Gare aux mirages ! L'Iso 26000 destiné à accompagner les organisations privées et publiques dans leurs politiques de responsabilité sociétale, a été officiellement publiée en novembre 2010. C'est dire qu'il est prématuré de faire de ce faisceau complexe de recommandations et de bonnes pratiques un standard opposable. Surtout, et en dépit des avertissements diffusés - avec plus ou moins de ferveur - par les autorités de normalisation et par les intervenants qui se disputent le marché du conseil, les utilisateurs peinent parfois à entendre que la norme a été davantage conçue comme un guide et qu'elle n'exprime pas d'exigences particulières. « Bref, qu'elle n'est surtout pas destinée à servir de base à une certification », prévient d'emblée Christian Brodhag, directeur de recherche à l'École nationale des mines à Saint-Étienne et représentant gouvernemental pour la France à l'Iso 26000.
L'historique et les modalités de la gestation de cette norme atypique expliquent cette caractéristique... et ce début de confusion. « La grille d'analyse de l'Iso 26000 et son contenu conceptuel ont été les fruits d'un consensus prenant en compte les points de vue parfois très divergents des entreprises, des collectivités, des consommateurs, des gouvernements (99 pays impliqués) et des organisations non gouvernementales (ONG), soit un jeu multiacteur et multifacteur qui est encore en cours d'ajustement et fait l'objet de discussions complémentaires », poursuit Christian Brodhag. Organisée autour de sept piliers (gouvernance, droits de l'homme, relations et conditions de travail, environnement, loyauté des pratiques, questions relatives aux consommateurs et à leurs droits, contribution au développement local), l'Iso 26000 n'a aucune vocation à sanctionner une performance, à valider un système de management sur le modèle de ce qui se pratique, par exemple, dans les domaines de la qualité ou de l'environnement. « C'est davantage une méthode d'appropriation, un guide de bonnes pratiques qui permettent à une organisation d'engager une démarche de long terme, quel que soit le niveau où elle se trouve en matière de prise en compte des différents volets de la responsabilité sociétale », note-t-on à l'Afnor.
En dépit de ce contexte particulier, beaucoup d'entreprises publiques et privées ou de collectivités se livrent à un savant mélange et claironnent sans aucun scrupule leur « conformité », « l'adoption », voire dans le pire des cas, se félicitent d'avoir réussi « leur certification Iso 26000 ». La responsabilité de ces abus, qui risquent à terme de dévoyer l'esprit et compromettre la portée de cette norme, n'est pas uniquement imputable à la communication des entreprises et des collectivités. Les consultants d'Afnor certification, qui délivrent leur verdict à l'issue d'une prestation d'études naturellement rémunérée, sont aussi « coupables » de survendre la pertinence et la finalité des audits qu'ils réalisent. D'autant que le référentiel utilisé, dérivé du fameux Afaq Millénaire fondé sur un questionnement multicritère, propose bien à l'entreprise de se positionner sur une échelle « Iso 26000 », jaugeant la maturité de sa démarche RSE.
D'aucuns prétendent que cette proposition commerciale prête le flanc aux critiques. « Ce n'est pas une démarche inintéressante. Mais cette notation est fondée sur un référentiel guetté par l'obsolescence », prévient Christian Brodhag. Les différentes commissions de normalisation préparent en effet des grilles d'analyse mieux adaptées aux enjeux de l'Iso 26000 et dont la publication pourrait compromettre les investissements Iso 26000 réalisés prématurément par les collectivités et les entreprises.
Olivier Graffin, coordinateur des questions de développement durable à l'Afnor, réfute ces critiques. « Le référentiel 26000 utilisé par les auditeurs d'Afnor certification, qui propose aux organisations auditées une notation sur mille points, effectivement dérivé de l'Afaq Millénaire, est légitime et pertinent. Il permet à ces dernières d'étalonner leur démarche RSE et de l'épauler sur une feuille de route structurée. » Surtout, poursuit-il, « on ne peut pas laisser dire que les évolutions en cours des référentiels risquent de compromettre les investissements RSE réalisés. J'affirme au contraire qu'ils peuvent capitaliser sur cet outil d'évaluation d'un processus s'inscrivant dans le long terme et établi sur un consensus international fondé sur les dix principes du Global Compact ». Certes, il convient de trouver les meilleures correspondances avec la situation française, de mieux intégrer ces évaluations en tenant compte du domaine d'activité des organisations, de la particularité des filières, mais « il n'est pas judicieux de repousser a priori la version Afnor de l'Iso 26000 au motif que les référentiels vont évoluer ».
Chez le fabricant français de bureaux Majencia (environ 103 millions d'euros de CA) très engagé dans une démarche RSE - la société a récemment défrayé la chronique en décidant de relocaliser ses activités de production - on a décidé très tôt de se frotter à la version hexagonale de l'Iso 26000. Et il n'est pas question de le regretter ! « L'Afaq 26000 compte 90 % de points communs avec l'Afaq Millénaire », estime ainsi Gilles Bourboin, le responsable développement durable et RSE de Magencia. « Il permet, à l'issue d'un audit qui a mobilisé deux inspecteurs pendant une semaine complète (coût : 22 500 euros), de dresser un état des lieux précis de la situation RSE dans l'entreprise. » Surtout, l'entreprise - qui a obtenu une note signalant son niveau de maturité -, « peut se projeter à deux ans et vise l'excellence, qui est le dernier degré de l'échelle proposé par le référentiel ». C'est juré, « l'Iso 26000 n'est pas un outil de marketing, même s'il n'est pas interdit de valoriser notre démarche », estime Gilles Bourboin. L'enthousiasme est aussi de mise à la CCI de l'Essonne où l'on vient sans aucun complexe de célébrer la « labellisation » Iso 26000. « C'est important pour notre image et pour la mobilisation de nos 280 collaborateurs. C'est aussi important pour l'exemplarité. Nous souhaitons en effet entraîner nos entreprises ressortissantes vers une démarche d'écoresponsabilité et de développement social et citoyen, indique Gérard Huot, le président de la collectivité consulaire. Tout simplement parce que la reconnaissance de ces efforts constitue un avantage concurrentiel. »