Une congrégation religieuse propriétaire d'une île peut s'opposer au débarquement de passagers par un armement concurrent de la compagnie maritime dont elle est l'actionnaire, dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle ferait un usage abusif de son droit de propriété.
Cour de cassation (Civ. 3) 5 février 2014 Société Trans Côte d'Azur c/ association Congrégation des cisterciens de l'Immaculée Conception N° 12-20382 et 12-25219
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 mars 2012), rendu sur renvoi après cassation, (Civ. 3e , 1er juin 2011, n° 1017781), que l'association Congrégation des cisterciens de l'Immaculée Conception (la congrégation ou Ccic) a assigné la société Trans Côte-d'Azur (la société), en présence de l'État français et du Ministère public, en interdiction de porter atteinte à sa propriété en déposant des passagers sur l'Île Saint-Honorat dont elle est propriétaire, sauf autorisation, urgence avérée ou exigences de sécurité ; que l'association pour la protection du site classé et exceptionnel de l'Île Saint-Honorat est intervenue volontairement à l'instance et a repris les demandes de la congrégation ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de la congrégation, alors, selon le moyen :
1°/ que l'usage du droit de propriété ne peut se faire que dans le respect des lois et des règlements ; que les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées, de plein droit, d'une servitude légale destinée à assurer exclusivement le passage des piétons, et ce, sur une bande de trois mètres de largeur ; qu'en relevant, pour faire défense à la société Trans Côte d'Azur de déposer des piétons sur l'île Saint-Honorat, que le fonds appartenant à la Congrégation cistercienne de l'Immaculée Conception n'était pas grevé de cette servitude de plein droit, faute pour les piétons, amenés par la voie maritime, de pouvoir se prévaloir du droit de cheminement, la cour d'appel a ajouté une condition que le texte ne prévoit pas et violé les articles 544 du Code civil et L. 160-6 du Code de l'urbanisme ;
2°/ que la servitude légale de passage des piétons sur une bande de trois mètres de largeur à l'intérieur des propriétés riveraines du domaine public maritime est de portée générale, le droit de cheminement des piétons n'étant pas limité à l'existence de plages et à leur accès ; qu'en retenant, pour interdire, sur le fonds de la Ccic et dans la limite d'une bande de trois mètres de largeur, le passage aux piétons débarqués sur l'île Saint-Honorat par la société Trans Côte d'Azur et faire obstacle à leur droit de cheminement le long du domaine public maritime, que cette île ne disposait pas de plages auxquelles ces piétons pourraient avoir l'accès, la cour d'appel a ajouté une condition au droit de cheminement des piétons sur les fonds riverains du domaine public et violé l'article L. 160-6 du Code de l'urbanisme ;
3°/ que l'abus dans l'exercice du droit de propriété est caractérisé lorsqu'il porte atteinte aux droits équivalents des tiers, sans qu'il ne soit justifié d'un intérêt sérieux et légitime ; que la cour d'appel a retenu qu'il avait été décidé, dans des décisions de justice des 8 novembre 2005 et 4 juillet 2006, que le monopole du transport des passagers par la Ccic « répondait à la nécessité objective de préserver la tranquillité du site monastique et de sauvegarder l'intégrité du site classé » tandis que la société Trans Côte d'Azur entendait accroître le flux des passagers, lorsque la « nature de l'île impose qu'il soit limité » ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si, à la date à laquelle elle se prononçait, la Ccic justifiait encore de ce qu'elle respectait ces impératifs, malgré l'augmentation considérable du nombre de touristes reçus par elle et l'accroissement, de ses propres activités commer-ciales comme du chiffre d'affaires en résultant, et si l'intérêt sérieux et légitime constitué par sa vocation monastique et la protection du site subsistait et justifiait l'interdiction faite aux touristes transportés par la société Trans Côte d'Azur, de débarquer et de cheminer sur le pourtour de l'île et les chemins ouverts au public, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 544 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu, par une appréciation souveraine des éléments soumis à son examen, que l'intrusion sur la propriété de la congrégation des touristes débarqués en nombre sur l'île était inévitable eu égard à la configuration des lieux, la cour d'appel a pu en déduire, abstraction faite d'un motif erroné relatif à la servitude de cheminement, que la congrégation était fondée à s'opposer au débarquement de passagers par la société ;
Et attendu, d'autre part, que n'ayant pas soutenu devant la cour d'appel que la congrégation avait abusé de son droit de propriété et que cet abus était susceptible de faire obstacle à sa demande, le moyen, pris en sa troisième branche, est nouveau, mélangé de fait et de droit ;
D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé au surplus ;