Muto récupère les déchets de l’évènementiel pour les offrir à des structures qui leur donneront une seconde vie. Fondée il y a deux ans, l’entreprise a connu une croissance importante : elle est passée de 3 à 14 salariés et vient d’inaugurer un second entrepôt dans les Yvelines. Un succès qui masque une rude concurrence avec la gestion traditionnelle des déchets, très peu coûteuse. Pour Vincent Raimbault, cofondateur de la jeune pousse, le recyclage est aussi une fausse solution. Entretien.
Environnement Magazine : Concrètement, quelle est l’action de Muto sur le terrain ?
Vincent Raimbault : Muto est un intermédiaire entre les acteurs de l’évènementiel, qui produisent des déchets, et des structures qui ont besoin de matériaux. Par exemple, l’organisateur GL Event, a récemment fait appel à nous pour récupérer du matériel à la fin du salon de la mode Première vision, à Villepinte. Nous y avons collecté 4 à 5 tonnes de grands panneaux en épicéa. Une partie de ce gisement a été donné à 13 Avenir, une entreprise à but d’emploi (EBE), à Paris, qui s’inscrit dans l’expérimentation nationale "Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée", et qui emploie aujourd’hui 3 menuisiers. Grâce à ces panneaux, ces derniers ont réalisé des casiers à destination d’une maison d’accueil pour des femmes en grande précarité, gérée par l’association Aurore.
13 Avenir est l’un de nos 1.100 bénéficiaires, que nous avons choisis de façon drastique en fonction de leur impact social et environnemental. Ces acteurs sont très variés : entreprises, association, collectifs d’artistes engagés, gestionnaires de projets de collectivités, hôpitaux, écoles...
Les matériaux sont quant à eux récupérés sur différents types d’évènements, comme au salon de l’agriculture, ChangeNOW... En deux ans, 350 tonnes de matériaux ont été collectés.
Que récupérez vous ?
La décoration évènementielle est souvent conçue du sol au plafond. Nous récupérons beaucoup de plancher, de moquette, différents types de cloison... Globalement, beaucoup de matière brut : le bois, le textile, et le plastique représentent environ 75 % de la confection évènementiel. Mais nous collections aussi du métal, du plexiglas, du mobilier, de la signalétique, des décors……
C’est très varié. L’évènementiel invente toujours de nouveaux usages et de nouvelles matières, souvent mélangées, ce qui rend leur reyclage difficile.
Vous soulignez justement les limites du recyclage dans le secteur. Pouvez-vous détailler ?
Le recyclage appliqué à l’évènementiel n’est pas une solution pertinente : le matériau qu’on souhaite recycler n’est pas encore en fin de vie ! Il s’agit de matériaux neufs, utilisés seulement quelques heures, au mieux quelques mois quand il s’agit d’une exposition. Le recyclage intervient donc trop tôt, les éléments ont encore un potentiel de réemploi, soit en réutilisation directe - pour le même usage, soit en upcycling, en transformant la matière, sans destruction.
Le recyclage au contraire détruit la matière pour la recréer, et nécessité d’incorporer des matériaux vierges. Par ailleurs, il n’est pas possible de tout recycler, et encore moins localement.
Comment expliquer que la majorité des déchets de l’événementiel soient aujourd’hui jetés ?
A l’inverse du réemploi, la gestion traditionnelle des déchets coûte rien ou très peu. Je me bats contre du rien du tout. Pour donner un ratio, une benne de 20 m3 coûte entre 900 et 1000 euros avec une gestion traditionnelle des déchets. Et souvent, les prestataires en bout de chaîne, qui démontent les structures, ne facturent même pas ce coût. Une benne de 20 m3 fléchée vers le réemploi coûte 3.500 euros.
Parallèlement, beaucoup d’organisateurs ignorent que le déchet existe. A la fin d’un salon, c’est pourtant un vrai choc ! Mais les rebuts sont récupérés, ils sont donc presque invisibles. Sans cette prise de conscience, il est difficile de mettre en place une solution, encore moins si elle est payante.
Quelle est la solution selon vous ?
Il faut qu’un cadre soit posé et qu’un système " pollueur-payeur " soit mis en place, donc une filière REP. Ceux qui produisent des déchets doivent financer ceux qui n’en produisent pas. Une REP permettrait par exemple à Muto de bénéficier la collecte de l’écotaxe, et donc le service deviendrait quasi gratuit, voire gratuit. Ce qui permettrait de le généraliser.
Mais il faut aussi penser la chose en amont. Muto est aujourd’hui une rustine à la fin d’une énorme baignoire qui fuit. Notre objectif est de remonter et de couper le robinet, pour réduire la production de déchets à la source, voire la supprimer, via l’écoconception par exemple. Ce n’est pas impossible. Il faut seulement sortir de cette logique très consumériste des évènements qui encourage le sur-mesure, l’usage unique, et donc les déchets.