Certaines fonctionnalités de ce site reposent sur l’usage de cookies.
Les services de mesure d'audience sont nécessaires au fonctionnement du site en permettant sa bonne administration.
ACCEPTER TOUS LES COOKIES
LES COOKIES NÉCESSAIRES SEULEMENT
CONNEXION
Valider
Mot de passe oublié ?
Accueil > Actualités > Pollutions > Le plan Freycinet : entre étatisme et libéralisme
POLLUTIONS

Le plan Freycinet : entre étatisme et libéralisme

PUBLIÉ LE 1er SEPTEMBRE 2014
LA RÉDACTION
Archiver cet article
Toute l'information de cette rubrique est dans : Environnement Magazine
Le magazine pour les acteurs et décideurs du développement durable et des métiers de l’environnement.
Pourquoi évoquer aujourd'hui le plan Freycinet ? Nous sommes à la fin du XIXe siècle, en plein cœur d'un tournant libéral pour les États-Unis d'Amérique et l'Europe. En 1878 exactement, en ce qui concerne le plan Freycinet. C'est aussi à cette époque – nous en fêtons très rigoureusement aujourd'hui le 132e anniversaire – qu'Ernest Renan donnait en Sorbonne son illustre conférence « Qu'est-ce qu'une Nation ? » A priori, il n'existe aucun lien entre le texte de l'intellectuel breton et le service public ferroviaire, sauf que ce discours qui traverse les âges peut se voir confier le rôle de père fondateur de la notion de Nation telle que nous la concevons aujourd'hui. Sans que nous nous en rendions compte quotidiennement, le plan Freycinet – l'on parle aussi de programme Freycinet – est au rail ce que le discours de Renan est à la Nation. Il en est partiellement le géniteur. Autre liaison avec ce discours, le rassemblement des peuples. Il est intellectuel pour Renan, mais il est tangible en ce qui concerne l'élaboration du réseau ferré français. L'économie générale des rapports contractuels entre la SNCF (Société nationale des chemins de fer français) et l'État, entre la SNCF et les collectivités territoriales, mais aussi entre la SNCF et les nouveaux acteurs économiques ferroviaires (cas du transport ferroviaire de fret suite à la transposition du « deuxième paquet ferroviaire » par la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports), n'est que l'aboutissement de deux cents années de progrès des cadres juridiques et des infrastructures. L'extrême anti-modernité cesse peut-être en juillet 1832 sur la ligne de Saint-Étienne à Lyon avec la « substitution de la locomotive à vapeur aux chevaux1 ». Cela nous montre la rapidité avec laquelle les chemins de fer se transfigurent en quelques décennies, mais aussi toute la technique qui nous sépare désormais du rail des origines. Dans une première phase, c'est-à-dire à partir des Chartes de 1814 et 1830 – une date possible pour le départ de l'ère libérale en France –, les concessions sont faites à perpétuité par ordonnances royales, la tarification est unique et rudimentaire. Le concessionnaire supporte intégralement les frais de construction et les risques, aucune garantie d'intérêt ni aucun prêt ne sont apportés. C'est le degré zéro de l'évolution du rail en France et à compter de cet état de fait les concessions deviennent temporaires et accordées par le pouvoir législatif. Le rôle de l'État ne fait que s'affermir dans les rapports avec les concessionnaires. L'on remarquera au passage la parenté directe entre les concessions d'antan et les contrats actuels de concession de travaux publics – au sens, par exemple, de l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics. Dès 1837, l'État accorde des fonds à certaines compagnies – exemple du chemin de fer d'Alais à Beaucaire – et dès 1840, par la loi du 15 juillet en ce qui concerne la compagnie de Paris à Orléans, la pratique de la garantie d'intérêt se généralise. Ce n'est véritablement qu'à compter de la Deuxième République que l'on voit apparaître une distinction entre le réseau de l'État, dit d'intérêt général, et le réseau secondaire laissé aux départements, aux communes et à l'industrie privée. Un partage des responsabilités est alors effectué pour la construction et l'exploitation des voies : l'État se charge des terrassements et des stations et il revient aux compagnies de se charger