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BIODIVERSITÉ

COP16 :  les « crédits biodiversité » cherchent leur modèle

PUBLIÉ LE 29 OCTOBRE 2024
PAULINE FRICOT
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COP16 :  les « crédits biodiversité » cherchent leur modèle
Le lynx est de retour dans les Vosges depuis 2017, suite à sa réintroduction en Allemagne / Crédits : Adobestock
[CHOIX DES LECTEURS*] Le tant attendu Cadre pour les crédits biodiversité a été publié le 28 octobre, dans le cadre de la COP16 à Cali. Objectif : encourager le secteur privé à investir. Le document promeut des règles strictes pour la compensation, et soutient le système des certificats, un outil de philanthropie organisée. Mais des incertitudes subsistent quant à l’impact réel de ce système et sa capacité à mobiliser des fonds suffisants. Il pourrait également être une porte ouverte au greenwashing.

Mobiliser 200 milliards de dollars par an pour financer la préservation et la restauration de la biodiversité d’ici à 2030. C’est l’une des questions centrales des négociations de la COP16 biodiversité, qui se déroule à Cali (Colombie) jusqu’au 1er novembre. 

Alors qu’en 2022,  plus de 83% des montants alloués aux solutions fondées sur la nature provenaient de financements publics (1), l’accord de Cunming-Montréal, signé lors de la COP15, entend « encourager le secteur privé à investir dans la biodiversité ». Parmi les leviers privilégiés : les crédits biodiversité.

Cette solution a suscité un certain engouement. En juin 2023, la France et le Royaume-Uni ont lancé un Comité consultatif international sur les crédits biodiversité (IAPB), qui a présenté ses premiers résultats le 28 octobre. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait elle-même plaidé en faveur de « crédits nature » en septembre dernier.

Mais avant même d’être structurés, les « crédits biodiversité » avaient (déjà) mauvaise presse, en raison de leur assimilation aux crédits carbone, dont les dérives ont été largement documentées. L’IAPB tente de rassurer les plus sceptiques, en proposant un « Cadre pour les marchés de crédits biodiversité à haute intégrité .

Crédits… ou certificats 

L’IAPB définit les crédits biodiversité comme « un certificat représentant une unité mesurée et fondée sur des preuves de résultat positif et durable en matière de biodiversité ». Plus simplement, un crédit, ou certificat, doit permettre d’attester d’une action positive sur la nature, à partir de standards définis. 

Derrière cette initiative, il y a deux choses. Si le Comité utilise indistinctement les termes "crédit" et "certificat", l’économiste et chercheur au Cirad Alain Karsenty invite néanmoins à les différencier plus clairement afin d’éviter les malentendus. « Ce dont on parle à travers les crédits biodiversité, c’est d’un instrument nouveau, un outil de contribution et non de compensation. Or, le terme de crédit implique un débit, donc une compensation. C’est pourquoi l’Organisation pour les Certificats biodiversité (OBC) promeut l’utilisation du terme "certificat", afin de différencier ce nouvel outil. » Il s’agirait donc de réserver le terme "crédit" à la compensation, également promue par l’IAPB.

Se résume dans ce dissensus sémantique la principale controverse autour des "crédits biodiversité" : les écosystèmes n’étant pas fongibles, il est difficile, voire impossible de les remplacer. « 100 hectares de forêt amazonienne ne vaut pas 100 fois un hectare », résume Jeanne Barreyre, consultante-chercheuse au sein d’EcoAct. Les projets de compensation écologique réglementaires ont d’ailleurs (déjà) été pointés du doigt pour leur inefficacité à garantir le « zéro perte nette » en France (3). Il s’agit donc d’éviter cet écueil. L’Union internationale pour la conservation de la nature a par exemple demandé de « ne pas envisager les crédits biodiversité dans le cadre de mécanismes de compensation »

Un troisième outil pour financer la biodiversité

Mais les outils sont voués à se compléter.  « Bien sûr, il y a des passerelles possibles avec la compensation, admet Alain Karsenty. Un régulateur public pourrait décider que certains certificats biodiversité répondent aux obligations de compensation, pour certains projets spécifiques ». Le comité consultatif fixe  des règles strictes quant à l’usage de crédits à visée compensatoire, calquées sur les mesures de compensation réglementaire existantes dans une partie des pays industrialisées, dont la France : « l’IAPB ne soutient pas les approches consistant à prôner une compensation internationale et non contrôlée de la biodiversité : la compensation doit impérativement se faire à un niveau local, et porter sur des écosystèmes similaires », précise le Comité consultatif, dont l’avis s’appuie sur l’expertise d’une centaine d’experts internationaux. 

Les certificats de contribution volontaire offrent en revanche la possibilité de s’affranchir de la logique de proximité inhérente à la compensation. « La contribution pourrait se faire dans la chaîne de valeur de l’entreprise, développe Alain Kersanty. Par exemple, Nestlé financerait des projets d’agroforesterie au Mexique en faveur de paysans producteurs de café. Mais la contribution pourrait aussi être déconnectée de la chaîne de valeur, avec, par exemple, BNP Paribas qui financerait un projet biodiversité en Inde, dans une logique de philanthropie ».

