Corinne Le Caignec, sustainable solutions director de kShuttle. Crédit : kShuttle
Risque climatique oblige, les actionnaires se montrent de plus en plus attentifs aux feuilles de route environnementales des entreprises. Pour accompagner ce mouvement de finance durable, l’Union européenne travaille actuellement sur l’harmonisation des critères extra-financiers, communément appelés ESG, pour mieux évaluer ces pratiques émergentes. Éclairage avec Corinne Le Caignec, sustainable solutions director de kShuttle.
EM : Quels sont les enjeux derrière l’évaluation des critères ESG ?
Il y a une quarantaine d’années, l’entreprise mesurait ses performances à l’aune des critères financiers. Aujourd’hui avec les attentes de l’ensemble des parties prenantes, on évolue vers une nouvelle notion de la performance, qui veut s’inscrire dans un temps un peu plus long, et qui tend à élargir le rôle d’une entreprise en allant de la stabilité financière vers la prise en compte de la durabilité et le bénéfice pour le plus grand nombre. L’enjeu derrière la prise en compte des critères ESG dans le business model d’une entreprise et dans son pilotage, c’est surtout la répartition de la valeur au plus grand nombre, et l’inscription dans un temps plus long que celui de la performance financière.
EM : Quelle est la tendance actuelle en France en matière d’évaluation ESG ?
La France a été l’une des pionnières en matière d’évaluation des critères extra-financiers. La France se penche sur ces sujets depuis vingt ans, les entreprises suivent assez bien le mouvement. Nous avons eu la loi Nouvelles Régulations Économiques en 2001, maintenant nous avons la Base de données économiques et sociales, et puis bientôt nous aurons la nouvelle réglementation européenne, qui s’appelle la CSRD. Dans ce cas, la France est très active au niveau européen et dans les comités de normalisation. Avec la CSRD, qui arrivera en 2023, la France a mis en place la Plateforme Impact pour accompagner une partie des PME.
EM : Est-ce que ces critères peuvent constituer un frein pour les PME ?
Un frein, je ne pense pas ! Toutes les petites entreprises ne sont pas les mêmes et certaines naissent déjà avec un business model orienté RSE. Donc celles-ci, sans le savoir, vont appliquer des critères de durabilité assez vite. Puis il y a les plus petites entreprises, je dirais classiques, évidemment on ne peut pas s’attendre à ce qu’elles se positionnent au même niveau de rigueur et d’exigence que les grandes entreprises qui pratiquent l’exercice depuis vingt ans. En revanche, on s’attend à ce qu’elles réfléchissent aux risques et aux opportunités liées à leur business model et qu’elles mettent deux ou trois indicateurs de suivi autour de la RSE, cela ne peut que leur être bénéfique pour la suite de leur développement.
EM : Est-ce qu’on peut s’attendre à ce que le niveau d’exigence de ces critères s’intensifie progressivement ces prochaines années ?
Oui. Par exemple, la CSRD est plus exigeante que la NFRD actuelle. Toutes les entreprises éligibles vont faire l’objet de vérification par un organisme tiers et travailler pour mettre à disposition des outils fiables et auditables. C’est une montée d’exigence au niveau de l’Europe, mais la France avait déjà franchi ce pas. Cette nouvelle exigence était déjà incluse dans le droit français, donc l’écart sera plus important pour beaucoup de sociétés européennes mais va l’être moins pour les sociétés françaises qui ont déjà pratiqué l’exercice. Cette montée d’exigence aura aussi un impact sur le reporting RSE, qui n’est pas encore assez structuré, aussi rigoureux que le reporting financier. On essaie d’aller sur un alignement des pratiques entre finance et extra-finance.
EM : Est-ce que les critères ESG se substituent à la RSE ou l’accompagnent ?
Ces sujets sont assez complémentaires. La RSE, c’est la mise en œuvre du développement durable au sein de l’entreprise, donc on se focalise sur le business model. C’est l’articulation de ce business model avec son environnement extérieur et les parties prenantes qui va établir une stratégie RSE pour intégrer des critères propres à l’entreprise mais aussi qui permettront le dialogue, et la comparaison entre les pairs dans cet univers. La RSE, c’est la vision disons interne, où nous allons donner la priorité aux problématiques spécifiques, alors que les critères ESG sont plutôt orientés finance. Mais, au bout du compte, ils se retrouveront sur le même tableau et se compléteront.
EM : Quelles sont les pénalités que peuvent avoir les entreprises qui ne respectent pas ces performances ?
Il peut y avoir des mouvements de désinvestissement face à des entreprises qui resteraient scotchées dans un business model qui produirait des externalités négatives. Dans ce cas, faut-il se désengager brutalement ou faut-il accompagner de près ces entreprises vers un modèle durable ? Là il y a deux écoles, il y a des sociétés qui se désinvestissent par exemple de tous les assets (actifs, ndlr) carbone et puis il y a celles qui se donnent l’objectif de les aider car le service qu’elles rendent est assez indispensable à une grande partie de l’humanité. Puis il y a d’autres acteurs qui peuvent être sensibles aux externalités négatives et là ce sont les consommateurs. Ils se détournent complètement des produits qu’ils ne considèrent pas comme éthiques. La performance extra-financière n’est plus réservée qu’aux actionnaires, tout le monde la regarde et c’est pour ça qu’il faut la mesurer convenablement avec de bons outils.
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Article publié dans
Environnement Magazine n° 1792.