Baobab, Énorme Alien, la Maison des Babayaga, Anagram, Couleur d'orange, Le Making Hof, Les Z'Ecobatisseurs… Drôles de noms tout droit sortis de l'imagination de collectifs citoyens souhaitant concevoir, parfois construire, et, surtout gérer ensemble leurs logements. Sous de multiples formes, l'habitat groupé participatif connaît une nouvelle jeunesse après les périodes bouillonnantes des années 1950, avec les coopératives d'autoconstruction des Castors, puis 1970 qui virent la naissance du Mouvement de l'habitat groupé autogéré (MHGA).
À ce jour, environ 230 collectifs sont déjà installés ou porteurs d'un projet dans l'Hexagone. Pour ces groupes, la motivation est souvent militante (antispéculation, autogestion, écocons-truction…), mais aussi économique ou tout simplement pra tique : logements échappant à la standardisation, ateliers, chambres d'amis ou encore jardins partagés, achats groupés, machines à laver ou voi tures mutualisées… Sans oublier, l'aspect convivial : « Même si l'état d'esprit des débuts s'est un peu essoufflé, l'aspect le plus réussi de notre aventure reste la vie collective, les enfants passant d'une maison à l'autre… », témoigne, un brin nostalgique, Jean-Pol Lefebvre, habitant de Couleur d'orange, une ancienne usine de Montreuil (93) réhabilitée en 1987.
« Trop longtemps, les alternatives en matière de logement ont été ignorées, méprisées. […] La ville ne peut pas être le produit d'un face-à-face entre élus et promoteurs », déclarait Cécile Duflot dans un discours vidéo diffusé lors des Rencontres de l'habitat participatif de novembre dernier. Sa loi-cadre sur le logement, qui devrait passer en Conseil des ministres cet été, consacrera ainsi un chapitre à cette « troisième voie » qu'elle souhaite ne pas négliger.
L'ancienne chef de file des Verts a donc logiquement choisi d'organiser quatre ateliers… participatifs, rassemblant associations, collectivités, experts et chercheurs. « Un processus intelligent, qui porte nos valeurs », apprécie Henri Morinière, aussi résident de Couleur d'orange et vice-président d'Écohabitat groupé, association née sur les cendres du MHGA. Ces travaux et ceux qui suivront devraient permettre, comme le révèle un document préparatoire du ministère que la rédaction s'est procuré, « l'adaptation des aides publiques au secteur de l'habitat participatif » et lever de nombreux autres obstacles juridiques et financiers (statuts, fiscalité, garantie financière d'achèvement…). « La ministre arrive sur un terrain déjà préparé. Très éparpillée, la sphère de l'habitat participatif se structure depuis 2009 par acteurs : associations d'habitants, de professionnels de l'accompagnement et de collectivités », précise François Desrues, vice-président de l'association Écoquartier Strasbourg.
Encadrement législatif, structuration nationale, implication des professionnels, on est loin de l'autogestion des années 1970 ! Davantage encadré, l'habitat participatif saura-t-il prendre cette fois son essor en s'ouvrant à un public plus large, comme en Suisse, en Allemagne, en Italie ou au Canada ? Comment les collectivités locales peuvent-elles prêter mainforte aux groupes d'habitants tout en intégrant la démarche à leurs politiques publiques ? Les « historiques » du mouvement les voient-ils investir leur pré carré d'un bon œil ? « Les groupes peuvent bien sûr se faire aider, mais doivent rester les patrons », estime Jean-Pol Lefebvre. « La vigilance est nécessaire, mais il n'y a pas de craintes à avoir. Les habitants ont intérêt à trouver auprès d'eux des acteurs professionnels sensibilisés à leur démarche », répond plus diplomatiquement Henri Morinière, son voisin de Couleur d'orange. Reste que collectivités, aménageurs et acteurs du logement social sont de plus en plus sollicités par des groupes d'habitants souvent à la recherche de foncier, et ne savent pas toujours comment répondre. Pour capitaliser les expériences, mutualiser les études, etc., les collectivités pionnières de l'habitat participatif ont créé, en 2010, leur réseau national qui rassemble aujourd'hui une quarantaine de membres.
