Le photographe et réalisateur Yann Arthus-Bertrand est connu pour ses prises de position écologistes. En pleine préparation de son nouveau film, « Legacy », il nous livre son analyse de la crise sanitaire et économique actuelle, tout en esquissant quelques solutions de sortie de crise. Trois questions à l’auteur du best-seller « La Terre vue du ciel », qui dirige aujourd’hui la Fondation GoodPlanet.
Environnement Magazine : Quel regard portez-vous sur la crise du Covid-19 ?
Yann Arthus-Bertrand : Le confinement a été une période incroyable, parce que nous avons mis notre vie entre parenthèses pendant plusieurs semaines. Il n’y avait plus d’avions, plus de voitures… Personne n’avait anticipé cette situation exceptionnelle. Pendant cette période, les gaz à effet de serre ont diminué de 5 %. Or, c’est cette trajectoire d’émission qu’il faut suivre si l’on veut respecter les Accords de Paris. Le confinement a montré que lorsqu’il y a de la volonté politique, on peut influer sur le cours des choses. La crise actuelle est aussi l’occasion de réfléchir à la fragilité de la vie et à nos relations avec les autres.
Plus globalement, cette crise nous révèle notre addiction à la croissance économique, plus qu’auparavant. Les gouvernements du monde entier veulent déjà que la machine reparte de plus belle. Les considérations écologistes apparues pendant le confinement sont maintenant mises sous le tapis, même s’il y a eu de belles avancées ces derniers mois – comme l’engouement pour le vélo, par exemple. Mais, hélas, on continue comme avant, selon le scénario « business as usual ». Or, quand on aligne les chiffres les uns à côté des autres, ça fait peur…
Que faudrait-il faire, selon vous ?
Il faut baisser drastiquement nos émissions de CO2, réduire notre consommation d’énergies fossiles, diminuer notre alimentation à base de viande industrielle, etc. Mais tout ce que l’on peut faire aujourd’hui ne produira ses effets que dans 20 ans et je crains que nous ne soyons déjà repartis vers un monde difficile et compliqué... On voit qu’il n’y a plus de limites à notre façon de vivre. Or, il faudrait réduire notre confort, accepter une certaine décroissance de nos modes de vie. Mais quel homme politique peut défendre un tel programme ? Les politiciens sont à la merci de leurs électeurs. Tous les dirigeants de la planète sont paralysés et les ministres en poste – j’en ai côtoyé quelques-uns – n’ont pas conscience des enjeux. Ils restent prisonniers d’un système économique qui montre aujourd’hui ses limites flagrantes. L’espoir subsiste néanmoins, mais il faut être plus radical.
D’où peut venir cet espoir ?
Il faut que tout le monde agisse à son niveau, selon ses moyens. J’ai par exemple arrêté de prendre l’avion. Il y a quelque chose qui se passe aujourd’hui, de l’ordre de la prise de conscience, mais elle n’est pas suffisante. Nous avons besoin d’une « révolution intérieure » pour stopper notre fuite en avant suicidaire. Nous sommes au quotidien dans la « banalité du mal » et il nous faut une radicalisation du bien. Il faut réhabiliter l’éthique, la morale, l’honnêteté. Aujourd’hui, l’espoir vient peut-être des jeunes qui s’engagent pour le climat, à l’image de Greta Thunberg. En tout cas, il faut agir. Les scientifiques nous alertent. On n’a plus le temps.