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Accueil > Actualités > Pollutions > LES EXPERTS MÈNENT L'ENQUÊTE
POLLUTIONS

LES EXPERTS MÈNENT L'ENQUÊTE

PUBLIÉ LE 21 MARS 2012
LA RÉDACTION
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1. LA RECHERCHE DE LA PREUVE Dès qu'une question engageant une recherche de responsabilité est posée, on sort du travail de caractérisation de la pollution pour entrer dans le champ de la forensie environnementale. La recherche des indices permettant d'attribuer les torts fait appel à une multitude de domaines scientifiques. Retrouver l'origine de la contamination d'un site est rarement simple. Trouver la cause, attribuer les responsabilités et prévoir le devenir des polluants sur la base de preuves et de faits scientifiques utilisables au plan légal, c'est tout l'objet de la forensie environnementale. Selon le principe pollueur-payeur, c'est le responsable de la pollution qui finance la réparation des dommages. Comment faire appliquer ce principe si l'on ne connaît pas, avec certitude, le responsable ? Et si, dans le cas d'une installation classée (ICPE), cette responsabilité incombe au dernier exploitant, il peut toutefois souhaiter vérifier qu'il est bien le seul coupable de la contamination détectée sur son site. Cette question est particulièrement prégnante lorsque plusieurs propriétaires et activités se sont succédé sur un site industriel, ou que les sources potentielles de pollution sont multiples, comme dans les zones industrielles. L'utilité de la forensie environnementale se mesure aux enjeux parfois colossaux identifiés : enjeux financiers, puisque le coût de la dépollution peut être élevé, mais aussi environnementaux et sanitaires. Le cas d'une pollution de nappe sur la commune d'Avignon (84) l'illustre bien. Le dossier fait l'objet d'un contentieux, en cours d'instruction devant le tribunal administratif. L'identification d'une contamination des eaux souterraines par du tétrachloroéthylène a alerté la municipalité. En 2009, pour préciser l'étendue et l'origine de la pollution, la ville a mandaté la société Burgeap, qui a conclu à « la présence d'un panache de plus de 4 km de long et à une localisation probable de la zone source au droit de la zone commerciale voisine ». Un arrêté municipal interdisant la consommation des eaux de la nappe a été établi et communiqué aux populations concernées : une vingtaine de maisons non raccordées au réseau d'eau de la ville. « Nous avons investi environ 500 000 euros dans des mesures d'urgence », rapporte Thomas Redondo, adjoint au maire d'Avignon, en charge des délégations environnement et santé publique. Sur la base des études, en mars 2010, le préfet mettait en demeure l'association de copropriétaires de la zone commerciale. Celle-ci, souhaitant qu'une tierce expertise soit réalisée, a engagé un recours. Et, en février 2011, la ville d'Avignon portait plainte contre X. L'expertise est en cours. Elle a été confiée à un expert de justice, qui pourra s'appuyer sur d'autres outils de la forensie environnementale pour mener à bien ses investigations. Malgré tout, en France, le recours à ce domaine d'expertise est encore peu répandu. Et seuls quelques spécialistes communiquent sur le sujet. Ce fut notamment le thème d'un colloque organisé les 1er et 2 février derniers. Aux États-Unis, où elle est bien développée, la forensie environnementale est avant tout perçue comme une discipline scientifique. Elle s'apparente à une science transversale, un peu à l'image de la médecine, qui fait appel à différentes spécialités. En effet, dans la trousse à outils de ceux qui pratiquent la forensie environnementale, on trouve des méthodes issues de la physique, de la chimie, de la géologie, de l'hydrogéologie, de la biologie ou encore des statistiques. Certains de ces outils sont aussi utilisés pour réaliser un diagnostic de site pollué, travail plus classique dont se distingue cependant la forensie environnementale. Elle fait appel à des détails qui dépassent le standard et la routine. Et, plus généralement, si le diagnostic répond aux questions « quoi » et « où », « la forensie environnementale, sur la base du diagnostic le plus souvent, répond aux questions "quand" et "qui a pollué", en s'appuyant sur des preuves décisives », éclaire Jean-Christophe Balouet, directeur du cabinet de consultants Environnement international. Sur quel support juridique pourrait s'appuyer cette discipline