Franck Annamayer, président de Sonergia. Crédit : Sonergia
Près de 50.000 logements sont exclus du marché locatif selon les derniers chiffres communiqués par l’Ademe. Une situation qui pourrait inciter les bailleurs privés à se séparer de leurs logements en l’absence de solutions technico-économiques acceptables. Pour Franck Annamayer, président de Sonergie, il est nécessaire de « les accompagner dans un positionnement « Gagnant-Gagnant » avec leurs locataires ».
Depuis le 1 er janvier 2023, près de 50 000 logements sont exclus du marché locatif selon les derniers chiffres communiqués par l’Ademe et le ministère de l’Écologie. Pourquoi ? Parce que leur consommation d’énergie excessive ne leur permet plus de répondre aux critères de décence du logement tels que définis par la Loi. La première étape des interdictions de location et de lutte contre l’indécence énergétique est donc franchie. Une mesure nécessaire pour atteindre les objectifs de la transition énergétique, mais qui pourrait laisser les bailleurs privés sur le bord de la route, voire les inciter à se séparer de leurs logements en l’absence de solutions technico-économiques acceptables. Alors sommes-nous dans une impasse et le marché des biens à la location est-il inexorablement appelé à décroitre face à ces interdictions de location ?
En France, le nombre de passoires thermiques c’est-à-dire de logements dans les classes F et G du DPE oscille entre 4,8 et 7 millions selon les critères pris en compte. Un chiffre dans tous les cas bien trop significatif pour être compatible avec l’objectif de neutralité carbone que la France s’est fixé mais avant tout avec le portefeuille des ménages appelés à chauffer ou rafraîchir ces logements. Selon les dernières estimations de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), environ 50% des personnes vivant dans ces passoires thermiques se trouvent en situation de précarité énergétique et ce chiffre est encore plus significatif au sein des locataires.
Afin d’y remédier et faisant le constat que les seules incitations financières n’y suffisaient pas, la Loi dite Climat Résilience est venue cranter une trajectoire d’interdiction pour les logements les plus consommateurs. Il n’était cependant pas question de cibler les propriétaires occupants qui restent libres d’habiter dans leur logement indépendamment de ses performances mais d’imposer des exigences envers les propriétaires bailleurs et donc concrètement les logements mis à la location.
50 000 logements seraient concernés en ce 1er janvier 2023, 840 000 de plus au 1er janvier 2025 (étiquette G du DPE) et 1,2 million au 1er janvier 2028 (étiquette F). Si des actions ont été entreprises depuis de nombreuses années pour rénover ce parc locatif privé énergivore, ce segment continue d’être mal appréhendé et nombre de propriétaires reste à adresser pour les embarquer dans un parcours de travaux. L’équation n’est en effet pas évidente : il est demandé à des propriétaires d’engager des travaux de rénovation énergétique dont ils n’en tireront apparemment pas de bénéfices directs ! La baisse de la facture d’énergie et l’augmentation du confort seront en effet à l’avantage du locataire et si le propriétaire peut espérer augmenter la valeur verte de son bien ou encore baisser le taux de rotation de ses locataires, l’investissement financier peut sembler disproportionné face à ces maigres atouts.
Tout l’enjeu est donc d’encourager et même de convaincre les propriétaires bailleurs d’entreprendre des travaux de rénovation, idéalement performants, afin que ces logements ne disparaissent pas du marché locatif. Ce serait sinon contre-productif en aggravant une situation locative déjà tendue dans de nombreuses métropoles françaises. Et sur la notion de performance, elle est essentielle dans le contexte actuel où les rénovations par gestes ne suffisent plus : le peu d’économies réalisées est effacé en quelques mois par l’augmentation des prix de l’énergie. Les locataires risquent de retomber rapidement dans la précarité énergétique et les propriétaires bailleurs d’être rattrapés quelques années après par les prochaines interdictions de location. Alors autant viser la performance, qui sera par ailleurs techniquement et économiquement bien plus efficace si les travaux visent une rénovation globale (en 1 fois ou via un parcours de 3 gestes maximum).
Trois étapes à suivre
Pour arriver à solutionner cette question de la rénovation du parc locatif privé, une démarche en 3 étapes semble adaptée. Il convient tout d’abord de repérer les besoins des propriétaires bailleurs et des locataires et de leur proposer des actions ciblées d’information et de sensibilisation. Toutes les aides ne sont en effet pas disponibles pour ces deux publics et très souvent la majorité des communications est orientée vers les seuls propriétaires occupants. Il existe donc un déficit d’information qui ne peut qu’être défavorable à l’engagement des démarches de travaux. Combien de propriétaires bailleurs savent par exemple que le déficit foncier a été doublé fin 2022 ? Et concernant les locataires, savent-ils qu’ils peuvent engager un certain nombre de travaux à leurs frais avec l’accord tacite de leur propriétaire ?
Dans un second temps, il faut embarquer le couple bailleurs-locataires dans un parcours « travaux et sobriété » en pleine coordination avec les guichets du service public France Rénov’. S’il est nécessaire de réduire durablement les besoins en réalisant des travaux de rénovation énergétique, notamment sur l’enveloppe du logement via l’isolation, la dimension de l’usage ne peut être mise de côté. Qui n’a pas entendu parler de l’effet rebond visant, une fois les travaux effectués et la facture d’énergie diminuée, à augmenter son confort en ajustant le thermomètre de quelques degrés ? Au revoir les températures de consignes à 19°C pour le chauffage et 26°C pour la climatisation…et les gains énergétiques et monétaires associés. Un accompagnement des occupants post-travaux pour qu’ils appréhendent parfaitement leur logement rénové est donc essentiel dans le climat de sobriété énergétique actuellement attendu. Enfin, il apparaît opportun d’expérimenter des démarches innovantes pour des économies durables. Le risque de non atteinte des performances escomptées constitue l’un des freins à la prise de décision de rénovation énergétique par les propriétaires. La mise en place d’une démarche de garantie de performance en rénovation est la solution répondant le plus directement à cet enjeu. Si elle est aujourd’hui pratiquée sur des opérations de grande ampleur et sous maîtrise d’ouvrage professionnelle via les CPE (Contrats de Performance Energétique), les logements individuels sont bien souvent en reste. Expérimenter à l’échelle de l’habitat individuel avec des propriétaires bailleurs non professionnels permettra de créer une preuve de concept et de conclure sur le degré de faisabilité technique, juridique et économique d’une démarche CPE sur cette cible de propriétaires.
En conclusion, oui les interdictions de location doivent être considérées par les propriétaires bailleurs comme une opportunité d’améliorer leur patrimoine ainsi que leurs relations avec leurs locataires mais pour ce faire, ils doivent être correctement accompagnés dans un positionnement « Gagnant-Gagnant » avec leurs locataires. C’est à cette seule condition d’embarquer toutes les parties prenantes que nous arriverons à des résultats massifs sur ce parc et que nous éradiquerons définitivement la précarité énergétique.