Dans cette tribune Serge Schamschula, de la plateforme de gestion des transports Transporeon, livre son analyse sur la décarbonation des transports. Il propose d’investir sur des leviers tangibles, comme les technologies, et d’éviter de miser sur la compensation carbone.
La Commission européenne a récemment proposé des mesures radicales pour rendre le transport de marchandises plus durable dans l’ensemble de l’UE. Ces mesures, combinées à l’inquiétude croissante face à l’urgence climatique, font de la décarbonation de la logistique une priorité absolue.
Pour mettre en place des mesures dans ce sens, les entreprises doivent avant tout comprendre la quantité de carbone qu’elles émettent, ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Nombre d’entre elles n’ont pas encore adopté de système pouvant mesurer avec précision leurs émissions de première catégorie (provenant de leur propre production) et de deuxième catégorie (provenant de l’énergie achetée), sans parler des émissions indirectes relevant de la troisième catégorie.
La précision des calculs d’émissions dans l’industrie du transport demeure peu fiable. Certaines entreprises tentent de faire leurs propres calculs, tandis que d’autres s’en remettent aux moyennes par défaut du secteur. Il peut en résulter des différences allant jusqu’à 55% pour un chargement complet, même au sein d’une même norme. Cette complexité a créé un engouement pour les solutions "rapides" de décarbonation.
La compensation : une solution pour décarboner la logistique ?
La compensation carbone, qui consiste à investir dans une activité qui compense les émissions de gaz à effet de serre, s’est imposée comme l’une des solutions les plus courantes.
Une multitude d’entreprises offrent aujourd’hui des possibilités de compensation. La plantation d’arbres ou l’achat de zones de forêt pour les protéger de la déforestation figurent parmi les options les plus courantes. Mais planter un arbre qui mettra 20 ans à pousser suffit-il vraiment à compenser les émissions de carbone créées aujourd’hui ? La réponse est non.
En plus d’être facile à mettre en œuvre, la compensation est bon marché. Dans certains cas, cela est inquiétant. Elle est actuellement proposée à un prix de départ de 2 euros par tonne. À titre de comparaison, le coût de l’émission d’une tonne de carbone dans le cadre du système officiel d’échange de quotas d’émission de l’UE, qui permet aux entreprises d’acheter des "permis" pour générer des émissions supérieures à un certain plafond (45 euros par tonne de CO2 dans le cadre du SCEQE-II) a oscillé entre 65 et 105 euros au cours des 12 derniers mois, soit jusqu’à 50 fois plus que la compensation. La compensation des émissions de carbone a sa place pour traiter celles qui sont inévitables, mais il est difficile d’en faire une solution miracle.
Investir dans des leviers tangibles
Les acteurs du secteur ont plutôt intérêt à prendre des mesures de réduction des émissions impactant directement leurs activités et pouvant se concrétiser sur un temps relativement court.
Cela commence par une mesure aussi précise que possible des émissions. Après avoir compris d’où les émissions proviennent, les entreprises peuvent fixer des objectifs de décarbonation à long terme, inscrits dans une stratégie plus large comprenant une liste de mesures prioritaires englobant les émissions de première, deuxième et troisième catégorie, et prendre des mesures correctives selon les résultats.
La digitalisation est ici un levier essentiel. Faciles à déployer et nécessitant souvent peu d’investissement, les outils numériques de suivi, mesure et comparaison des émissions permettent aux entreprises de réduire ces dernières, tout en améliorant le partage des données et en augmentant la visibilité sur le secteur. Armées des bonnes données, les entreprises peuvent réduire le kilométrage à vide, éduquer les conducteurs aux pratiques de conduite durable et combiner intelligemment les modes de transport pour minimiser les émissions.
La décarbonation par la digitalisation n’implique pas nécessairement de passer par des technologies coûteuses. Les entreprises peuvent réaliser des gains significatifs grâce à des changements progressifs qui améliorent l’efficacité opérationnelle.
Pourtant, cette digitalisation ne suffit pas. Aujourd’hui, la clé de la décarbonisation consiste à intégrer ces outils au sein d’un réseau collaboratif. Par exemple, l’industrie peut réduire le kilométrage à vide de manière beaucoup plus efficace si les différents acteurs travaillent ensemble avec une approche “en plateforme” plutôt qu’en silos.
À l’avenir, les technologies de pointe transformeront le secteur des transports et permettront la décarbonation du fret. Il faudra cependant encore des années avant que cela ne soit applicable à grande échelle, et leur mise en œuvre nécessitera d’importants investissements en capital. Une approche sur plusieurs fronts qui combine des gains d’efficacité à court terme, des projets d’énergie renouvelable à long terme et une certaine compensation carbone pour les émissions inévitables est donc à favoriser pour s’engager sur une voie véritablement durable.