François Rousseau, directeur général de Mines Nancy. Crédit : Mines Nancy
Lithium, nickel, cobalt, ou tantale...Ces métaux stratégiques font les smartphones, tablettes et autres produits high-tech de la vie quotidienne. La production de ces éléments clés des technologies de la transition écologique est aujourd’hui au cœur d’enjeux écologiques et géopolitiques. Échange avec François Rousseau, directeur général de l’École des Mines Nancy.
La demande mondiale des batteries devrait être multipliée par 10 d’ici 2030, tandis que celle en métaux stratégiques devrait exploser dans les années à venir, estime l’institut McKinsey. Pour garantir l’approvisionnement en ces métaux dits critiques, les ministères de la Transition énergétique et de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique ont récemment sélectionné cinq projets pour la production et le recyclage, dont des projets d’exploitation minière et de raffinerie de lithium.
EM : Qu’est-ce qu’implique la transformation énergétique que nous vivons actuellement ?
Avec la transition énergétique nous passons de l’ère des hydrocarbures à un monde intensif en métaux, ce qui a beaucoup d’implications. D’abord, l’énergie fossile qu’on utilisait massivement est une énergie facile à stocker en utilisant de simples cuves. En parallèle, on s’oriente vers une énergie qui est pour une partie intermittente – je pense notamment aux énergies renouvelables – qui va être diluée dans l’espace, et qui est plus complexe à stocker. Ce changement demande beaucoup de matériaux aussi bien pour la production directe de l’énergie que pour la distribution et le stockage. Dans ce contexte, les matériaux et métaux qui vont être stratégiques pour les États ne seront plus les mêmes. Évidemment ce ne sont plus les hydrocarbures, mais on parle davantage de lithium, cobalt, le nickel et d’autres comme les aimants permanents que l’on retrouve dans les éoliennes et voitures électriques, dans ce cas il faudra plus de néodyme.
Ce changement de paradigme énergétique s’accompagne d’une révolution géopolitique. Ce ne sont plus les mêmes acteurs qui vont avoir les leviers. C’est un contexte où désormais la Chine se trouve en position de force parce qu’elle maîtrise non seulement une partie de la production sur son sol, mais aussi parce qu’elle maîtrise le raffinage. Exemple concret, les Américains qui ont pris conscience de leur dépendance ont voulu rouvrir des mines, mais pour l’instant ils sont incapables de raffiner les terres rares, donc les minerais qui sortent de ces terres vont en Chine pour être raffinés. En revanche, l’Europe est dans une position de grande faiblesse, nous le voyons davantage aujourd’hui. Nous sommes encore dépendants des pays de l’Opep et autres pays producteurs des hydrocarbures, nous n’avons quasiment pas de production sur notre sol, pas de raffinage, alors que nous avons besoin de cet ensemble pour pouvoir tenir nos engagements dans le cadre de la transition énergétique.
EM : Comment s’explique ce retard et cette situation de dépendance, que ce soit à l’échelle européenne ou en France ?
Nous avons été naïfs durant plusieurs décennies. Nous étions confiants dans l’idée que le marché allait réguler les prix, qu’en fonction des besoins les prix de ces matériaux varieraient et que les pays producteurs allaient augmenter leur production pour parvenir à un équilibre. Nous avons également pendant plusieurs années privilégié la performance financière, qui consiste au « zéro stock ». À mon avis, nous n’avons pas compris que cette main invisible du marché n’était pas totalement fiable, et qu’on vivait une parenthèse de l’histoire avec un monde stable, prévisible, de laquelle nous sommes en train de sortir.
Nous voyons clairement une rivalité États-Unis/Chine, dorénavant très visible sur les chaînes de valeur. Les États-Unis ont passé des textes qui interdisent aux ingénieurs américains de ne plus travailler en Chine dans les domaines critiques. Jusqu’à présent nous avons vécu dans un monde mondialisé, encadré par les règles qui permettaient de se reposer sur l’aspect juridique et nous pouvons penser qu’on en sort actuellement. L’exemple le plus récent c’est la guerre en Ukraine. La Russie a décidé que l’approvisionnement en gaz est désormais payé en rouble, ce qui n’est pas écrit initialement dans les contrats signés. Ceux qui s’y opposent n’ont plus de gaz russe.
EM : Pour sortir de cette dépendance l’Europe a déclaré en ce début d’année sa volonté de s’approvisionner en métaux stratégiques. Où en sommes-nous actuellement ?
La situation évolue en Europe, il y a eu des annonces récentes qui sont assez symboliques. L’ouverture d’une mine de lithium dans l’Allier en France, en fait partie. Depuis une trentaine d’années nous avons fermé presque toutes les mines en France, et pour la première fois on ouvre une nouvelle. Ce n’est pas négligeable même s’il faut encore attendre que le processus aboutisse à l’ouverture de la mine. En parallèle, il a été annoncé l’ouverture d’une usine de raffinage en Alsace, ce qui prouve que nous avons pris en compte une autre dimension du problème.
