Cette semaine, le président de Certivéa, Patrick Nossent, revient sur les objectifs de la loi antigaspillage pour une économie circulaire dans le secteur du bâtiment. "Le développement du réemploi incite aujourd’hui les professionnels de la construction à repenser leurs modèles pour favoriser à terme le concept de bâtiment démontable", estime-t-il.
Promulguée au printemps, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire pose les premiers jalons pour notamment structurer le réemploi des ressources dans tous les grands secteurs d’activité, à commencer par celui du bâtiment. Loin de se limiter aux enjeux de recyclage auxquels on l’a trop souvent réduite, l’économie circulaire signe les prémices d’une révolution pour les acteurs du bâtiment. Rénovation énergétique, bâtiments démontables, nouvelles pratiques collaboratives, la filière se prépare à des changements structurels forts. Décryptage d’une révolution en marche.
Economie linéaire vs. circulaire : pourquoi ça change tout
L’économie circulaire est une vision transverse, un changement de paradigme dans l’approche globale de l’économie et de la consommation fondée sur la nécessité – ou plutôt l’urgence – à limiter l’extraction des ressources primaires. Elle constitue une composante essentielle du développement durable.
Dans sa vision linéaire actuelle, l’économie se schématise en trois temps, avec un début et une fin : production – consommation – mise au rebus. A chaque extrémité de cette chaîne s’exerce une pression sur la planète : d’une part le prélèvement de matériaux primaires dont les gisements s’épuisent, et d’autre part l’accumulation de déchets responsables de pollutions.
Dans une approche circulaire de l’économie, ces déchets deviennent des ressources. Mais il serait dangereusement réducteur de penser que le recyclage serait l’alpha et l’oméga de l’économie circulaire. Il s’agit en réalité plus globalement de structurer toute la chaîne économique pour limiter cette pression exercée sur la planète en réduisant les flux à toutes les étapes de la chaîne économique.
Le secteur du bâtiment et des travaux publics, dont on sait qu’il est l’un des plus voraces en énergie, est aussi le plus gros émetteur de déchets en France. Chaque année, il génère plus de 225 millions de tonnes de déchets dont seule la moitié est valorisée. Le secteur est donc naturellement en première ligne pour mettre en place des pratiques vertueuses, et à court terme pour se structurer selon une logique d’économie circulaire. Une dynamique qui implique que l’on interroge les process à chaque étape de vie du bâtiment : fabrication des matériaux, conception, construction et exploitation du bâti mais aussi conduite du chantier, gestion et valorisation de ses déchets.
La sobriété, l’enjeu qui préside à tous les autres pour faire « tourner » l’économie
Dans les faits, l’économie circulaire repose sur trois piliers : la sobriété, le réemploi et le recyclage. Le premier de ces piliers est en réalité un préalable fondamental qui doit influencer l’ensemble des modes d’action. Réduire la consommation et donc le besoin d’énergie mais aussi de matériaux est in fine l’enjeu qui préside à tous les autres. C’est en partant de cet objectif qu’il est possible de coconstruire une économie circulaire vertueuse, performante, qui profite à tous. En d’autres termes, commençons par limiter les flux, pour ensuite réfléchir à la façon de les exploiter et les valoriser dans les meilleures conditions. La rénovation des bâtiments plutôt que la construction neuve par exemple, s’impose ici de fait comme une option à étudier en priorité.
Depuis ces 15 dernières années, des progrès considérables ont été faits pour faire baisser les besoins en ressources des bâtiments grâce notamment aux matériaux biosourcés, et à l’ensemble des solutions de rénovation énergétique.
Comment le réemploi préfigure l’avènement du bâtiment démontable
Mais il y a aussi urgence à faire baisser les flux de déchets. Et c’est pourquoi le réemploi est un levier décisif dans l’économie circulaire. Il suppose d’optimiser (et d’imaginer) de nouveaux usages pour les ressources existantes pour prolonger leur durée de vie, sans avoir à les transformer.
Le développement du réemploi incite aujourd’hui les professionnels de la construction à repenser leurs modèles pour favoriser à terme le concept de bâtiment démontable. Une notion qui suppose en réalité un bouleversement immense pour toute la filière. Nouveaux métiers, nouveaux emplois, mais surtout émergence de pratiques collaboratives entre professionnels pour échanger ou revendre les matériaux. Et tout cela sous-tend que chaque matériau ou composante du bâti soit traçable sur l’ensemble de son cycle de vie.
Bien entendu, nous sommes aujourd’hui aux prémices du développement de ce phénomène. Le parc existant n’a pas été conçu dans cette approche et il n’existe à l’heure actuelle à ma connaissance aucun exemple de bâtiment durable démontable en exploitation. Pour structurer le réemploi dans le secteur, le numérique sera un allié décisif. Grâce au BIM d’une part qui permet d’assurer la traçabilité de chaque composante d’un bâtiment. Et d’autre part grâce la création de nouvelles plateformes digitales de mises en relation entre professionnels. La première de ces plateformes, Cycle Up, a été fondée par Icade et Egis, avec le soutien de la Caisse des Dépôts.
Tri et recyclage des déchets : dernier maillon de l’économie circulaire, mais enjeu le plus brûlant pour le secteur
A l’heure actuelle, on estime que seule la moitié des déchets émis par le bâtiment est valorisée. Le gisement potentiel de matière première à valoriser est donc immense. Promulguée en février 2020, la loi pour une économie circulaire étend le principe de filière de responsabilité élargie aux producteurs (REP) aux professionnels du bâtiment. Cette filière « pollueur-payeur » a pour objectif de structurer et améliorer la collecte et la valorisation des déchets du secteur.
L’entrée en vigueur de la reprise gratuite des déchets dans le bâtiment est fixée au 1er janvier 2022. Un laps de temps qui doit permettre au secteur de trouver le modèle de financement, les solutions techniques et logistiques pour instaurer cette filière.
Comment la certification développement durable permet aux professionnels d’anticiper sur les évolutions règlementaires Depuis 2005, les professionnels qui s’engagent dans une dynamique volontaire de certification pour des bâtiments durables ont fait grandement progresser les pratiques, notamment en matière de tri et de valorisation des déchets.
Ces certifications, très en avance sur la règlementation, permettent aux professionnels d’intégrer à chaque étape de leur projet les principes du développement durable, dont l’économie circulaire est un pan central. Ils sont aujourd’hui pleinement prédisposés à intégrer la nouvelle règlementation et partager leur expérience de terrain. En faisant le lien entre vision d’avenir et expertise terrain, ces professionnels intègrent les enjeux du développement durable de manière progressive, sereine et vertueuse.
Enfin, et c’est une des leçons que l’on peut tirer de la crise du coronavirus, une économie circulaire, par essence plus locale, permet de réduire notre dépendance à des circuits logistiques internationaux dont on a vu la vulnérabilité.