Justin Ledemé, Analyst et Project Manager chez Kimpa Impact Family Office. Crédit : Kimpa
Contrairement au réchauffement climatique ou la destruction de la couche d’ozone, la modification de l’usage des sols est un phénomène moins médiatisé. Pourtant, au sein du modèle des limites planétaires, établi en 2009 par le Stockholm Resilience, l’usage des sols occupe une place centrale prépondérante puisqu’il intervient dans le cycle des trois principaux GES en agissant comme source ou comme puits.
L’utilisation des sols au profit de telle ou telle activité humaine détermine un équilibre entre la production alimentaire, la régulation des débits d’eau douce, les habitats humains et la préservation de l’environnement. En France, le ministère de la Transition écologique a même co-créé le Groupement d’intérêt Scientifique sur les changements d’affectation des sols pour progresser dans l’élaboration des bilans environnementaux, étudier les externalités de cette modification afin d’être capable d’une meilleure prise en compte dans les politiques publiques.
La limite à la modification des usages des sols
Initialement, la limite a été définie pour étudier le taux de déforestation de forêts originelles. Celui-ci ne doit pas excéder 25%, ce qui signifie de facto que 75% des forêts originelles doivent rester intactes. Aujourd’hui le taux de déforestation à l’échelle mondiale est déjà de 38% et continue de progresser notamment dans les pays avec un risque élevé de déforestation : Argentine, Brésil, Chine, Côte d’Ivoire, Indonésie etc…
Une équipe de chercheurs à l’INRA a d’ailleurs créé deux modèles bioéconomiques d’utilisation des terres se basant sur les scénarios d’évolution du changement climatique pour simuler l’évolution de l’utilisation des sols. Les résultats montrent, pour les deux scénarios, une augmentation de la surface en culture aux dépens des surfaces en forêt et en prairie, qui sont, de fait, moins rentables financièrement.
En France métropolitaine, les changements d’utilisation des sols suivent une tendance opposée à la situation mondiale, les territoires occupés par des terres agricoles régressent, principalement sous l’effet de l’artificialisation des sols (les sols bétonnés, les villes, les constructions) mais également par le reboisement du territoire. (Source : UE, CORINE Land Cover, 2018. )
Ces chiffres cachent d’ailleurs une autre réalité, celle de l’importation des matières premières issues de la déforestation des forêts tropicales. L’empreinte écologique de la France liée à ces importations représente 14,8 millions d’hectares, soit plus d’un quart de la superficie de la métropole et la moitié de la surface agricole française.
La modification de l’usage des sols au sein du modèle des limites planétaires
La modification de l’usage des sols a pour conséquence d’affecter la résilience des écosystèmes et ses qualités biogéochimiques. Cela se traduit par plusieurs phénomènes. D’une part une augmentation des émissions des gaz à effet de serre (déstockage de carbone) lorsqu’on transforme une terre boisée en terre agricole. Lorsque cette même terre est artificialisée cela modifie son albédo (la capacité réfléchissante des sols) et contribue au réchauffement climatique.
De manière générale, la modification des usages des sols participe activement au réchauffement climatique et donc à l’acidification des océans. Cette modification altère les cycles biogéochimiques du phosphore et de l’azote, conduit à la réduction des ressources en eau et, inévitablement, à l’extinction de la biodiversité
L’investissement à impact : une alternative crédible ?
Des solutions existent pour contribuer à renverser cette limite. Une idée proposée par le groupe de travail de l’INRA est l’introduction d’une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre dans l’objectif de réduire l’expansion des surfaces en culture. On remarque que cette mesure pourrait également conduire à un effet néfaste pour les conditions de travail des agriculteurs.
Une solution d’investissement à impact existe avec Rize ag qui propose d’accompagner les agriculteurs dans l’acquisition de financement liés aux émissions carbone et pour une agriculture plus respectueuse. Dans ce même registre, les fonds de livelihoods ont pour mission de soutenir l’agriculture et les communautés rurales afin de restaurer les écosystèmes naturels en assurant la sécurité alimentaire et financière de populations locales. Enfin, l’entreprise Futura Gaïa pratique une agriculture en cylindre, qui permet de réduire la surface de terre utilisée, la consommation d’eau et d’intrants. Les fermes sont installées sur d’anciennes friches industrielles, proches des villes et donc des consommateurs finaux.
ll est désormais possible d’exiger plus des investissements qu’un rendement ajusté à un niveau de risque. En ce sens, la finance à impact laisse entrevoir de nouvelles perspectives et de nouvelles opportunités afin permet d’avoir un impact positif sur le monde en contribuant par exemple à renverser cette limite planétaire.