Une solution aujourd’hui à un « stade embryonnaire ». Au Forum économique mondial, fin avril, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies n’a pas caché son scepticisme face à ce qui est souvent présenté comme l’une des clés de la décarbonation, à savoir l’hydrogène vert. « Cessons de parler de 10, 20 millions de tonnes », a appuyé le PDG du groupe français, faisant référence au cap fixé par le plan REPowerEU – qui table sur une demande de 20 millions de tonnes d’ici 2030. « Ils ne savent probablement pas de quoi ils parlent » a fustigé Patrick Pouyanné.
L’objectif serait en effet largement surestimé. Une étude du CEA publiée en mars et réalisée à partir des témoignages de 70 industriels européens, évalue que la demande en hydrogène bas carbone ne serait que de que de 2,5 millions de tonnes en 2030 – soit huit fois moins que les prévisions. En 2040, la demande n’atteindrait que 9 millions de tonnes.
Le frein principal : le prix de l’hydrogène vert, aujourd’hui huit fois plus cher que l’hydrogène gris, selon les calculs du PDG de TotalEnergies. A tel point que Geert van Poelvoorde, responsable des opérations européennes d’ArcelorMittal, a annoncé en février vouloir abandonner l’hydrogène vert sur ses sites en Europe - malgré les milliards d’euros de subventions européennes reçues pour opérer la transition -, l’acier vert ne pouvant pas être compétitif sur les marchés internationaux. Selon le média Hydrogen Insight, l’aciériste envisage de troquer l’H2 contre du gaz naturel.
Aux « incertitudes fortes sur la compétitivité de l’hydrogène bas carbone par rapport aux énergies fossiles utilisées actuellement », s’ajoute « un questionnement sur le passage à l’échelle industrielle des équipements nécessaires comme sur la disponibilité de quantités suffisantes d’électricité bas carbone et de l’infrastructure associée », détaille le CEA dans son étude, intitulée Sisyphe. Le centre de recherche note aussi l’instabilité des cadres réglementaires.
Des dynamiques différentes selon les secteurs
L’étude souligne des dynamiques très différentes entre les secteurs. D’après les estimations actuelles, la sidérurgie et le transport aérien seront les plus demandeurs en hydrogène bas carbone entre 2030 et 2040 (voir graphique ci-dessous). Cette demande est portée respectivement par des plans ambitieux de décarbonation et par la réglementation européenne. Dès 2030, le secteur du transport aérien sera contraint d’incorporer de l’e-kérosène, selon les objectifs fixés par ReFuelEU Aviation.
Du côté de la chimie, « les acteurs interrogés soulignent l’absence en l’état de modèle économique viable », explique le CEA.
En ce qui concerne le transport routier, si la technologie hydrogène est mature pour les véhicules légers, la batterie continue à s’imposer sur le marché. « Le passage à l’échelle industrielle du véhicule utilitaire léger à hydrogène pourrait être un levier de la demande d’ici 2030, sous réserve du développement des stations d’avitaillement, le réseau étant aujourd’hui embryonnaire », précise l’étude.
Les poids lourds fonctionnant à l’H2 n’en sont quant à eux, qu’au stade de la démonstration chez les constructeurs en Europe.
Extrait de l’étude "Sisyphe", réalisée par le CEA.