Imaginez : vous rentrez chez vous à 19 heures avec votre voiture électrique que vous branchez sur une prise de courant. Pourtant, le chargement n'est pas immédiat, mais seulement au moment où le prix de l'électricité est au plus bas. Pendant la journée, vos panneaux photovoltaïques ont bien produit de l'électricité, qui a été envoyée sur le réseau pour répondre aux fortes consommations de cette journée d'hiver. Enfin, le chauffage s'est automatiquement arrêté à 18 heures, lorsque le pic de consommation commençait, et se remettra en route de lui-même en début de nuit lorsqu'il sera passé.
Ce scénario pourrait devenir réalité dans quelques années, pour faire face à une situation nouvelle en matière d'électricité : pics de consommation de plus en plus importants, émergence des énergies renouvelables intermittentes, arrivées possibles de véhicules électriques rechargeables... « La transition vers une économie décarbonée signifiera probablement davantage d'électricité consommée », estime Pierre Mallet, d'ERDF. Mais pour que cela ne se traduise pas par une électricité plus « sale » à cause de la mise en route de centrales thermiques polluantes. Il faudra piloter le réseau différemment : c'est le « smart grid », ou réseau intelligent. Son principe : l'équilibre ne se fait plus uniquement en ajustant l'offre à la demande, mais en agissant sur la demande elle-même.
Le réseau intelligent pourra aussi favoriser l'intégration des énergies renouvelables intermittentes. « Actuellement, les tarifs d'achat sont tels qu'il est plus intéressant de revendre toute l'électricité produite au réseau, indique Claude Ricaud, d'ERDF. Mais les subventions ne dureront pas éternellement et, à certains moments, le prix de l'électricité photovoltaïque pourra être moins cher que celui du marché. L'énergie produite localement sera alors soit vendue, soit consommée, soit stockée, selon le prix instantané. » A quoi ressemblera ce « smart grid » ? « Concrètement, pour faire un réseau intelligent, il est nécessaire de réaliser un nouveau câblage à l'intérieur des bâtiments, estime Xavier de Froment, directeur commercial France de Legrand. Il est difficile de faire du délestage intelligent avec le câblage classique, sauf si on se limite au chauffage. On peut également relier les appareils, pour en assurer la gestion, à l'aide de courants porteurs (utilisant les fils électriques standard) ou par radio, mais c'est moins fiable. » Mais qui dit nouveau câblage, dit coût important.
Watteco croit beaucoup aux technologies par courants porteurs pour la gestion énergétique des bâtiments. « Elle rend les appareils communicants, entre eux et avec le compteur », explique Julien Violain, responsable marketing de l'entreprise, qui fabrique notamment des prises affichant la consommation, ainsi que des dispositifs à intégrer dans les appareils électroménagers, pour qu'ils dialoguent avec le compteur. Ces appareils, qui permettront de gérer l'électricité à l'intérieur d'une maison, seront complémentaires du compteur communicant « Linky » d'ERDF (lire encadré p. 50).
En janvier 2010, Watteco a lancé Barowatt, un afficheur de consommation électrique informant en temps réel de la consommation, mais aussi du coût de l'électricité (il prend en compte les tarifs heures pleines-heures creuses). Il suffit de l'installer sur le compteur, d'indiquer la date et les tarifs d'électricité. Mais ce compteur ne précise pas quels postes consomment. « Ce sera pour une seconde étape, au deuxième semestre prochain, lorsque nous mettrons en vente des accessoires supplémentaires pour mettre toutes les données sur une plateforme Web, indique Julien Violain. Les utilisateurs pourront analyser en détail leurs consommations et comprendre leurs comportements. »
Reste qu'un réseau électrique intelligent ne se contente pas d'informer. Il permet aussi d'agir. Ce qui signifie couper automatiquement certains équipements, ou mettre en place des automatismes (baisser les stores à certaines heures, par exemple). C'est l'objectif de l'appel à manifestation d'intérêt lancé par l'Ademe en 2009. Vingt et un projets ont été reçus et sont en cours d'instruction. De son côté, le programme Homes (Habitats et bâtiments optimisés pour la maîtrise de l'énergie et des services), qui rassemble quinze partenaires entre 2008 et 2012, a pour but de « concevoir et réaliser les prototypes des nouvelles solutions de gestion d'énergie ». Cela passe par la mise au point de capteurs, d'architectures, de systèmes pour rendre ces systèmes coopératifs...
Voltalis, déjà présent sur le marché de l'effacement de pointe (cf. p. 48), prévoit d'offrir des services complémentaires, comme le lissage des pics de consommation. « Notre boîtier peut commander les radiateurs l'un après l'autre quand, par exemple, le four fonctionne, pour éviter les pics d'appel de puissance, précise Pierre Bivas. Le consommateur peut alors prendre un abonnement électrique moins cher. Nous l'avons testé, ça fonctionne : 85 % de ceux qui avaient un abonnement à 9 kVA pouvaient l'abaisser à 6 kVA et gagner plus de 50 euros par an. Nous avons aussi mis au point un système de programmation, pilotable sur Internet, bien plus ergonomique que les programmateurs existants, peu utilisés. »