L’autre annonce qui n’est pas des moindres, c’est le développement d’une filière recyclage par Eramet. Certes le recyclage ne règle pas tous les problèmes, mais c’est une brique indispensable, à la fois pour la transition écologique et pour répondre aux problèmes d’approvisionnement parce qu’il y a des métaux qu’on ne produira jamais en Europe, qui ne figurent pas dans les ressources connues du sol européen. Donc il y aura un fort enjeu de recyclage des métaux qui arrivent en Europe via différents produits.
EM : Qu’est-ce qu’apportera concrètement le projet de mine dans l’Allier à la France ?
Les quantités annoncées pour ce projet ne sont pas ridicules, on s’attend à des quantités qui devraient nous permettre de produire 700 mille véhicules par an, ce qui répond à une part importante des besoins français mais ce n’est pas l’autosuffisance totale, qui ne serait pas atteignable dans tous les cas pour tous les minerais. Toutefois, ce type de projets permet d’éviter une situation de forte dépendance et sans alternative. Autrement dit, on ne sera jamais souverain sur tout même à l’échelle européenne, mais il faut veiller à avoir d’autres solutions, par exemple si demain la Chine décide d’envahir le Taïwan et de contrecarrer les sanctions occidentales en interdisant l’exportation des terres rares, on n’aurait pas de solution pour minimum une dizaine d’années. Le deuxième risque c’est la remontée des chaînes de valeur comme le fait la Chine, les pays qui disposent des matières premières au lieu de les vendre à bas prix, ils préfèrent développer l’industrie sur leur sol, au lieu de vendre du lithium ils vont vendre des batteries, ensuite au lieu de vendre des batteries ils vont vendre des voitures électriques.
EM : Est-ce que cette première autorisation d’activité minière est un signal pour la relance d’autres projets ?
Cette autorisation je l’interprète comme un début d’une nouvelle ère industrielle. Il faut rappeler que nous avons relancé l’exploration en France puisqu’on connaît assez mal notre sol et sa composition au-delà de quelques centaines de mètres de profondeur. Donc il y a sans doute des choses à chercher dans ce sol, qui sont pertinentes à nos besoins actuels, notamment en matière de transition énergétique.
EM : Qu’est-ce que cette relance des activités minières implique en termes d’enjeux écologiques et sociétaux ?
Les activités minières posent certainement des problématiques environnementales. Toutefois, en tant qu’Européens nous devons prendre conscience des nuisances liées à notre production, mais nous devons aussi prendre en considération les conditions dans lesquelles les outils qu’on importe sont produits. Les panneaux solaires qu’on achète en Chine sont produits avec de l’énergie très carbonée, majoritairement à base de charbon. On ne sera jamais cohérent et on n’atteindra jamais nos objectifs si on se contente de fermer les yeux sur un impact environnemental qui se passe loin de chez-nous plutôt que de mettre en place les exigences environnementales que l’on veut avoir sur notre sol et de les respecter.
Puis l’autre enjeu qui accompagne l’aspect environnemental, c’est celui de l’acceptabilité sociétale. On observe dans tous les pays où le mode de vie progresse, un niveau d’acceptabilité des activités minières qui diminue. Cela peut être un facteur d’échec de ce type de projets. À mon sens, pour ces premiers projets en France, il faut observer attentivement la façon dont ces projets vont se dérouler.
EM : Comment peut-on accroître cette acceptabilité ?
Les problèmes d’acceptabilité surgissent dès lors que le projet arrive à une étape d’installation concrète sur un territoire donné. Pour les rendre plus acceptables, il faut d’abord avoir des exigences élevées au niveau environnemental. Ensuite, il faut accroître l’accès à l’information et la concertation autour de ces projets qui sont des conditions nécessaires. Il faut véhiculer l’idée que notre mode de vie actuel a des impacts, et qu’il faut être cohérent et assumer les nuisances dont nous sommes à l’origine pour pouvoir les contrôler et y remédier.
EM : Est-ce que l’ensemble de ces mesures qui visent à accompagner l’électrification, ne seraient pas à contre-courant de la volonté de sobriété énergétique, récemment affichée par le gouvernement ?
Ce n’est pas à contre-courant, je pense qu’il est nécessaire de mener les deux conjointement. Nous n’allons pas résoudre tous les problèmes par la force des technologies uniquement, par exemple il faut combattre l’idée de remplacer un SUV diesel par un SUV électrique ça ne marchera pas, il faut aussi de la sobriété. Si nous voulons réduire notre consommation énergétique, il faudra piloter production et consommation, et pour y parvenir nous allons dans ce cas avoir besoin des technologies.
Pour être plus vert, il faut électrifier nos modes de vie, et cela demande de la technologie dont la production de batteries, nous allons aussi devoir utiliser une palette élargie d’éléments chimiques et cela va demander des activités minières. Donc la sobriété et les avancées technologiques sont des chantiers à mener de façon globale et complémentaire.