Donner ou améliorer l'accès à l'eau potable de 4,6 millions de personnes, permettre l'accès à un assainissement domestique à 400 000 personnes, c'est le bilan concret des dix ans d'application de la loi Oudin-Santini. « En offrant à des syndicats des eaux la possibilité de mobiliser des fonds supplémentaires en dehors du budget général, la loi Oudin-Santini a donné une légitimité d'action plus forte aux collectivités », estime Pierre-Marie Grondin, directeur du Programme de solidarité eau (PS-Eau), association créée il y a trente ans pour promouvoir l'accès à l'eau et l'assainissement. Cette loi permet à tout service d'eau et d'assainissement de déroger à la règle de « l'eau paye l'eau » en consacrant jusqu'à 1 % du budget du service à des actions de coopération décentralisée. Les agences de l'eau, à travers le cofinancement des actions des collectivités, en sont devenues le principal contributeur. « Cela a formalisé un cadre juridique à nos aides. Et depuis 2005, on enregistre une progression dans la consommation des enveloppes », détaille Joël Marty, responsable des affaires internationales à l'agence de l'eau Adour-Garonne. En effet, la participation des agences a triplé depuis 2007 (voir graphique p. 15). Une participation importante critiquée récemment par la Cour des comptes qui considère que le contrôle de l'utilisation des aides est « malaisé » et s'interroge sur « l'opportunité et la pertinence de ces actions ». Au total, 151 millions d'euros ont été mobilisés grâce au dispositif sur près de 200 millions engagés par les collectivités et les agences de l'eau dans la coopération décentralisée pour l'eau et l'assainissement. Cette augmentation ne s'est pas faite au détriment des contributions engagées sur les budgets généraux des communes, qui sont restées stables.
La marge de progression est pourtant large. Si toutes les structures concernées mobilisaient 1 % de leur budget, les montants annuels engagés pourraient atteindre presque 65 millions d'euros. Mais, pour la première fois en 2014, les contributions ont baissé de 12 %. « Les élus ont été renouvelés et le contexte organisationnel des collectivités est peu favorable », admet Pierre-Marie Grondin. Les réformes territoriales et la baisse des dotations aux collectivités n'incitent pas à la générosité. Pour d'autres, il faut aussi revoir le mode d'action pour que les collectivités justifient l'intérêt de ces financements. « Elles ne sont pas uniquement des bailleurs de fonds pour des micro-pro-jets d'ONG. Elles ont une réelle expertise territoriale à diffuser. Il s'agit moins de solidarité que de coproduction de savoir », affirme Yannick Lechevallier, directeur de l'agence Coop dec conseil, qui accompagne les collectivités dans leurs projets de coopération.D'après le PS-Eau, entre 2006 et 2009, 80 % des actions de coopération décentralisée ont été portées et conduites par des ONG et 10 % sous maîtrise d'ouvrage exclusive d'une collectivité ou d'un syndicat via une convention de coopération. « Pour remobiliser les collectivités, les agences vont, dès cette fin d'année, modifier leurs aides en les modulant selon le porteur de projet : jusqu'à 80 % du projet si c'est une collectivité et jusqu'à 50 % si c'est une ONG », explique Joël Marty. La métropole du Grand Lyon, l'un des principaux contributeurs du 1 %, conjugue les deux modes d'action. « Dans le cadre de notre fonds eau, nous finançons à parts égales (350 000 euros chacun) avec notre délégataire Veolia et l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée Corse des projets portés par des ONG. En parallèle, nous allouons 250 000 euros chaque année à un partenariat avec la région du Matsiatra à Madagascar », détaille Karine Blanc, chargée de solidarité internationale à la direction de l'eau de la métropole de Lyon. Là-bas, la métropole assure des formations et aide les collectivités dans la structuration des services d'eau ou dans la réalisation de schémas directeurs en zone urbaine.Ses agents sont aussi sollicités pour participer au comité technique sélectionnant les projets à financer dans le cadre du fonds eau. « De plus en plus de collectivités souhaitent s'impliquer concrètement, mais elles n'ont pas toujours les moyens financiers et humains à y consacrer. C'est pourquoi nous leur conseillons de mutualiser les opérations », ajoute Pierre-Marie Grondin. Animer un réseau d'acteurs locaux, c'est l'une des missions du groupement d'intérêt public Yvelines coopération internationale-développement (GIP YCID), né à l'initiative du conseil départemental des Yvelines. Tout comme l'Institut régional de coopération développement, créé par la Région Alsace dans les années 1980, qui regroupe une centaine de collectivités. Agissant comme maître d'œuvre des opérations de coopération décentralisée, il mobilise un réseau d'acteurs différents en fonction des besoins des projets. Pour donner un nouvel élan à cet outil de financement, le PS-Eau a lancé en juin 2015 l'opération « les élus de l'eau ». L'idée ? Une charte signée par des élus menant des actions de coopération qui s'engagent à mobiliser leurs pairs. « Les élus sont plus attentifs à la parole d'autres élus. Il faut un effet boule de neige pour faire progresser le dispositif », assure Pierre-Marie Grondin.Pauline REY-BRAHMI