Dépolluer pour recycler. Comme la plupart des DEEE, les gros équipements électroménagers producteurs de froid (réfrigérateurs, congélateurs, caves à vin, climatiseurs) ont leur polluant spécifique : les flui-des frigorigènes, composés de gaz entrant dans la catégorie des déchets dangereux, qu'il est indispensable de capturer. Depuis l'interdiction des chlorofluorocarbones (CFC) en 1995, ces gaz fluorés ne doivent pas être relâchés dans l'atmosphère. Les CFC (R11 et R12) ont ainsi conditionné la mise en place d'unités de dépollution sur les lignes de broyage de GEM Froid installées en France par Veolia Environnement, Coolrec (Van Gansewinkel), Fri-com Recycling (Derichebourg), Terecoval (Comet Sambre) ou Sita DEEE.
Depuis leur interdiction, ces gaz ont été remplacés par d'autres produits. D'abord des hy dro-chlo ro fluo ro car bures (HCFC), comme le R22, qui contiennent toujours du chlore et dont la vente comme produit neuf est interdite depuis le 1 er janvier 2010, puis une nouvelle génération exempte de chlore, les hydrofluorocarbures (HFC), comme le HFC-134a, non nocifs pour la couche d'ozone. Les appareils les plus récents utilisent quant à eux des hy dro carbures, comme le cyclopentane, pour le gonflement des mousses d'isolation et l'isobutane R600, comme fluide frigorigène. Ces produits présentent néanmoins l'inconvénient d'être très inflammables (contrairement aux CFC).
Les flux d'appareils réfrigérants contenant du CFC demeurent importants malgré les 17 ans d'interdiction de la substance. « Le problème est que certains constructeurs ont continué, après 1995, à mettre du CFC dans les portes, par exemple, et on ne peut pas toujours se fier aux indications concernant les substances gazeuses pourtant inscrites sur les produits », indique Bertrand Bony, président de Fricom Recycling, filiale de Derichebourg. « On retrouve même des CFC non identifiés dans certains réfrigérateurs », confirme Arnaud Caron, responsable du site de Coolrec France, filiale du groupe Van Gansewinkel. La question d'un prétri des appareils par type de gaz contenu dans le compresseur et les mousses d'isolation ne se pose donc pas, car elle s'avère impossible en l'état actuel du gisement. Les quelque 500 tonnes de gaz (CFC, HCFC, HFC, hydrocarbures) composant le gisement français du GEM froid, sont donc récupérés en mélange.
Les mousses isolantes concentrent les gaz
La dangerosité du CFC combiné à l'inflammabilité des hydrocarbures impose à la fois l'utilisation d'un process confiné et un inertage à l'azote des chambres de broyage. En effet, une quantité trop importante d'appareils aux hydrocarbures risquerait de provoquer un incendie, voire une explosion en présence d'oxygène. Tous les opérateurs commencent par extraire le compresseur et vidanger les huiles et les gaz qu'il contient en perçant le réservoir, opération de dépollution dite de phase 1, destinée à récupérer de 15 à 25 % des fluides de l'appareil, selon les mo dèles. Les huiles et les gaz sont séparés par ultrasons et un système de refroidissement liquéfie ces derniers pour les capturer et les conditionner en bonbonnes pressurisées. Les carcasses sont ensuite orientées vers un premier broyage sous azote avec un désintégrateur à chaînes qui éclate les produits. Après ce premier broyage, s'effectue la séparation des métaux ferreux, non ferreux et plastiques. Les mousses d'isolation au polyuréthane sont alors broyées de nouveau pour récupérer le reste des CFC et autres gaz via des charbons actifs, dans la plupart des cas, à l'exception de Veolia qui a opté pour une unité de cryo-condensation avec récupération des gaz en fin de process. Quelque 200 à 300 g de gaz sont récupérés en moyenne, jusqu'à 800 g pour les appareils les plus gourmands. « La difficulté est de sortir un maximum de gaz des mousses, affirme Bertrand Bony, un tiers des gaz présents dans la carcasse s'échappe au moment du premier déchiquetage, un autre tiers lors de l'étape suivante de micronisation jusqu'à 1 mm et un dernier tiers est encore contenu dans ces particules. » Ces granulés fins de polyuréthane sont alors placés dans des cuves chauffées à plus de 138 °C et brassés pour récupérer le dernier tiers des CFC, liquéfiés pour être conditionnés en bonbonne. Sur son site d'Angers, Veolia met en œuvre une unité de cryo-condensation qui refroidit les CFC à - 160 °C pour les liquéfier et les conditionner dans des réservoirs pressurisés.
