Aucune des 25 multinationales scrutées par Notre affaire à tous ne se conforme à la loi sur le devoir de vigilance de mars 2017 et à la Charte de l’environnement de 2005, selon le rapport publié le 2 mars par l’association. Les carences des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre pourraient leur valoir une assignation devant le tribunal judiciaire, après celle engagée fin janvier contre Total.
L’étude de Notre affaire à tous exploite les documents de référence transmis par les sociétés cotées à l’Autorité des marchés financiers en 2019 (rapport de gestion, comptes consolidés, déclaration de performance extra-financière, plan de vigilance). Ces données sont analysées au regard de la loi sur le devoir de vigilance de mars 2017 et de la lecture de la Charte de l’environnement qu’a faite en 2011 le Conseil constitutionnel, soit « une obligation de vigilance environnementale générale », pose le juriste Paul Mougeolle, coordonnateur du benchmark.
Le risque climat minoré
Du « greenwashing » (Carrefour, Total) à « la stratégie d’expansion (…) incompatible avec l’Accord de Paris » (ADP) en passant par des bilans carbone incomplets (une société sur trois) et des mesures climatiques « hypothétiques » (Arcelor) ou axées sur l’énergie « bas carbone » que serait le gaz naturel (Air liquide, Total), le tableau général est accusateur.
Dix sociétés n’évoquent même pas le climat dans leur plan de vigilance – y compris la mieux notée (Schneider Electric avec 77,5/100). Un blanc confondant sur ce « macro-risque social et environnemental », chez des acteurs étudiés précisément car ils sont très émetteurs. Par secteur, la moyenne varie de 32,5/100 pour la construction à 47,5 pour les transports. Une société sur cinq atteint la moyenne, quand seul le 100/100 garantirait le respect de la loi sur le devoir de vigilance.
« Tant qu’aucune autorité ne se préoccupe du contrôle de la loi, on s’en arroge le droit, déclare Paul Mougeolle. Il conviendrait qu’un groupe d’experts, tel que le Haut conseil pour le climat, soit chargé de veiller à sa bonne application. » Le texte permet aussi aux associations de solliciter du juge une injonction à la mise en conformité des contrevenants.
L’objectif de 1,5°C éludé
Seules quatre sociétés font état de l’impact climatique de leur activité (ArcelorMittal, Auchan, Danone, Schneider). Aucune « n’a mis en place une stratégie (…) en lien avec une trajectoire 1.5°C »3, alors même qu’il s’agit « du cœur de la loi » de 2017, pointe le rapport.
Pour Notre affaire à tous, cette « loi pionnière » enjoint aux multinationales de réduire « les émissions directes et indirectes (des) filiales et (des) chaînes de sous-traitance ». Si tous les groupes affichent des objectifs et des résultats pour les émissions directes des activités (scope 1) et, pour la plupart, pour les rejets indirects liés à l’énergie consommée sur les sites (scope 2), tous pèchent sur l’impact indirect dû à l’usage de leurs produits et services, partiel voire inexistant (banque-assurance, Airbus, Auchan, Engie, PSA, Total). Pour la majorité, ce scope 3 est pourtant la source majeure d’émission.
1 : 1,157 milliard de tonnes eq CO2 contre 445 Mt eq CO2 en 2018 2 : 3,549 milliards de tonnes eq CO2 en 2018 pour les 25 entreprises, dont plus de 2 milliards pour les banques évaluées par les Amis de la Terre et Oxfam (BNP, Crédit agricole, Société générale et BPCE) sous l’angle des émissions directes et indirectes, incluant celles issues de leurs activités de financement et d’investissement. 3 : trajectoire associée à 50 % de chance d’un maintien du réchauffement inférieur à 1.5°C (et à 85 % de moins de 2°C), du fait d’aléas inhérents à tout scénario de réduction de GES.