D'après une récente étude de l'Irstea sur les besoins en gestion patrimoniale, la valeur à neuf des réseaux de distribution d'eau potable est estimée à 168 milliards d'euros. Dont 82 % attribués aux canalisations, le reste allant aux branchements. Près de 63 % de cette valeur est affectée au milieu rural où le linéaire moyen pour desservir un habitant est beaucoup plus important (21,5 m) qu'en milieu urbain (6,2 m) et ultra-urbain (3,5 m). Ce qui représente un coût de renouvellement par habitant environ deux fois plus élevé à la campagne qu'en ville. Pour beaucoup d'acteurs, la mutualisation des services est l'une des seules issues envisageables pour supporter cet enjeu financier. Elle permettra d'actionner la solidarité territoriale par péréquation entre collectivités urbaines et rurales, et plus globalement entre riches et pauvres. Mais sur le terrain, pour que le poids du renouvellement reste supportable, il est tout simplement limité. Dans le Pas-de-Calais, le syndicat des eaux du Gy et de la Scarpe n'a pas établi de programme de renouvellement pour ses 120 km de réseaux. « Nous avons mis la priorité sur la détection et la réparation régulière des fuites. Ce qui a permis d'améliorer notre rendement de 50 à 80 % en six ans sans augmenter le prix de l'eau. Donc pourquoi renouveler ! », assume son président, Alain Bailleul. Selon les règles comptables de l'instruction M49, le renouvellement des réseaux est assuré par l'autofinancement dégagé par le service ou par l'emprunt. L'autofinancement provient principalement de l'amortissement réglementaire, avec possibilité de dégager un excédent complémentaire pour des travaux programmés de façon « certaine ». L'amortissement constitue alors une dépense de fonctionnement qui sert à reconstituer progressivement la somme dépensée pour acquérir un bien immobilisé. Mais, calculé à partir de la valeur historique des biens, ce dispositif est insuffisant pour financer l'ensemble du renouvellement. En outre, son calcul a bien souvent été minoré dès l'origine. « À la création de la M49 en 1992, beaucoup de collectivités n'avaient plus trace des investissements les plus anciens dans leurs archives et elles ont fixé des valeurs « à la louche » par simple différence entre leurs recettes et leurs dépenses », observe Régis Taisne à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).
Sur cette base comptable, comment agir ou progresser ? La durée de vie « comptable » des équipements est fixée de manière indicative par la M49 entre quarante à cinquante ans pour les canalisations. Elle peut être modifiée par délibération de la collectivité. Mais si la tentation est grande d'allonger la durée d'amortissement pour en limiter le montant annuel, c'est une fausse bonne idée « qui conduit à diminuer l'effort de prise en compte des renouvellements futurs », observe le guide de l'Astee publié en juillet 2014 sur les politiques d'investissement en matière de gestion patrimoniale des réseaux d'eau potable.
Un levier plus sûr, même si la démarche est complexe, est de remettre sa comptabilité en phase avec son patrimoine. C'est ce qu'a entrepris le Sedif en 2010 lors de la mise en place du nouveau contrat de délégation avec Veolia. Un inventaire a permis au syndicat d'actualiser l'état de ses actifs, dont la valeur à neuf a été estimée à 8 milliards d'euros. Cela lui a permis de recalculer son amortissement à 100 millions par an. « Aujourd'hui, notre équation financière est très saine. L'amortissement finance le renouvellement avec une hausse du rythme de 0,4 % en 2010 à 1 % en 2015 en profitant de la fin du programme de renouvellement des branchements. Cet investissement est financé uniquement par nos recettes d'exploitation, sans emprunt », précise Christophe Perrod, directeur général des services techniques.
Quant au financement par l'emprunt, l'option est possible mais elle implique une variation du prix de l'eau et un montant de remboursement des intérêts significatifs. Pour la FNCCR, « c'est insoutenable lorsqu'il s'agit de dépenses de renouvellement récurrentes », juge Régis Taisne. Enfin la thésaurisation, qui revient à créer de l'épargne structurelle sur son budget, reste excessivement onéreuse à moyen et long terme. Dans son étude, l'Irstea a comparé les différentes stratégies possibles : « L'arsenal des outils existants serait à compléter par une ingénierie financière et la possibilité de placement de l'épargne », conclut Christophe Wittner, auteur de l'étude. AD