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TERRITOIRES

Stocker du CO₂ pressurisé dans le sous-sol francilien, une bonne idée ?

PUBLIÉ LE 8 JANVIER 2025
EMMANUELLE RIO, ENSEIGNANTE-CHERCHEUSE, UNIVERSITÉ PARIS-SACLAY; FRANÇOIS GRANER, DIRECTEUR DE RECHERCHE CNRS, UNIVERSITÉ PARIS CITÉ ET ROLAND LEHOUCQ, CHERCHEUR EN ASTROPHYSIQUE, COMMISSARIAT À L’ÉNERGIE ATOMIQUE ET AUX ÉNERGIES ALTERNATIVES (CEA)
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Stocker du CO₂ pressurisé dans le sous-sol francilien, une bonne idée ?
Crédits : adobestock
En Île-de-France, le site de Grandpuits a été retenu pour une installation de stockage du CO2 en sous-sol, à haute pression. Au-delà des risques pour les riverains, ce type de projet pose des questions sur la manière de résoudre la crise climatique et environnementale.

Contre le réchauffement climatique, capturer les émissions de CO2 à la source et le piéger dans le sous-sol ? C’est l’idée défendue par la start-up néerlandaise C-Questra, qui entend creuser le premier site français de stockage de CO2 souterrain. Entre le 30 avril et le 26 juillet 2024, un appel à manifestation d’intérêt avait en effet été lancé pour des projets de stockage de CO2 en France. Le site de Grandpuits, à côté de Paris, a ainsi été sélectionné.

Au-delà des risques et des bénéfices attendus, une question cruciale se pose : de quelle décarbonation avons-nous besoin ? Et ce type de projet y répond-il ?

Dans l’approche retenue par le projet, le CO2 est collecté par capture directe (technologie Direct Air Capture, ou DAC) à la sortie d’une usine émettrice, puis doit être transporté sous forme liquide jusqu’au site. Il y sera injecté sous haute pression dans une nappe phréatique profonde à 1800 mètres sous le sol de Paris et de la région parisienne.
Le point d’entrée choisi (Grandpuits, en Seine-et-Marne) est un site déjà exploité depuis 1971 pour stocker des effluents industriels.
Localisation du site de Grandpuits en Île-de-France, entouré en rouge. Google Maps

Des riverains ont exprimé leurs réticences quant au projet. Les craintes proviennent tant des associations locales que des élus et agriculteurs du secteur.
De quels risques parle-t-on ?
Ces inquiétudes ne sont pas dénuées de fondement. Une méta-analyse de 2023 a passé en revue plus de 300 articles scientifiques consacrés à la capture, le transport et le stockage du carbone, pour faire le point sur les risques de cette filière, liés à la géologie, à l’environnement et à la santé. Elle évoquait, pour ne citer que quelques exemples :
Les risques en cas de corrosion dans la tuyauterie, pouvant aller jusqu’à causer une explosion par surpression, rupture ou surchauffe d’un pipeline. Un tel cas de figure peut aussi provoquer une contamination de l’eau, voire une asphyxie localisée du vivant.
Les risques naturels tels que les tremblements de terre, qui peuvent aussi causer des ruptures de canalisations ou des fissurations du sol.
Les risques liés aux défauts de connaissances au moment de la construction.
Les auteurs de cette méta-analyse préconisent, avant d’avancer ne serait-ce qu’un calendrier de mise en place, une approche systématique consistant à caractériser les risques, lister les recommandations existantes et vérifier leur efficacité.

Autre point notable : on croit souvent que le CO2 est inoffensif pour la santé humaine. Il est vrai qu’aux concentrations présentes dans l’atmosphère, on le respire sans inconvénient.

La « grotte du chien », ou quand le CO₂ devient poison

En revanche, à plus haute concentration, il devient toxique à une concentration de 0,5 %, soit 10 fois la concentration actuelle dans l’atmosphère.
C’est ce qu’illustre le cas emblématique de la « Grotte du chien », près de Naples. Cette grotte est le siège d’émanations toxiques liées à l’activité volcanique. L’air près du sol y est si concentré en CO2 que des chiens peuvent en mourir. Cela a longtemps constitué une attraction touristique sordide.

Les mécanismes de cette toxicité sont bien connus. Le problème n’est pas le manque d’oxygène, comme on le croit parfois. C’est que le CO2, en se dissolvant dans le sang, l’acidifie. Toutes proportions gardées, on peut garder en tête la comparaison avec un événement récent : l’éruption du 21 août 1986 au lac Nyos. Elle a causé la mort de 1 700 habitants dans un rayon de 25 km, parce qu’elle a libéré de façon brutale quelques centaines de milliers de tonnes de CO2.

