Accueil > Actualités > Mobilité > Tribune | « Et si le prolongement de la durée de vie des batteries électriques bousculait le modèle de l’industrie automobile ? »
Dans cette tribune, Laurent Martin, spécialiste de la mobilité électrique chez Segula Technologies, groupe d’ingénierie français, s’interroge sur les défis posés par l’allongement de la durée de vie des batteries électriques.
En quelques années, les fabricants de batteries et chaînes de tractions pour véhicules électriques ont réussi à prolonger sensiblement la durée de vie de leurs produits. Jusqu’à leur faire dépasser l’espérance de vie du véhicule lui-même ! De quoi favoriser l’émergence de l’upcycling dans l’industrie automobile.
Autonomie, recyclage, coût, impact carbone… Même si leurs ventes sont en forte progression (+ 25 % au 1er trimestre 2023 dans le monde par rapport à l’année dernière), les voitures électriques restent régulièrement sujettes à de vives critiques. Dont certaines sont parfois clairement injustifiées. Prenons la question de la durée de vie des batteries lithium contenues dans ces véhicules. Contrairement à une idée reçue et partagée par une partie du grand public, leur durée de vie en bonne santé - par exemple à 80% de SOH initial (State of Health) - est aujourd’hui plutôt élevée.
800 000 kilomètres avec une batterie Tesla
Menée en 2015 puis mise à jour en 2020, une étude néerlandaise auprès d’une communauté hollando-belge de propriétaires de véhicules Tesla Model S a ainsi permis de démontrer la faible dégradation des batteries de la marque sur le long terme. Elle était d’environ 5 % au bout des premiers 50 000 kilomètres, puis de 1 % tous les 50 000 kilomètres suivants. Soit une performance supérieure à celle précédemment estimée par Tesla qui, dans son rapport d’impact 2019, estimait cette dégradation à environ 5 % sur les premiers 40 000 kilomètres, puis de 1 % tous les 40 000 kilomètres supplémentaires. Si on extrapole ces chiffres, la durée de vie d’une batterie lithium intégrée à une voiture Tesla avoisinerait donc les 800 000 kilomètres. Mieux, certaines études montrent qu’avec un usage raisonné de la recharge - en se limitant à 60 % ou 50 % de charge pleine - le maintien en bon état des batteries pourrait atteindre 3 500 000 kilomètres, voire même davantage. Comment expliquer une telle robustesse ? Principalement par les efforts menés ces dernières années par les constructeurs pour améliorer la conception de ces équipements à travers notamment la mise en place de systèmes de management (BMS). D’ailleurs cette progression technologique ne concerne pas seulement les batteries lithium. La chaîne de traction des véhicules - composée du moteur électrique et de la transmission - bénéficie également d’une espérance de vie prometteuse. Tesla estime la durée de vie en bon état de ce package à 1,6 million kilomètres. Un chiffre spectaculaire lorsqu’on sait que le kilométrage moyen des véhicules en fin de vie en Europe se situe autour de 240 000 kilomètres.
Développer l’upcycling pour les véhicules électriques
Au-delà de démontrer une certaine maturité des technologies d’électrification, ces performances représentent un sérieux défi pour l’industrie automobile. Deux options simples semblent aujourd’hui possibles pour promettre un avenir à ces équipements encore parfaitement fonctionnels : les recycler pour un usage fixe (stockage d’énergie à domicile…) ou les réutiliser dans un autre véhicule.
Plus originale, une autre piste serait de prolonger l’existence d’une voiture en proposant à son propriétaire un restylage partiel après quelques années d’utilisation. À l’image des mises à jour commercialisées par les éditeurs pour les logiciels, les constructeurs pourraient proposer des packs de mises à jour de leurs modèles. Après 10 ou 15 ans d’usage, il serait ainsi possible de moderniser son véhicule en remplaçant les pièces usées ou dépassées (carrosserie, équipements, optiques…), tout en conservant la batterie et la transmission d’origine. Cette solution serait séduisante pour le propriétaire qui disposerait, à peu de frais, d’un véhicule au look renouvelé avec une autonomie encore compatible avec la plupart des déplacements urbains. Elle est également pertinente en matière d’économie des ressources et de décarbonation du secteur de l’automobile. En effet, si la construction d’un véhicule électrique émet environ deux fois plus de CO2 qu’une voiture thermique, cette émission lors de son usage est très faible. En particulier en France où le mix énergétique est peu carboné. En limitant le renouvellement des voitures pour se concentrer sur certaines pièces, cette deuxième vie permettrait de limiter la consommation d’acier, d’aluminium ou de métaux rares par l’industrie automobile. Et donc l’empreinte carbone du secteur.
Aider les constructeurs à faire évoluer leurs modèles
Bénéfique sur le plan environnemental, cette nouvelle approche risque néanmoins de fortement bousculer les habitudes de l’industrie automobile. Les grandes marques vont devoir imaginer des solutions techniques, commerciales et opérationnelles pour répondre aux enjeux de cette seconde vie des véhicules électriques. Plutôt que de sans cesse devoir concevoir et fabriquer de nouveaux modèles, leur métier pourrait s’orienter, lors des prochaines décennies, vers le retrofit et la prolongation de la durée de vie des véhicules existants. C’est le rôle des ingénieurs de les accompagner dans ce nouveau défi.
Pour les constructeurs, il ne s’agit pas seulement d’explorer une nouvelle tendance mais bien d’engager la transition vers un nouveau modèle de pérennité économique et industriel. Chez les consommateurs la prise de conscience environnementale combinée aux phénomènes d’inflation devrait naturellement porter l’intérêt pour l’upcycling.