Sur la plateforme luxembourgeoise de Bettembourg, les remorques de poids lourds sont chargées en épis sur les wagons à plancher pivotant conçus par Modalohr, filiale de l'alsacien Lohr. Avant le départ quotidien vers Le Boulou (Pyrénées-Orientales) programmé à 17 h 00, les techniciens contrôlent la hauteur du chargement : la distance entre le bas du wagon et la voie a été réduite à 15 cm pour que les trains puissent emprunter le réseau existant. Capable d'acheminer 40 remorques par voyage, le convoi arrivera à destination quinze heures plus tard, soit un gain entre deux à sept heures par rapport à la route.
Mis en service en septembre 2007, quatre ans après la première expérimentation d'autoroute ferroviaire (AFA) entre Aiton (Savoie) et Orbassano (province de Turin), la liaison Bettembourg-Le Boulou va tester l'efficacité du système sur 1 060 km, soit une distance correspondant au segment de marché sur lequel le fret ferroviaire est généralement considéré comme compétitif par rapport à la route. Sur le plan environnemental, la ligne étant électrifiée sur presque tout le parcours, l'intérêt est mesurable.
Pour un semi-remorque transporté par Lorry-Rail, la société qui exploite la ligne1, l'économie pour un aller simple se chiffre à une tonne de CO2, 7,52 kg d'oxydes d'azote (NOx), 2 kg de monoxyde de carbone (CO), 210 g de microparticules (PM10) et 260 g de composés organiques volatils (COV). Des chiffres calculés à partir de la méthodologie européenne Copert. Toutefois, le conseil économique et social de Lorraine souligne « la portée limitée du système de report modal qui permettra aux alentours de 2015 de retirer quotidiennement de l'axe Nord-Sud 600 camions dans chaque sens. Actuellement, 6 000 poids lourds traversent chaque jour la Lorraine dans chaque sens, dont 1 500 en grand transit international. » Pour autant, ce nouveau service offre une solution alternative intéressante au traditionnel système de transport ferroviaire combiné. « En Europe, le transport combiné stagne après un développement significatif pendant deux décennies : ceci s'explique par un handicap fondamental, celui d'obliger les professionnels de la route à investir dans du matériel compatible avec les techniques ferroviaires », pointe Philippe Mangeard, le président de Modalohr. Avec le service Lorry-Rail, les remorques embarquent directement sur les wagons.
Certes, la liaison Bettembourg-Le Boulou a connu des difficultés au démarrage. La faute aux mouvements de grèves, aux blocages routiers, mais aussi aux travaux programmés sur les voies par la SNCF. Ces derniers ont parfois rallongé la durée du trajet de dix heures. C'est pourquoi, Lorry-Rail est aujourd'hui à la recherche d'un itinéraire alternatif dans la vallée du Rhône, la section la plus concernée par les travaux. Mais, la ligne a pris un nouveau souffle en juin avec la baisse de ses tarifs et l'augmentation du capital de Lorry-Rail de 5 à 12 millions d'euros, « une manière d'être couvert pendant la montée en charge commerciale. À terme, pour vivre sans subventions, nous devons atteindre un taux de remplissage de 80 % (contre 30 à 40 % actuellement, NDLR) », souligne Thierry Le Guilloux, directeur général de Lorry-Rail. En effet, le programme européen de soutien à l'intermodalité Marco Polo a apporté 2 millions d'euros, compensant les pertes des trois années de lancement. En septembre, un second départ quotidien est programmé, avec la possibilité d'embarquer des citernes de matières dangereuses.
Aujourd'hui, les principaux clients de Lorry-Rail sont hollandais, mais aussi allemands, britanniques ou luxembourgeois. Un Français, le groupe Transalliance à Nancy (5 000 personnes, 607 millions d'euros de CA en 2007) vient également de prendre des billets (lire en encadré). Le directeur général de Lorry-Rail estime que ces clients « peuvent espérer jusqu'à 15 % de rentabilité s'ils sont bien placés dans l'axe de l'autoroute ferroviaire. En effet, la rentabilité dépend des longueurs du pré et du post-acheminement. Les transporteurs venant de Cologne et de Barcelone bénéficient du maximum de compétitivité. »
Conforté par les chiffres de l'AFA - 4 départs par jour, taux de remplissage de 90 % - ses promoteurs envisagent son raccordement à la ligne Bettembourg-Le Boulou. En outre, un projet d'autoroute ferroviaire reliant Lille, Paris et Hendaye est également dans les cartons. Estimés à plus de 170 millions d'euros, les aménagements nécessaires figurent parmi les priorités de l'État dans les contrats de projets 2007-2013 des quatre régions concernées.