Or ici, on parle de stocker, non loin de l’agglomération parisienne, des millions de tonnes de CO2… Heureusement, contrairement à celles du lac Nyos, les tonnes de CO2 qui seraient injectés dans la nappe dite « du Dogger » n’auraient normalement pas la possibilité matérielle de s’échapper brutalement.

Quoique… un autre évènement récent, la destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka en Ukraine, dans la nuit du 6 juin 2023, a rappelé que les infrastructures sensibles pouvaient également être des cibles militaires. Autrement dit : un site de stockage de CO2 pourrait, au même titre que toute autre grande installation industrielle, devenir un objectif pour un État agresseur ou une organisation aux intentions malveillantes. D’autant que la quantité de CO2 stocké ne diminue pas dans le temps. Le danger reste constant, sans « date de péremption ».

Ce qu’on attend du stockage souterrain du CO₂
Au-delà des risques, comment évaluer l’intérêt du projet ?
Au niveau mondial, en additionnant tous les projets de stockage souterrain, on pourrait espérer capturer 1 % des émissions mondiales annuelles de CO2. Les analyses d’un think tank spécialisé indiquent que l’on est actuellement capable de stocker 51 millions de tonnes de CO2 par an, qu’une capacité équivalente est en construction et qu’en outre, la construction de capacités supplémentaires correspondant à 314 millions de tonnes de CO2 supplémentaires capturés par an est en projet, à différents stades de maturité. Cela fait 416 millions de tonnes par an au total.
Ces chiffres sont à comparer aux 57 100 millions de tonnes équivalent CO2 émises chaque année dans le monde. La totalité des projets cités plus haut représente moins de 1 % de ces émissions annuelles, sans tenir compte de l’augmentation régulière des émissions.
En ce qui concerne la France, le Haut Conseil du Climat (HCC) concluait fin 2023 que le stockage géologique du dioxyde de carbone pouvait aider concrètement le secteur industriel à réduire ses émissions. La stratégie du gouvernement ambitionne ainsi de capter 4 à 8 millions de tonnes de CO2 par an à l’horizon 2030. Le HCC considère cet objectif comme trop ambitieux.

En revanche, capter 15 à 20 millions de tonnes par an à l’horizon 2050, ainsi que le prévoit également la stratégie du gouvernement, lui paraît cohérent avec les connaissances disponibles. Ces projections devront bien entendu être affinées par des études complémentaires afin d’établir leurs véritables limites mais, en première approximation, ce potentiel représente 5 % des 385 millions de tonnes équivalent CO₂ émises par la France chaque année.

Au final : 1 % à l’international et 5 % en France, c’est à la fois beaucoup et bien peu. Au bout du compte, il resterait 95 % des émissions produites par la France et 99 % des émissions à l’échelle globale. Le stockage souterrain du CO2 ressemble donc à une goutte d’eau dans l’océan, même s’il s’agit d’un effort dans la bonne direction. Alors, investir tant d’effort et d’argent pour un effet proportionnellement si faible et avec des risques importants, est-ce une bonne idée ?

Au-delà des seules émissions : raisonner plus globalement

Dans ces conditions, comment ne pas tomber dans l’inaction ? La conséquence logique de ce qui précède est que, quelles que soient les actions menées en matière de stockage du CO2, on doit les compléter d’actions de grande ampleur pour réduire les émissions de CO2 à la source.
Plus globalement, le principal problème, c’est que le stockage du CO2, qui nécessite des développements industriels, est compatible avec la structure économique mondiale, qui a pour but explicite de maintenir une croissance sans frein. Or, celle-ci implique une augmentation exponentielle des impacts de l’humanité en termes de consommation d’énergie, de ressources en matière, et de déchets dans l’environnement.
Il faut se souvenir que ce qui nous menace n’est pas une seule catastrophe, mais bien une armée de catastrophes. La concentration atmosphérique de gaz à effet de serre est, à raison, fortement médiatisée mais c’est loin d’être la seule à mériter notre attention. Au-delà des événements météorologiques extrêmes rendus plus intenses et plus fréquents par le changement climatique, de nombreuses limites planétaires sont atteintes à cause de la crise actuelle : perte de biodiversité, pollution, etc.

Il est donc urgent d’interroger nos modes de vie, et en particulier celui des plus riches, dont on sait qu’ils sont les plus grands pollueurs. Préserver un monde habitable à long terme nécessite avant tout de baisser massivement notre consommation de matière et d’énergie – même si cela implique de renoncer à la croissance économique telle que nous la connaissons.

Cet article a bénéficié de discussions avec François Briens (économiste et ingénieur en systèmes énergétiques), Jean-Manuel Traimond (auteur et conférencier) et Aurélien Ficot (épicier-libraire).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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