Les climatiseurs, qui ne représentent pas des quantités importantes, sont traités avec les autres appareils. « Le traitement comporte également une dépollution de phase 1 pour l'extraction des gaz, puis un broyage en mélange avec les réfrigérateurs, explique Arnaud Caron. Il y a un peu plus de pression dans un climatiseur, mais les appareils ne contiennent pas de mousses i so lantes. » Présents en quantités tout aussi faibles dans les flux, les petits réfrigérateurs à l'ammoniac (minibars d'hôtel, caravanes) ne sont traités en France que par Terecoval, compte tenu du process spécifique qu'ils réclament. « Le flux des NH3 ne représente que 1 % du flux des GEMF et il faut un volume substantiel pour les traiter, précise Christian Blanc, directeur de Terecoval. Nous avons décidé d'investir les premiers et de proposer nos services à nos confrères, qui l'ont tous accepté, sauf un ». C'est le cas de Coolrec, qui expédie ces produits vers une unité dédiée aux Pays-Bas et réfléchit à la mise en place d'une unité sur son site de Lesquin.
Opération destruction
Les unités françaises de traitement du GEM froid absorbent environ 70 appareils à l'heure . Et selon les données du rapport annuel sur la mise en œuvre de la réglementation sur les DEEE publié par l'Ademe (septembre 2011), 523 tonnes de gaz frigorigènes ont été collectées à l'issue de la phase 2 (broyage et captation) et 103 tonnes après dépollution de phase 1.
Des alternatives aux charbons actifs et à la cryocon-densation existent hors de nos frontières, mais n'ont pas été retenues par les sites français, en raison notamment de leur coût et de leur complexité. En Italie, des installations assurent la destruction des gaz en sortie de process, mais les investissements sont très importants et les prestations de traitement mieux rémunérées. De son côté, BHS-Sonthofen propose, avec un partenaire chimiste, un procédé de broyage à impact avec traitement des gaz par catalyseur, IC Process, repensé en 2010. L'un des atouts du procédé est qu'il permet de s'affranchir d'un inertage à l'azote, donc de diminuer les coûts de fonctionnement. « Il y a des installations de ce procédé en Finlande et en Allemagne, mais les capacités eu ro péennes de traitement des réfrigérateurs étant assez complètes désormais, BHS mise plutôt sur l'export pour cette technologie », indique Pascal Oswald, directeur commercial de BHS-Sonthofen France.
Le recyclage ou la régénération des gaz ne sont pas une option viable pour le secteur des DEEE. Les coûts et les conditions de traitement (captage en mélange) permettent difficilement d'envisager une autre voie que l'élimination. Pour les CFC, la question ne se pose même pas dans la mesure où la régénération est strictement interdite. Quant aux autres gaz, la récupération en mélange avec le CFC les conduit tout naturellement vers la destruction. « L'incinération est la solution de prédilection des opérateurs en France », confirme Christian Blanc. D'autant que « les mélanges contiennent quatre gaz, dont les proportions ne sont pas constantes », affirme Bertrand Bony. Les gaz sont acheminés vers une unité de déchets dangereux pour un traitement thermique à haute température. Le nombre de prestataires de traitement pour ces gaz s'est réduit comme peau de chagrin et les opérateurs de recyclage du GEM froid sont confrontés à des coûts de traitement en hausse.
Des flux difficiles à caractériser
De son côté, Coolrec explore une voie chimique pour détruire les CFC. « Van Gansewin-kel a une filière en Allemagne qui pratique la destruction moléculaire du gaz constituant le CFC avec séparation des atomes de chlore et de fluor, explique Arnaud Caron. Ces atomes peuvent alors être réutilisés dans la composition de certains produits chimiques, certains gaz. »
La question de la récupération des gaz se posera une fois disparus les flux de frigos au CFC. Les volumes de réfrigérateurs au cyclopentane suivent une croissance régulière et représentent déjà près de la moitié des flux dans cer taines zones, surtout en région parisienne. « Dans la mesure où le cyclopentane n'est pas destructeur de la couche d'ozone, l'intérêt de la récupération des gaz devra être réétudié, estime Arnaud Caron, quand on aura une proportion de 90 à 95 % de frigos au pentane, on devra peut-être revoir la conception des lignes en raison des risques plus importants d'inflammabilité. » Il n'en reste pas moins que les opérateurs sont toujours confrontés à des flux difficilement caractérisables. Il leur avait été prédit une proportion de 5 % d'équipements au cyclopentane au lancement de la filière, ils se sont rapidement retrouvés face à des taux de 25 à 30 % dans les lots ; les appareils au CFC devaient disparaître des flux progressivement, mais leur présence demeure, même si elle tend logiquement à diminuer. À terme, le traitement des appareils aux hydrocarbures pourrait s'avérer moins intéressant pour les opérateurs, la part de ferrailles tendant à diminuer dans les équipements mo dernes et les mousses étant plus complexes à traiter, en raison de l'inflammabilité. Iront-ils jusqu'à regretter la disparition programmée des vieux réfrigérateurs au fréon ? L'avenir le dira.