de « la superstructure, c'est-à-dire le ballastage et la pose de la voie, ainsi que la fourniture du matériel roulant2 ». Mais déjà, de grandes disparités dans les tarifs et les qualités d'exploitation des lignes se font ressentir et l'on assiste à une concentration des compagnies dont le nombre passe de trente-quatre à six sous le Second Empire. La loi du 11 juin 1859 étend un peu plus encore le recours à la garantie d'intérêt par l'État pour faire face aux déficits des compagnies. Le système, assez complexe, repose sur une garantie d'intérêt de 4 % pendant cinquante ans, avec un plafond contraignant au remboursement à l'État des produits perçus au-dessus de l'intérêt garanti, en ce qui concerne les seules lignes récentes, ce qui entraînera d'ailleurs des disparités dans les régimes applicables. C'est précisément à ce moment clé que le droit de regard de l'État sur les comptes des compagnies est devenu pratique courante. On le pressent donc intuitivement, à la faveur de ces quelques rappels historiques, que ne sont pris ni le chemin d'un étatisme pur, ni le chemin d'un ultralibéralisme, en ce qui concerne la politique ferroviaire française. La position française est à distance égale des exigences mandevilliennes – les vices privés font les vertus publiques3 – et saint-simoniennes – expression d'un libéralisme plus raisonné. I. Le risque d'asservissement des pouvoirs publics aux intérêts privés Dès le commencement du processus historique de révolution industrielle au XIXe siècle, mises en perspective dans un champ d'application scientifique mondial, les premières préoccupations du développement du rail en France sont naïves. L'on peut noter, par exemple, la division du siècle des chemins de fer en trois parties, opérée par Audiganne dans son bel ouvrage d'économie financière et industrielle des chemins de fer intitulé Les chemins de fer aujourd'hui et dans cent ans chez tous les peuples : « La première période est une période d'inventions durant laquelle s'agitent des aspirations ignorantes encore de leur but. La seconde est signalée par des études scientifiques, par des discussions multipliées qui mettent en relief de curieux côtés de la vie politique du temps. Enfin arrive l'ère des réalisations, l'ère des grandes exploitations commerciales, qui ne commence pas partout à la même heure, mais qui un peu plus tôt ou un peu plus tard, nous fait voir à l'œuvre le génie singulier de presque tous les peuples civilisés4 . » Si la nécessité d'améliorer les voies de communication est universelle chez les peuples modernes, pour ce qui est de l'exemple français, au minimum, l'on construit des voies ferrées par réaction ou imitation de ce qui se fait outre Manche. L'Europe y assiste au duel auquel se livrent les voitures à vapeur et les premières voies ferrées (les premiers rails en fer sont établis en 1776 dans une mine de Sheffield). Tout au plus, il s'agit de satisfaire quelques désirs locaux. Il est à cet égard curieux de constater que c'est le succès des initiatives locales qui provoquera une véritable réflexion nationale en matière de train, pour qu'il soit ensuite reproché à ce même élan national de ne point assez se soucier du sort des localités. Plus tard, dans la fameuse « ère des réalisations », le mal absolu semble être pour les Français l'exemple américain5 . Le contexte américain d'un pays neuf terminant son processus d'émancipation par rapport à la couronne britannique est le suivant : les voies de communication doivent être construites aussi vite que possible. Le puritanisme et l'orthodoxie libérale ne permettent qu'aux capitaux privés d'opérer cet effort prodigieux. C'est ce que le juriste Georges Burdeau nomme « la collusion de la politique et des affaires, qui fut une des tares du régime libéral6 ». Les compagnies de chemins de fer américaines en sont l'exemple, à la fois sources et dispensatrices du pouvoir : elles établissent les voies, sont propriétaires ou créanciers hypothécaires des terres mobilisées et déterminent les prix des récoltes en acceptant ou non leur transport. Les pressions sur les agences gouvernementales étaient telles que