en France ? Pour certains, elle pourrait se développer comme moyen de preuve en s'appuyant sur la directive européenne de 2004 sur la responsabilité environnementale (DRE). Mais celle-ci ne définit pas de règles relatives à la recherche de la preuve de l'origine des pollutions, même si elle est fondée sur l'existence d'un lien de causalité. Selon Yvan Razafindratandra, avocat au Barreau de Paris, « le cadre juridique propre au développement de cette discipline est le cadre procédural de l'expertise. Mais alors que la procédure américaine de "cross examination", où chaque partie désigne son propre expert, a stimulé le recours à la forensie environnementale, en France, la nomination d'un seul expert par le juge en réduit la portée ». De quoi se demander, comme Laurence Lanoy, du cabinet Laurence Lanoy-Avocats, si « cette discipline a réellement besoin d'un cadre support ». 2. LE RÔLE DES EXPERTS L'expert en forensie environnementale intervient dans un cadre contractuel, en soutien aux parties, ou dans un cadre judiciaire, en soutien au juge. Il doit déployer de solides compétences scientifiques et une bonne connaissance de la procédure de justice. Qu'on l'appelle expert ou spécialiste, c'est lui qui mène le volet scientifique de l'enquête. Il traque les indices et suit les pistes afin d'établir la vérité. Il doit trouver la preuve qui permet, à la manière d'une empreinte digitale, d'identifier la cause de la pollution, de trouver à qui elle est imputable et de prévoir son devenir. En France, l'expert en forensie environnementale appartient à un groupe plutôt restreint. Son travail requiert certaines qualités. En matière de contamination, cela demande déjà « une grande expérience du terrain et du travail de caractérisation de pollution et d'évaluation des risques sanitaires et environnementaux », souligne Thierry Blondel, expert en gestion de sites et sols pollués et expert de justice près la cour d'appel de Grenoble. Outre de solides compétences scientifiques, il doit avoir une bonne connaissance des procédures de justice. Il assure une veille scientifique et technologique permanente afin de « savoir quel type d'indices il peut trouver, comment et où les faire analyser », ajoute Frank Karg, expert de justice près le tribunal de grande instance de Rennes. Il est également essentiel qu'il connaisse les limites de ses compétences et celles des outils qu'il utilise. Un spécialiste en forensie environnementale doit surtout « garder les yeux et l'esprit ouvert », rappelle Jean-Louis Seveque, expert de justice près la cour d'appel d'Amiens et président de la Compagnie nationale des experts de justice en environnement (Cneje). Enfin, pour expliquer sa méthode, présenter ses conclusions et s'assurer de la compréhension de tous, il va devoir faire preuve de pédagogie. L'expertise peut être le métier du spécialiste en forensie environnementale. Le plus souvent, il exerce alors au sein d'un cabinet privé ou d'un bureau d'études, pour le compte d'un client. Ce peut être une entreprise, un organisme public, un cabinet d'assurance ou bien un avocat. « Lorsqu'un industriel fait appel à moi pour réaliser une expertise privée, c'est souvent pour vérifier le fondement des arguments qui le désignent comme responsable d'un dommage, voire si ça vaut la peine de poursuivre devant un tribunal, avoir des billes dans la discussion », observe Jacques Martelain, expert privé et expert de justice près la cour d'appel de Lyon. L'expert en forensie environnementale peut aider les parties à établir suffisamment de preuves pour qu'elles s'accordent entre elles sans que leur dossier termine au tribunal. Son travail s'inscrit dans un cadre contractuel qui précise, outre l'accord de confidentialité, la question posée à l'expert, les limites à l'usage du rapport dans le cas où ses conclusions seraient utilisées dans une procédure de justice, ainsi qu'une estimation des délais et du coût. Mais il peut aussi réaliser une expertise à la demande d'un juge, pour l'éclairer sur une question technique, sur un terrain qui sort du domaine du droit. Il occupe alors la fonction d'expert de justice, a prêté serment et est inscrit près d'une cour d'appel ou d'un tribunal. Compétence, impartialité et indépendance par rapport à l'affaire qui lui est confiée sont attendues. À noter que, « le nombre réduit d'experts dans certains domaines d'expertise ne facilite pas l'identification d'un expert compétent et impartial », observe David Desforges, avocat du cabinet Jones Day. Classiquement, la mission de cet expert du juge consiste, dans un premier temps, à rassembler tous les éléments existants : il se rend sur le site, écoute les parties prenantes et collecte les données et études antérieures. C'est sur la base de ces éléments qu'il informe le juge et les parties des investigations qu'il doit réaliser et qu'il en estime le coût. Comme dans le cas de l'expertise privée, le coût est à la charge du demandeur. « Dans certains cas, in fine, les frais d'expertise peuvent être partagés en partie ou en totalité, selon la décision du juge », précise Jean-Louis Seveque. L'expert de justice est seul responsable des outils méthodologiques et analytiques qu'il utilise et des sous-traitants auxquels il fait appel. C'est un gestionnaire technique et économique. À l'issue de l'expertise, il rend son rapport au juge. Dans le respect du contradictoire, à toutes les étapes de son travail, il a présenté chaque pièce du dossier et chaque conclusion à toutes les parties et a écouté l'ensemble de leurs remarques. Le respect de ce principe fait la force du rapport de l'expert du juge. Mais « l'expert de justice ne dit pas le droit. C'est l'affaire du juge qui, seul, peut conclure à la responsabilité, sur la base notamment du rapport d'expertise », rappelle Renaud Chapuis, expert de justice près la cour d'appel de Bordeaux. C'est dire que la qualité de ce rapport est essentielle. « La mission dévolue à l'expert dans le processus judiciaire implique des exigences techniques garantissant la qualité du déroulement du procès et favorisant la construction de la décision du juge », rappelait à ce propos Jean-Louis Seveque, lors d'un colloque de la Cneje. 3. LES OUTILS D'INVESTIGATION En forensie environnementale, la bonne méthode, ou la bonne technique d'analyse, c'est celle qui permet de trouver la preuve et de répondre avec le degré de certitude attendu à la question posée. Le choix des outils revient à l'expert. Le plus souvent, sauf s'il identifie une preuve unique décisive, il combine plusieurs méthodes pour constituer un faisceau de preuves convergent. Sur un site contaminé, l'expert en forensie environnementale peut s'attendre à découvrir différents types d'indices, traceurs ou empreintes laissés par le polluant. Certains signes sont directs, comme les signatures chimiques et isotopiques, d'autres indirects, comme les additifs dans les essences qui sont caractéristiques d'un pétrolier. Sans oublier les bio-indicateurs, tels que les populations bactériennes, ou encore les métabolites, produits de dégradation des polluants. Pour mener son investigation, l'expert pioche dans une trousse à outils quasi infinie. En effet, le critère qui définit un bon outil de forensie environnementale n'est pas lié à un domaine limité, mais bien à sa capacité à conduire à des preuves suffisantes, au regard de la question posée. À la base de toute expertise en forensie environnementale, on trouve les études historiques, documentaires et toutes les données ayant trait au site - études géologiques et hydrogéologiques, témoignages, etc. Ces informations peuvent encore être précisées à l'aide de calculs géostatistiques et de modèles. Cependant, la recherche de preuves décisives fait souvent appel à des méthodes plus complexes. En première approche, l'expert peut choisir des techniques non invasives, comme le phytoscreening (lire encadré). Cela consiste à prélever de petits échantillons dans des arbres ou des arbustes poussant sur le site. Leur teneur en polluants est proportionnelle à celle du sol. Cette méthode permet de cartographier le panache et les concentrations. « Elle a été appliquée à la ville de Tel Aviv, sur 35 points. Trois zones de pollution aux solvants chlorés ont ainsi été identifiées en zone urbaine », illustre Jean-Christophe Balouet, directeur d'Environnement international. Parmi les outils non invasifs, on peut encore citer les méthodes géophysiques, qui permettent de caractériser les hétérogénéités du terrain. La résistivité électrique, la sismique et le géoradar figurent parmi les techniques les plus fréquemment employées. Mais « si ces méthodes sont efficaces, elles ne sont pas applicables partout », souligne Myriam Schmutz, maître de conférences à l'Ensegid de l'Institut polytechnique de Bordeaux. L'une des énigmes prégnantes en forensie environnementale est celle de la date d'émission des