Environnement Magazine : Dans un courrier daté du 19 juin, 14 collectivités appuyées par 4 ONG (1) mettent Total en demeure de rendre son plan de vigilance conforme aux exigences légales (2). En quoi ce document pèche-t-il ?
Paul Mougeolle : Interpellé en octobre 2018, Total a enrichi, en mars 2019, son plan de vigilance d’éléments sur le climat. Sans réellement l’infléchir. L’objectif de neutralité carbone en 2050 n’y figure pas. Réduire de 1 % par an la consommation d’énergie des sites pétroliers et gaziers de 2010 à 2020 est dérisoire. La volonté de croître dans le gaz s’oppose aux objectifs de l’Accord de Paris, dont le respect passe par la transition vers les renouvelables.
Lors d’une rencontre avec le Pape François, le 14 juin, Total et d’autres majors ont fait valoir qu’il revient au consommateur, émetteur de gaz à effet de serre (GES), de contribuer financièrement à la recherche sur les technologies de capture et de stockage du carbone. Une voie très coûteuse et incertaine, qui détourne du changement de modèle à engager au plus vite. L’entreprise s’entête à investir dans les fossiles en Afrique, où le solaire offre un potentiel immense et assurant un rendement identique à celui des hydrocarbures. Elle persévère dans des énergies qui nous mènent droit dans le mur.
La rencontre du 18 juin avec le président du groupe n’a pas rapproché les points de vue ?
Patrick Pouyané ne s’est pas engagé à réduire la production d’hydrocarbures. Il persiste dans le double discours qui affiche une politique cohérente avec l’objectif de 2°C en 2100, quand l’investissement porte quasi-exclusivement sur les hydrocarbures (3). Nous évaluons la contribution des activités mondiales du groupe aux deux-tiers des émissions nationales de GES, le président les ramène à 10 %. Total dissimule dans des annexes aux comptes consolidés sa référence au New Policies Scenario de l’Agence internationale de l’énergie, qui mène à un réchauffement compris entre 2,7 et 3,3°C. Cette référence vise peut-être à rassurer les actionnaires car ce scénario tend à garantir que les actifs ne se déprécieront pas.
On s’oriente donc vers une assignation devant le tribunal de grande instance, visant à rendre opposable à un acteur privé l’article 2 de l’Accord de Paris, où est cité l’objectif de 2 voire 1,5°C ?
La mise en demeure donne trois mois à l’entreprise pour revoir sa copie. Si elle était assignée, la procédure durerait au minimum deux ans. Total a une responsabilité historique et connaît de longue date le risque climatique lié aux énergies fossiles. Les collectivités agissent localement, les multinationales ont à le faire à leur échelle. Celles des pays du Nord se doivent d’être proactives. Notre affaire à tous et les Eco Maires appellent les élus, de tous pays, à rejoindre la démarche. Total se justifie par la nécessité d’approvisionner les clients, pointant les constructeurs automobiles.
A l’automne, Notre affaire à tous publiera les résultats de l’étude de conformité aux objectifs climatiques des plans de vigilance des entreprises du CAC 40. C’est toute l’industrie française qui doit rehausser ses ambitions.
1 : Arcueil, Bayonne, Bègles, Bize-Minervois, Champneuville, Correns, Est Ensemble, Grande-Synthe, Grenoble, La Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran, Vitry-le-François, soutenues par Notre affaire à tous, les Eco Maires, Sherpa et ZEA. 2 : Loi du 27/03/17 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. 3 : 9,2 mds $ dans la recherche-production d’hydrocarbures (hors acquisitions) contre 0,5 md $ dans le secteur décarboné en 2018, pointe le rapport « Total : la stratégie du chaos climatique », publié fin mai par Notre affaire à tous, 350.org et les Amis de la Terre France.