le philosophe allemand Friedrich Engels s'exprime ainsi dans une lettre à Friedrich Adolph Sorge datant du 31 décembre 1892 à propos du scandale de Panama : « les Américains ont fourni au monde européen la preuve que la République bourgeoise est la République des hommes d'affaires7 ». Fort heureusement, ce n'est pas la solution qui est retenue en 1878 par le plan Freycinet. Pourtant, nombreux sont ceux qui voient dans les « Conventions 1859 » évoquées plus haut la marque criante d'une dyarchie inégalitaire à l'avantage des milieux financiers et au détriment du pouvoir d'État. Mais s'il est certain que les auteurs du plan ne sont pas désintéressés8 – cas du libéral classique Léon Say, alors ministre des Finances et administrateur de compagnie –, il doit être clairement affirmé, du moins dans la phase préparatoire à l'exploitation des chemins de fer, que l'État fournit un cadre strict. Prenons l'exemple de la lettre adressée par le ministre des Travaux publics Charles de Freycinet aux préfets concernant l'établissement d'un réseau complémentaire aux lignes de chemins de fer d'intérêt général9 . Dans cette lettre du 3 juillet 1878, c'est tout l'esprit du plan qui est présenté : « Ce projet de loi conclut au classement de 9 000 kilomètres environ de lignes nouvelles et à l'exécution, en tout, de 17 000 kilomètres prévus, soit par le projet actuel, soit par les lois antérieures. (…) Ainsi que je l'énonce moi-même dans l'exposé des motifs, nous n'avons pas la prétention, malgré tous nos soins et malgré l'énorme développement assigné à nos voies ferrées, de réaliser tous les vœux et de satisfaire toutes les espérances qu'avaient pu concevoir les populations. Si l'on accordait tout ce qui est demandé, ce n'est pas 17 000 kilomètres, c'est plus du double qu'il faudrait construire. » Une période de dix ans et un coût estimé à plus de 3 milliards de francs sont au départ envisagés. Le réseau de la France se trouverait dès lors porté à 39 000 kilomètres, chiffre légèrement supérieur à celui des routes nationales. Ce que nous retiendrons ici ce n'est pas le fait que, ni les délais, ni les coûts, ni l'intégralité des objectifs initiaux ne furent respectés, mais plutôt la véritable procédure contradictoire qui est orchestrée par le gouvernement puisqu'en plus des discussions au Parlement, ce sont « les observations calmes et raisonnées des conseils généraux » qui sont sollicitées. Freycinet fait parvenir à tous les préfets le projet de loi alors discuté ainsi que des cartes, afin que les points fixés et d'éventuelles lignes additionnelles soient débattus. Les amendements les plus sérieux sont appuyés par le ministre des Travaux publics lui-même. II. Le pouvoir de contrôle étatique dans les processus d'élaboration et d'exploitation du rail La personnalité de Léon Say – antiboulangiste proclamé et « auteur d'un libéralisme assumé » selon le professeur économiste Paul-Jacques Lehmann –, ne suffit pas à faire échec aux velléités d'obédience colbertiste, c'est-à-dire à des mécanismes de pro-tection par les contrôles et subventions étatiques10 . Si le principe du contradictoire est assuré au stade de l'élaboration du plan Freycinet, le principe participatif est au cœur de son exécution. C'est en tout cas ce que laissent apparaître les lois du 17 juillet 1879 – le noyau dur du dispositif Freycinet – classant cent quatre-vingt et une lignes de chemins de fer dans le réseau des chemins de fer d'intérêt général, et du 18 juillet 1879 déclarant d'utilité publique l'établissement d'un chemin de fer de Saint-Nazaire à Châteaubriant. Une lecture croisée de ces deux textes permet de retracer les étapes dans la mise en œuvre du plan, à compter des études préliminaires jusqu'à l'inscription des ressources au budget de l'État. L'élément primordial de ce nouvel ordonnancement juridique ferroviaire français est le véritable pouvoir de direction de l'État en matière de chemins de fer. Ce dernier n'a d'ailleurs cessé de s'affermir depuis que « la question des chemins de fer sort, en 1835, du domaine de l'administration pour entrer dans celui du Parlement11 ». La mise en place du plan