Accueil > Actualités > Énergie > Tribune | « Crise énergétique ou les conséquences d’une mauvaise gestion industrielle et de choix politiques défectueux »
Julien Tchernia, CEO d'ekwateur. Crédit : Ekwateur
Le prix de gros de l’électricité bat des records. Le prix du gaz augmente lui aussi. Pour Julien Tchernia, CEO et co-fondateur d’Ekwateur, « Ni EDF ni l’État ne sont à la hauteur de l’urgence climatique et énergétique ».
Le prix de gros de l’électricité bat des records. Il a dépassé les 1000 euros le MWh pour une livraison en 2023, 12 fois plus qu’il y a un an quand il était à 85 euros. Le prix du gaz augmente lui aussi. Nos représentants politiques crient toutes et tous à la sobriété, voire au rationnement. RTE nous prévient que des coupures d’électricité pourraient survenir cet hiver.
Mais alors, comment expliquer cette déroute dans un pays dont on a longtemps vanté le parc électrique ? La guerre en Ukraine est utilisée pour justifier l’inflation, les pénuries ou n’importe quelle crise. Et si son impact est loin d’être négligeable, il faut aussi pointer du doigt l’échec de la production nucléaire en France. Revenons sur plusieurs points.
Certains profitent de l’augmentation des prix de l’énergie.
Pendant que les prix augmentent et qu’on invite les particuliers à se serrer la ceinture. Certains producteurs font des bénéfices énormes : 5 milliards pour Engie qui a doublé ses résultats par rapport à l’année dernière par exemple. Pourquoi ? A cause de la construction des coûts. En effet, le prix de l’énergie sur le marché de gros est égal au prix de la centrale qui a les coûts les plus élevés. Concrètement, ça veut dire que les centrales qui ont des coûts de production faibles se gavent en vendant leur énergie à prix d’or.
Des inquiétudes qui ne datent pas d’hier.
Le 19 novembre 2020, Barbara Pompili, déclarait déjà en parlant des coupures d’électricité : « S’il y a de grosses vagues de froid, il peut y en avoir » en mentionnant une France « trop dépendante d’une seule énergie ». Pour autant, l’Etat faisait confiance à EDF pour passer l’hiver sans encombre et Emmanuel Macron déclarait le 3 juin, qu’il n’y avait aucun risque de coupure. Cette confiance absolue dans la capacité de production française n’avait pas anticipé la guerre en Ukraine, certains problèmes de corrosion ou des retards dans l’entretien des centrales nucléaires.
Elisabeth Borne, à l’époque Ministre de la Transition écologique et solidaire, prévenait en avril 2020 : « les impératifs d’entretien des centrales nucléaires qui vont nécessiter des mises à l’arrêt lors des opérations de rechargement de combustibles, par exemple, nous indiquent que nous serons d’autant plus résilients en diversifiant les sources de production. » Parole restée sans effet, et aujourd’hui, résilients, nous ne le sommes pas vraiment.
EDF n’assume pas ses responsabilités.
Rien n’a été fait pour conduire à cette diversification des sources de production. Les Lobbyistes du nucléaire ont bien fait leur travail. J.M Jancovici confiait par exemple en août 2020 sur le nucléaire : « c’est un amortisseur de la décroissance, plus efficace que l’éolien ou le solaire ». Résultats ? 32 centrales nucléaires sur 56 sont aujourd’hui fermées et la France peinera à passer l’hiver sans coupure d’électricité. L’impact prévisionnel sur l’économie est énorme : les grands verriers, Arc International ou Duralex ont déjà annoncé des fermetures d’usines mettant ainsi près de 2000 personnes au chômage partiel.
EDF a sa part de responsabilité à avoir accumulé les difficultés, retards et surcoûts sur l’EPR, technologie sur laquelle les gouvernements qui se sont succédé comptaient pour pallier le vieillissement du parc français et la fermeture de certaines centrales comme Fessenheim. L’échec industriel qu’ils représentent est symbolisé par l’EPR de Flamanville : centrale qu’on nous promet depuis 2012 et qui a vu son coût quadrupler pour atteindre, pour l’instant, 12,7 milliards d’euros.
Face à ces déboires, si encore le parc était resté fonctionnel, mais de 420 TWh de production annuelle dans les années 2000 et jusque 2015 , on est passé à des prévisions autour de 300 TWH en 2022 et 2023. Et en plus EDF, ne voyant pas d’avenir dans le renouvelable, l’a laissé de côté a décidé de faire l’impasse sur les énergies renouvelables. Là où tous ses concurrents producteurs ont fait le pari gagnant de ces énergies, EDF, via sa filière EDF renouvelable, n’a installé que 1,9 GW d’énergie renouvelable entre 2007 et 2021, c’est 9% seulement du volume de production déployé durant la même période. Et comme leur coût ne cesse de baisser, elles deviennent aujourd’hui LA solution écologique et économique. Même Total Energies ne s’y ait pas trompé devenant en peu de temps un grand producteur de renouvelable en France. Au passage, remercions la libéralisation du marché de la production qui a permis à de nombreux autres acteurs d’installer du renouvelable.
Ni EDF ni l’Etat ne sont à la hauteur de l’urgence climatique et énergétique.
L’Etat aussi a pris un retard conséquent sur les énergies renouvelables. L’objectif de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) était de 24,3 GW pour 2023, objectif que nous n’atteindrons pas avec les actuels 20 GW installés. Nous avons également du retard sur nos voisins européens et sommes le seul pays à ne pas avoir atteint nos objectifs européens : 19,1 % de la consommation finale brute contre les 23 % promis.
Ces choix ont rendu la situation énergétique tendue en France. Non, il n’y a pas aucun risque de coupure. Il y en a beaucoup même, en cas de vague de froid. Xavier Piechaczyk, Président du directoire chez RTE, prévient que la France doit réduire d’environ 15 % sa consommation d’électricité en période de pointe si elle veut éviter les coupures de courant cet hiver.
Il faut bien comprendre que cette situation n’est pas si grave, nous avons tous déjà connu des coupures d’électricité. On fera avec. Ce qui l’est plus, c’est de continuer à faire confiance à une énergie qui ne répond à aucune de ses promesses depuis plusieurs années. EDF et l’État ne sont pas à la hauteur de l’urgence climatique et énergétique. Et au final, les consommateurs ou les contribuables paieront une facture énergétique qui ne cesse d’augmenter par pénurie de moyens de production.