Vers une philanthropie managériale ? 
 
Reste à convaincre. Ce système de certificat de contribution volontaire laisse perplexe Fabien Quétier, coordinateur au sein de l’ONG Rewilding Europe. « Ce n’est rien d’autre que de la philanthropie pour la nature, et ça existe déjà », tranche-t-il.
 
Pour Alain Karsenty, les certificats apportent néanmoins l’avantage de pouvoir mesurer concrètement les impacts positifs d’un investissement, ce qui pourrait encourager les entreprises à se mobiliser. « D’autant plus que l’introduction de la CSRD en Europe ouvre une fenêtre pour ces unités de biodiversité, juge l’économiste. Les porteurs de projets utilisent aujourd’hui différentes métriques pour démontrer des gains nets de biodiversité. Il n’y a aujourd’hui aucune garantie de qualité. Un certificat est, par définition, certifié par un tiers, à partir de standards. » 

Le cadre a donc surtout pour objectif de « rassurer » les entreprises, appuie Jeanne Barreyre. Mais la vigilance reste de mise. « Bien sûr, il faut s’attendre à ce qu’il y ait des problèmes sur le respect des standards, à l’image du marché carbone », prévient Alain Karsenty.

Une fenêtre ouverte au greenwashing ?

Reste une interrogation : un marché volontaire, sous forme de certificats, suffira-t-il à mobiliser suffisamment de capitaux ? « Difficile à dire, juge l’économiste. Je crois qu’il y a beaucoup de surestimation, et d’optimisme : ça ne va pas révolutionner les choses, mais c’est un instrument de plus, qui peut avoir son utilité. » Les certificats seraient surtout des instruments de communication. « Ce serait un outil pour permettre aux entreprises de déclarer : "j’ai un impact positif sur la biodiversité. Je fais ça pour mes investisseurs, pour mes clients pour mon reporting" », complète le chercheur.

Mais gare au greenwashing, alerte Fabien Quétier. « Une entreprise qui achète des certificats peut se déclarer "nature positive"… Ce qui n’est pas très loin de l’idée de compensation ». De quoi entretenir une confusion.

Durcir la réglementation

De plus, la généralisation des certificats pourrait avoir un autre effet pervers, en donnant l’impression qu’il est possible de se dérober à la séquence « Eviter, Réduire, Compenser » (ERC). Pourquoi s’astreindre à éviter et réduire, s’il devient très facile de prouver sa bonne foi en matière de biodiversité ?

Déjà aujourd’hui, « on évite assez rarement, car la compensation ne coûte pas très cher, constate Alain Karsenty. Des projets contestables, comme certaines autoroutes, sont, par exemple réalisés, puis on utilise la compensation pour répondre aux critiques ». « L’actualité liée à l’A69 est archétypale, illustre Fabien Quétier dans une note de la CDC biodiversité. On ne veut pas éviter donc on dit qu’on fait de la compensation et in fine on relaxe l’ERC car c’est trop contraignant.» 

Durcir les obligations reste donc un levier indispensable. « Au Royaume-Uni, par exemple, une loi environnementale de 2021 oblige à faire de la surcompensation : je détruis 100%, je restaure 110% ​», illustre l’économiste. Pour Fabien Quétier, l’amélioration du cadre réglementaire est également « inévitable ». « Depuis dix ans, je vois toujours les mêmes entreprises et on est très loin de la grosse explosion encore. En revanche lorsque la Commission européenne publie un règlement qui touche tout le monde là ça explose forcément [en référence à la CSRD]. » « On veut bien être financé pour faire de la restauration, ajoute le représentant de Rewilding Europe, mais pas être instrumentalisé pour faire du greenwashing ».

(1) United Nations Environment Programme, 2022
(2) "Crédits biodiversité : vers un nouveau marché de la nature en Europe ?"
(3) Biodiversity offsetting: Certainty of the net loss but uncertainty of the net gain, Magali Weissgerber & all, Biological Conservation

 
La compensation et les crédits ne sont pas nouveaux

La compensation réglementaire existe depuis des dizaines d’années dans presque tous les pays industrialisés. Elle se traduit en France par une compensation « en nature » - et non financière, sur un système d’équivalence. « On ne dit pas : "cet écosystème vaut tant d’argent". Mais plutôt : "vous dégradez tel écosystème, vous devez restaurer ou protéger un écosystème similaire à proximité", décrypte Alain Karsenty. Même si bien sûr, cela induit indirectement un coût, pour financer les consultants, les travaux... Mais il ne s’agit pas de monétisation de la nature. Les entreprises françaises ne peuvent pas s’affranchir de leurs obligations en payant ».

Les crédits biodiversité existent quant à eux déjà dans quelques pays. « Aux Etats-Unis, depuis une vingtaine d’années, des institutions privées ou publiques (« mitigation banks ») sont accréditées par les autorités environnementales américaines et génèrent des crédits biodiversité. Un projet qui impacte une zone humide d’estuaire doit financer des crédits biodiversité d’une zone humide d’estuaire, à proximité, selon un principe d’équivalence. C’est un système hybride : les crédits ont une valeur monétaire liée aux coûts de la restauration et de gestion », illustre l’économiste.


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