Climat, air, biodiversité, surpopulation... Vingt-cinq ans après la première mise en garde de la communauté scientifique, plus de quinze mille chercheurs dressent un bilan : depuis 1992, beaucoup d’aspects se sont aggravé et il est temps d’enrayer la tendance. Ils publient leur manifeste dans la revue BioScience.
15.364 scientifiques - physiciens, biologistes, climatologues, ou encore glaciologues - issus de 184 pays ont signé un manifeste, publié lundi 13 novembre dans la revue BioScience et relayé en français par le journal Le Monde, dans lequel ils poussent un cri d’alerte sur l’état de planète. Partant du constat dressé en 1992 par l’Union of Concerned Scientists et 1.700 scientifiques, ce nouvel appel dresse un état des lieux vingt-cinq ans après. « Les auteurs de la déclaration de 1992 craignaient que l’humanité ne pousse les écosystèmes au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la vie. Ils soulignaient que nous nous rapprochions rapidement des limites de ce que la biosphère est capable de tolérer sans dommages graves et irréversibles », écrivent les scientifiques dans BioScience, résolus à se « remémorer leur mise en garde et évaluer les réponses que l’humanité lui a apportées (...) ». Leur verdict : « hormis la stabilisation de l’amenuisement de la couche d’ozone stratosphérique, non seulement l’humanité a échoué à accomplir des progrès suffisants pour résoudre ces défis environnementaux annoncés, mais il est très inquiétant de constater que la plupart d’entre eux se sont considérablement aggravés. »
Les auteurs relèvent notamment l’augmentation importante des émissions de gaz à effet de serre - encore soulignée hier par la Global Carbon Project -, la sixième extinction de masse actuellement en cours ou l’augmentation de 35% de la population mondiale. « En échouant à limiter adéquatement la croissance de la population, à réévaluer le rôle d’une économie fondée sur la croissance, à réduire les émissions de GES, à encourager le recours aux énergies renouvelables, à protéger les habitats naturels, à restaurer les écosystèmes, à enrayer la pollution, à stopper la ’défaunation’ et à limiter la propagation des espèces exotiques envahissantes, l’humanité omet de prendre les mesures urgentes indispensables pour préserver notre biosphère en danger », estiment les scientifiques signataires.
Une remise en question de nos sociétés
Par ce manifeste, la communauté scientifique compte atteindre les responsables politiques mais aussi les citoyens, qui doivent « exiger de leurs gouvernements qu’ils prennent des mesures immédiates ». Cet appel insiste sur l’urgence d’agir pour le bien des générations actuelles et futures. « Il est également temps de réexaminer nos comportements individuels, y compris en limitant notre propre reproduction (l’idéal étant de s’en tenir au maximum au niveau de renouvellement de la population) et en diminuant drastiquement notre consommation par tête de combustibles fossiles, de viande et d’autres ressources », estiment les scientifiques, qui soulignent néanmoins les progrès effectués notamment concernant la lutte contre la pauvreté et la famine, l’éducation des femmes ou la croissance du secteur des énergies renouvelables. « Nous avons beaucoup appris depuis 1992, mais les avancées sur le plan des modifications qu’il faudrait réaliser de manière urgente en matière de politiques environnementales, de comportement humain et d’inégalités mondiales sont encore loin d’être suffisantes », ajoute le manifeste.
Treize mesures « efficaces et diversifiées »
Pour enrayer la tendance, les signataires proposent donc une série de treize mesures « efficaces et diversifiées », parmi lesquelles, « développer et adopter des instruments politiques adéquats pour lutter contre la défaunation, le braconnage, l’exploitation et le trafic des espèces menacées », « promouvoir une réorientation du régime alimentaire vers une nourriture d’origine essentiellement végétale », « réduire encore le taux de fécondité en faisant en sorte qu’hommes et femmes aient accès à l’éducation et à des services de planning familial, particulièrement dans les régions où ces services manquent encore », « concevoir et promouvoir de nouvelles technologies vertes et se tourner massivement vers les sources d’énergie vertes tout en réduisant progressivement les aides aux productions d’énergie utilisant des combustibles fossiles », ou encore « restaurer sur une grande échelle les communautés de plantes endémiques, et notamment les paysages de forêt ».
Rappelant à nouveau que les mêmes mises en garde avaient été formulées il y a vingt-cinq ans, les scientifiques concluent qu’il « sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec (...) » : pour eux, il s’agit de « prendre conscience, aussi bien dans nos vies quotidiennes que dans nos institutions gouvernementales, que la Terre, avec toute la vie qu’elle recèle, est notre seul foyer ».