débute par un rapport de Freycinet au président de la République dès le mois de janvier 1878, selon lequel il est urgent d'instituer des commissions techniques chargées de rédiger un véritable état des lieux du secteur ferroviaire. De nombreuses études sur l'utilité des infrastructures ainsi que le recensement des intérêts militaires et commerciaux voient alors le jour. Des états des concours financiers des départements, communes et particuliers sont dressés. Viennent ici généralement en déduction desdites dépenses les montants des subventions, soit en terrains, soit en argent, qui ont été ou seront offertes par les départements, les communes et les propriétaires intéressés. Dans un second temps, pas moins de six étapes majeures constituent l'achèvement du programme : classement par une loi des nouveaux ouvrages dans le réseau des chemins de fer d'intérêt général ; achèvement des études prescrites par les lois et les règlements ; déclaration d'utilité publique des projets afin d'appliquer le régime de la grande voirie ; exécution des lignes sur autorisation du ministre des Travaux publics ; vote et application de lois spéciales – elles sont pour la plupart facultatives – sur les clauses et stipulations des concessions ; inscription des ressources extraordinaires aux budgets annuels de chaque exercice12 . C'est également un décret du 25 mai 1878, portant organisation administrative des chemins de fer rachetés et provisoirement exploités par l'État, qui fixe les régimes de responsabilité et d'exploitation du nouveau réseau. Ainsi, les travaux d'infrastructure ayant pu aboutir formeront un service distinct « confié, sous l'autorité du ministre des Travaux publics, à un conseil d'administration de neuf membres, nommés par décret du président de la République. » Toute infrastructure « restant à terminer » demeure provisoirement dans les attributions de l'administration centrale des travaux publics, chargée d'assurer son achèvement dans les meilleurs délais et conditions. À terme, l'exploitation de l'intégralité du réseau doit être prise en charge par le conseil d'administration dont les pouvoirs sont étendus en termes de recrutement des agents, de tarification – sous réserve d'homologation ministérielle –, de réglementation interne et de police, mais aussi d'administration financière13 . En conclusion, il peut être affirmé que pour appréhender dans son essence la dimension universelle de la thématique ferroviaire, il faut tour à tour se faire juriste pour analyser l'économie générale des contrats de concession, historien pour comprendre le rôle des voies ferrées dans la révolution industrielle européenne et outre-Atlantique, économiste pour juger la politique de tarification des services ferroviaires, et peut-être enfin “ferrovipathe”, parce que l'on ne comprend jamais mieux une science que lorsque l'on présente un degré d'intérêt suffisant pour aller au fond des choses. Ainsi, les faits prouvent aussi que ce plan est une tentative de dépassement des difficultés de l'industrie métallurgique tout autant que des difficultés d'une Troisième République née d'incertitudes. Se pose alors la question suivante : les voies de chemins de fer tracées dans le cadre de ce programme Freycinet ne sont-elles finalement que des “voies politiques” ?
PARTAGEZ
À LIRE ÉGALEMENT
Le Danemark crée une taxe carbone sur l’agriculture, une première mondiale
Le Danemark crée une taxe carbone sur l’agriculture, une première mondiale
Fast-déco : l’hyperproduction touche le secteur de l’ameublement
Fast-déco : l’hyperproduction touche le secteur de l’ameublement
Tribune | « Pour lutter contre les plastiques, donnons-nous de vrais moyens ! »
Tribune | « Pour lutter contre les plastiques, donnons-nous de vrais moyens ! »
PFAS : suspension de l’extension de l’activité de l’usine Daikin
PFAS : suspension de l’extension de l’activité de l’usine Daikin
Tous les articles Pollutions
L'essentiel de l'actualité de l'environnement
Ne manquez rien de l'actualité de l'environnement !
Inscrivez-vous ou abonnez-vous pour recevoir les newsletters de votre choix dans votre boîte mail
CHOISIR MES NEWSLETTERS