contaminants. Si les analyses d'une pollution par de l'essence révèlent la présence de plomb, on peut situer le début de la contamination avant le passage au carburant sans plomb. Mais pour accéder à une datation absolue, des techniques moins courantes s'imposent. La dendrochronologie ou dendrochimie, par exemple (lire encadré), qui considère les arbres comme de véritables boîtes noires enregistrant les changements du milieu. Plus l'arbre est vieux, mieux c'est. « Des lamelles fines de carottes d'arbres sont scannées par fluorescence X. Elles renseignent sur la composition multi-élémentaire du polluant », explique Jean-Christophe Balouet. Sachant que chaque cerne d'un arbre correspond à une année, on pourra caler l'apparition de la pollution dans le temps, avec une précision annuelle, voire saisonnière. Retrouver l'origine de la contamination est aussi affaire de forensie environnementale. Pour y arriver, l'expert peut utiliser des outils de géochimie isotopique. Les molécules qui composent un polluant possèdent pour la plupart plusieurs isotopes stables. La signature isotopique d'un polluant, c'est-à-dire le rapport normalisé entre deux isotopes stables d'une même molécule, est souvent caractéristique d'une famille de contaminants. Prenons le cas des nitrates, quelle que soit leur origine, ils ont tous la même composition chimique NO3. Mais « la signature isotopique d'un nitrate d'origine minérale, est significativement différente de celle d'un nitrate d'origine organique », explique David Widory, ingénieur de recherche au BRGM. Le suivi des compositions isotopiques permet ainsi, dans la plupart des cas, de remonter jusqu'à la famille source d'un polluant. Les signatures isotopiques permettent aussi de suivre d'éventuels processus affectant le polluant dans l'environnement, tels que diffusion, volatilisation ou encore dégradation microbiologique naturelle ; autant d'informations utiles pour développer des solutions de traitement in situ technico-économiquement optimisées. Lorsqu'un polluant est attaqué par des bactéries, la part des isotopes lourds des molécules augmente. « En suivant les rapports entre isotopes légers et lourds, du carbone pour les hydrocarbures, du chlore pour les polluants organohalogénés, on peut estimer la vitesse de dégradation », ajoute Frank Karg, P-DG d'HPC Envirotec SA. On trouve aussi des développements intéressants du côté de la biologie moléculaire. La qPCR (réaction quantitative de polymérisation en chaîne), par exemple, consiste à « rechercher dans l'échantillon des séquences d'ADN et d'ARN de bactéries ou de gènes codant la biodégradation d'un polluant. L'ADN indique la présence de la bactérie ou du gène, l'ARN que ces biomarqueurs sont actifs : qu'ils dégradent le polluant », explique Olivier Sibourg, gérant d'Enoveo. Pour toutes ces méthodes, « l'expert ne peut se contenter d'une information partielle, souligne Jacques Martelain, expert de justice près la cour d'appel de Lyon. Sur les PCB par exemple, dans l'optique d'une gestion du risque, une analyse des plus toxiques dans l'échantillon suffit. Alors qu'en forensie, c'est souvent l'ensemble des 209 PCB connus qu'il faut analyser. » La finesse des analyses est importante. Elle dépend des appareils, dont les performances augmentent régulièrement, mais aussi des prélèvements et de la préparation de l'échantillon. En France, nombre de laboratoires ont les compétences pour réaliser une bonne part des analyses. C'est le cas notamment de Wessling, qui développe des procédures à façon pour des échantillons « exotiques », comme les végétaux. Malgré tout, beaucoup d'échantillons partent encore à l'étranger, en Europe ou aux États-Unis, dans des laboratoires proposant une plus grande expérience et des appareils plus performants. Enfin, ces méthodes pointues et ces analyses fines coûtent cher. « Si l'on compte environ 25 euros pour une analyse classique des organochlorés dans l'eau, entre 2000 et 3000 euros sont nécessaires pour développer une méthode spécifique », illustre Jean-François Campens, directeur du site Wessling de Saint-Quentin-Fallavier. Seules exceptions peut-être, les méthodes de phytoforensie et de géophysique classiques, peu onéreuses. Donc si les enjeux peuvent justifier l'investissement, mieux vaut s'en assurer et garder à l'esprit que toute bonne expertise en forensie environnementale doit être adaptée au cas par cas.
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