L'alerte est lancée depuis des années, l'hécatombe bien réelle et, pourtant, les décisions politiques ne sont toujours pas à la hauteur de l'enjeu de la disparition des abeilles. Le film tout récent Des abeilles et des hommes montre pourtant les solutions déployées ici ou là pour suppléer l'absence de l'indispensable agent pollinisateur qui assure notre production alimentaire. Ainsi ces camions chargés de coûteuses et fragiles ruches en location qui sillonnent les États-Unis au rythme des floraisons ; ainsi ces Chinois qui polli-nisent à la main chaque fleur. Proprement hallucinant !
C'est dire que la proposition de la Commission européenne, sur avis de l'Agence européenne de sécurité des aliments, de suspendre pendant deux ans l'utilisation du Cruiser, du Gaucho et du Poncho sur certaines cultures, apparaît comme une nouvelle excellente, mais… limitée et bien tardive. Cette inertie est particulièrement soulignée par le rapport accablant « Signaux précoces, leçons tardives » de l'Agence européenne de l'environnement. Il montre, à travers des études de cas bien concrets, que le principe de précaution n'est pas appliqué, même en présence de preuves plausibles de dommages potentiellement graves : « aucune preuve de danger est souvent interprété comme n'étant pas dangereux ». En cause, les groupes de pression et conflits d'intérêts qui poussent à ignorer ou à nier la dangerosité d'un produit malgré des signaux d'alerte. Ce rapport, qui fait suite à une première publication en 2001, passe au crible vingt exemples, dont celui de l'impact des insecticides sur la santé des abeilles, qui a suscité des premières alertes dès 1994. La France est le premier consommateur européen et le quatrième au niveau mondial de pesticides. Mais si l'utilisation du Cruiser sur le colza est interdite depuis l'été 2012, le plan de développement durable de l'apiculture présentée mi-février par le ministre de l'Agriculture n'a toujours pas retenu le principe de l'interdiction totale des néonicotinoïdes mis en cause. Nos responsables politiques nationaux et européens pourraient méditer une des conclusions du rapport européen : « Privilégier le principe de précaution est toujours bénéfique… Les mesures de précaution permettent souvent de stimuler plutôt que d'étouffer l'innovation ».