Pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols, la loi Climat et résilience de 2021 organise la réduction progressive de l’ouverture des terrains à la constructibilité. Dans un contexte où les incitations économiques favorisent encore largement l’artificialisation, la logique de rationnement de ce « dispositif ZAN » a suscité de vives oppositions. Les instruments économiques ont un rôle à jouer pour modifier ces incitations et encourager la protection des sols. En complément des nombreuses études explorant le potentiel de la fiscalité en France, mes collègues et moi avons examiné l’intérêt des systèmes de quotas transférables (QT) dans un rapport récent.
Ces outils de politique fixent une limite à la quantité de ressource pouvant être consommée et allouent aux acteurs régulés des permis échangeables. Ces derniers offrent des marges de manœuvre pour respecter cette limite. Ils sont notamment utilisés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de certains secteurs économiques à l’échelle de l’Union européenne.
Des bourses d’échanges entre communes
En théorie, les systèmes de quotas transférables (QT) présentent quatre avantages pour la gouvernance environnementale :
- ils garantissent la protection de la ressource en régulant directement les niveaux de pollution plutôt que les prix associés,
- ils offrent de la flexibilité aux acteurs régulés,
- ils permettent de piloter les enjeux d’équité via les règles d’allocation des permis,
- ils sont aussi supposés réduire le coût pour atteindre les objectifs environnementaux par rapport aux réglementations classiques.
En pratique, leur performance dépend aussi de leurs coûts d’administration, des choix politiques qui président à leur paramétrage et des situations de gouvernance.
Plusieurs variantes de QT participent ainsi à réguler l’urbanisation en ciblant différents acteurs. On s’intéresse ici aux quotas d’ouverture à l’urbanisation transférables entre communes.
Dans ce système, un nombre limité de quotas est distribué aux communes d’un territoire donné. Pour faire approuver leurs documents d’urbanisme, ces communes doivent indiquer le nombre de quotas correspondant aux surfaces qu’elles souhaitent artificialiser. Ceux-ci peuvent être achetés et vendus lors de bourses d’échanges entre communes. Ces dernières ont aussi la possibilité de générer de nouveaux quotas en « renaturant » des espaces ou en changeant le zonage d’un terrain dans le document d’urbanisme (depuis « à urbaniser » vers « naturel » ou « agricole »).
À ce jour, cette forme de systèmes de QT n’a jamais été appliquée. Elle est néanmoins envisagée dans les pays qui, comme la France, se dotent d’objectifs de diminution de l’artificialisation. En Allemagne, suite à l’adoption d’un objectif (non contraignant) de réduction de sa consommation foncière en 2002, des expérimentations menées à l’échelle nationale suggèrent que ce système permettrait d’atteindre cet objectif en modifiant les incitations à l’artificialisation des communes. Mais aucun Land n’a pour l’instant adopté ce dispositif, par crainte d’entériner un rationnement contraignant de l’artificialisation.
Quid du dispositif zéro artificialisation nette en France ?
Dans le cas de la France, notre enquête montre que le dispositif zéro artificialisation nette s’apparente à un système de quotas d’ouverture à l’urbanisation partiellement transférables entre communes.
Il prévoit en effet plusieurs paliers de réduction de l’artificialisation. Entre 2021 et 2031, une enveloppe nationale de 121,5 hectares de foncier artificialisable doit ainsi être répartie entre les communes via des délibérations au sein des régions.
Cependant, cette régulation passe par la réglementation de la constructibilité dans les documents de planification régionale et d’urbanisme plutôt que par un système formel de quotas. Le dispositif n’envisage donc pas que des « quotas » puissent être achetés et vendus.
Chaque heure, 11 hectares de sols disparaissent en Europe du fait de l’expansion urbaine. Shutterstock
Pour autant, il existe des formes de transférabilité. En 2023, une nouvelle loi a introduit une garantie communale qui définit un seuil minimal d’un hectare artificialisable par commune. En autorisant les communes d’une même communauté de communes à mutualiser cet hectare, cette loi a créé de fait une forme de transférabilité gratuite.
Vers une transférabilité marchande ?
Faut-il rapprocher le dispositif ZAN d’un instrument économique en permettant aux communes de négocier (acheter et vendre) leurs quotas d’artificialisation sur des bourses d’échange ?
Cette mesure pourrait créer des incitations inédites à ne pas artificialiser et à restaurer les sols, tout en rendant le dispositif plus flexible. Elle aboutirait aussi à des transferts économiques depuis les territoires en développement vers les communes rurales peu denses, encouragées à vendre les quotas alloués par la garantie communale.
