient ces fuites de méthane pour le climat, et plus précisément quelles sont leurs conséquences en mer Baltique ?
Globalement lorsque nous pensons au changement climatique, c’est d’abord le dioxyde de carbone qui nous vient à l’esprit, et pourtant il y a le méthane. Ce composé chimique est invisible à l’œil nu et n’a pas été énormément abordé dans le débat public. Le méthane reste dans l’atmosphère pendant près de 10 ans, et si nous nous attardons sur ses impacts une vingtaine d’années après sa libération, on constate qu’il est 90 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. Donc, dans les prochaines décennies si nous pouvons agir rapidement pour réduire les émissions de méthane, nous pouvons contribuer à ralentir le réchauffement de la planète. Des études récentes ont montré que d’ici 2030, si nous réduisons les émissions de méthane de 15 % nous éviterons 1.25 °C de réchauffement, ce qui n’est pas négligeable si nous voulons atteindre l’objectif de 1.5 ou 2 °C. La réduction des émissions de méthane est probablement, aujourd’hui, la mesure la plus importante que nous devons prendre pour nous donner le temps de nous focaliser sur les changements sociaux qui accompagnent cette transition.
Concernant la mer Baltique, il s’agit principalement de méthane donc la principale conséquence est climatique. Mais lorsqu’il y avait la fuite, chaque animal qui était proche de ces installations se trouvait en danger.
EM : Qu’est-ce que cette situation révèle en matière de transition dans ce contexte géopolitique instable ?
Premièrement, nous avons besoin d’une réponse rapide pour surveiller les tuyaux, la quantité émise et les secteurs responsables. Pour apporter cette réponse nous avons déjà constaté que les satellites peuvent détecter rapidement le méthane et envoyer des signaux pour pouvoir agir et réduire les émissions. Pendant les fuites sur Nord Stream 2, nous avons eu l’exemple de l’IMEO, l’Observatoire international des émissions de méthane, qui a rapidement publié des images de la fuite détectée de l’espace et qui a montré son ampleur. Cet incident montre l’importance de la révolution satellitaire pour gagner en transparence sur le climat, dans ce cas, notre ONG EDF va envoyer un satellite dans l’espace l’année prochaine, appelé MethanSat, qui est conçu pour suivre de près ce type de pollution. Ensuite en termes de transition énergétique, ces fuites envoient un message fort et clair : l’Union européenne est extrêmement vulnérable en matière de sécurité énergétique tant qu’elle continue de se reposer sur des combustibles fossiles. L’Europe doit se tourner le plus rapidement possible vers l’énergie propre.
Ce qui ressort de cet incident, c’est aussi la responsabilité des industries. Les industries du pétrole et du gaz comptent parmi les principales sources d’émissions de méthane, estimées à des millions de tonnes par an, pourtant elles savent comment et quelles technologies utiliser pour réduire ces émissions. Plusieurs études ont montré qu’environ 70 ou 80 % des émissions de l’industrie gazière, nous avons aujourd’hui les technologies pour les réduire. Avec le contexte actuel et l’augmentation des prix du gaz, la plupart des investissements dans la réduction d’émissions seront rentables parce que le gaz qui ne s’échappe pas dans l’atmosphère peut être utilisé comme combustible. Au lieu de le laisser s’échapper et polluer, l’industrie peut s’assurer qu’il demeure dans leurs systèmes et de l’utiliser.
EM : Quelles sont les solutions et technologies qui peuvent être utilisées pour réduire voire arrêter les émissions de méthane ?
La plupart de ces solutions sont disponibles et à très faible coût. Dans bien des cas, nous avons vu de très grandes fuites se produire lorsque les vannes ne sont pas suffisamment serrées. La solution est donc simple : il faut se déplacer sur place et resserrer ces parties du système, mais si les équipes ne vérifient pas fréquemment ces sites ou installations, vous ne saurez pas quelle partie doit être resserrée. Ainsi, l’un des moyens puissants pour réduire les émissions est la détection des fuites et l’entretien des systèmes. J’insiste en disant que les opérateurs doivent mener un travail d’inspection régulière, se déplacer plusieurs fois par an pour vérifier l’ensemble de leurs sites avec une caméra infrarouge pour détecter et prévenir les fuites.
Autres solutions, dans certains sites il y a un problème de ventilation directe ou de combustion du gaz, c’est une perte d’énergie qui pollue beaucoup. Nous avons donc besoin de politiques pour inciter les industriels à éviter ces ventilations et de brûler le moins de gaz possible. Ces règlements peuvent rapidement réduire ces émissions. Donc il s’agit de la responsabilité d’entretenir les installations et, en plus de cela, chaque industrie doit apporter de la transparence par rapport à ses émissions, c’est ainsi je pense que nous pouvons rapidement passer à un cycle vertueux de la réduction des émissions de méthane dans le monde.