Cependant, rien ne permet d’affirmer, à ce stade, que les gains en termes d’efficience économique seraient supérieurs aux coûts d’administration de cette transférabilité.
Par ailleurs, cette dernière présente des risques liés à l’inégalité des ressources financières des communes et aux comportements spéculatifs. Pour contenir ces dérives, il conviendrait de limiter le portefeuille de quotas à la surface effectivement artificialisable du territoire communal.
Enfin, l’introduction de mécanismes d’échange menace de nuire à l’adhésion au dispositif, les systèmes de QT étant souvent assimilés à une forme de marchandisation des ressources.
Ces craintes sont compréhensibles mais doivent être nuancées car les systèmes de QT relèvent plus de systèmes d’échanges administrés que de « marchés » au sens financier du terme. De plus, ils n’impliquent pas l’appropriation de la ressource – le foncier est déjà majoritairement privé en France – mais celle d’un permis d’exercer un niveau déterminé de dégradation, jusque-là non régulé.
C’est pourquoi les systèmes de QT sont souvent présentés comme des instruments de gouvernance environnementale voire de gestion des communs.
La dimension qualitative de l’artificialisation
En l’état, le dispositif ZAN est davantage un instrument de sobriété foncière que de lutte contre la dégradation des sols. En effet, il repose sur des quotas d’artificialisation définis en fonction des surfaces artificialisées.
Or, contrairement aux émissions de CO2, la dégradation des sols représente une contamination non uniforme : ses impacts varient selon la qualité et la situation paysagère des sols affectés. En se basant uniquement sur des critères quantitatifs de surface, le dispositif ZAN institue une équivalence écologique entre des formes de transformation des sols très diverses : l’artificialisation d’un hectare de zone humide riche en biodiversité et celle d’un hectare de terre agricole polluée et infertile sont alors comptabilisées de la même manière.
Cette équivalence est d’autant plus problématique que la loi « ZAN » (2023) a accéléré la mise en œuvre du décompte de l’artificialisation nette. Ainsi il est désormais possible d’utiliser la renaturation des sols pour compenser l’artificialisation, ce qui établit une équivalence écologique entre ces deux opérations dont les effets sur la santé des sols sont très différents.
Pour rappel, le code de l’urbanisme définit la renaturation comme les « Actions ou opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé. »
Redéfinir la base des quotas
Pour assurer une protection plus forte des fonctions écologiques des sols, il paraît judicieux de redéfinir le cadre de ces permis. Le décompte des surfaces artificialisées pourrait, par exemple, être modulé par des ratios de qualité des sols ou reposer directement sur un système de points d’indice de qualité des sols.
Une telle réforme présenterait l’avantage d’améliorer la cohérence du dispositif ZAN avec la définition juridique de l’artificialisation comme « altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol […] » et de garantir une meilleure équivalence écologique des quotas distribués et échangés.
Elle pourrait s’inspirer de l’expérience accumulée par des dispositifs existants tels que la compensation écologique ou le remembrement, qui requièrent d’évaluer des équivalences fonctionnelles entre deux surfaces en vue de leur substitution. En revanche, définir les quotas sur une base plus qualitative augmenterait les coûts d’administration du système, réduisant l’efficience économique du dispositif. En effet, mettre en œuvre cette mesure impliquerait de systématiser la production d’informations publiques sur la qualité des sols, l’intensité de l’artificialisation et l’effectivité des actions de restauration des sols.
Cela dit, une évaluation systématique de la santé des sols pourrait être rendue obligatoire en cas d’adoption du projet de directive de l’Union européenne relative à la surveillance et à la résilience des sols.
Envisager d’autres leviers
Dans le paysage européen des politiques de sobriété foncière, le dispositif ZAN est un précédent inédit d’adoption d’un instrument analogue à un système de quotas d’artificialisation partiellement transférables.
Pour améliorer l’efficacité économique et écologique de la protection des sols, il serait utile de débattre voire d’expérimenter la transférabilité marchande des quotas ainsi que leur redéfinition sur des bases qualitatives. Rappelons pour finir que le dispositif ZAN ne fait peser l’effort de réduction de l’artificialisation que sur les collectivités locales. Bien d’autres leviers d’actions doivent être envisagés pour inciter davantage d’acteurs à préserver la santé des sols.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.