Elles entendent, selon leur charte, « privilégier les démarches citoyennes incarnant une utilité sociale et recoupant » leurs ambitions et leurs valeurs. À savoir : mixité sociale, mutualisation des ressources, ouverture sur le quartier et, bien sûr, qualité environnementale.
Selon le Livre blanc de l'habitat participatif, les collectivités ont même là un « laboratoire d'expérimentation écologique » à portée de main. Les projets rivalisent en effet d'imagination, du côté de l'écoconstrution (bâtiments passifs, modularité, paille, terre crue…), comme de la vie quotidienne (Amap ouverte au quartier, compostage collectif…).
Les villes les plus engagées actionnent plusieurs leviers pour faciliter la concrétisation des projets. Les appels à projets, notamment expérimentés par Strasbourg, Lille ou Toulouse, constituent une arme plutôt efficace, mais à condition d'avoir préparé le
terrain. Les agglomérations de Grenoble, Lyon, Toulouse, Paris, Strasbourg, Lille ou encore Vitry-sur-Seine (94) ont inscrit l'habitat participatif comme une piste alternative à promouvoir dans leur plan local de l'habitat (PLH). « Le droit à l'expérimentation est donc reconnu, c'est un pas certain vers la mise en place opérationnelle de tels projets. Il serait également envisageable de s'appuyer sur les autres outils de planification », relève ainsi le Livre blanc. « Notre Agenda 21 local et notre projet d'aménagement et de développement durable (PADD) intègrent les enjeux de l'habitat participatif. Cela se traduira concrètement dans les opérations d'aménagement des Hauts de Montreuil, et notamment celles de la Zac Boissière-Acacia dont presque 10 % des lots seront réservés à l'habitat participatif. Un appel à projets est prévu », explique Daniel Mosmant, adjoint à la maire de Montreuil délégué au logement, et président de l'Office public de l'habitat de la ville.
L'habitat participatif reste peu connu du grand public et notamment des populations les moins favorisées, premières victimes pourtant de la crise du logement. « Les villes devraient davantage communiquer auprès de leurs élus, dans les revues locales et les conseils de quartier, organiser des forums, des visites en Allemagne ... Il y a encore de nombreuses actions à mener avant que le citoyen n'ose s'aventurer dans de telles dé marches et arrête de considérer le logement comme un objet de consommation », encourage Dominique Boisbeau, assistante à maîtrise d'ouvrage du projet strasbourgeois Making Hof. « Les villes peuvent adapter le prix du foncier et inciter les acteurs du logement social à s'engager dans des projets mixtes », enjoint Stefan Singer, gérant de la structure d'accompagnement Toits de choix et membre fondateur du Réseau national des acteurs professionnels de l'habitat participatif.
C'est ce qu'a fait la capitale alsacienne dans ses deux appels à projets. Sa deuxième consultation pour l'autopromotion, lancée en 2011 sur sept petits terrains, prévoit ainsi « la possibilité de présenter un projet intégrant une offre de logements locatifs sociaux en partenariat avec un bailleur », ainsi qu'une grille environnementale à points conditionnant un abattement sur le prix du terrain. Comme à Montreuil, un lot sur dix du futur éco-quartier Danube sera réservé à l'autopromotion. La ville impose, par ailleurs, le recours à une assistance à maître d'ouvrage (AMO) qu'elle finance pour moitié jusqu'à 3 000 euros. « Nous souhaitons fournir les bons outils aux groupes motivés et élargir le spectre des personnes intéressées. On ne s'improvise pas autopromoteur », explique Alain Jund, adjoint à l'urbanisme. Au Grand Toulouse, qui souhaite que son appel à projets apporte « une touche d'habitat participatif » à ses écoquartiers, on réfléchit encore à un financement de l'AMO de l'ordre de 10 000 euros par opération. « L'habitat participatif doit créer de la mixité sociale. C'est l'apport majeur des collectivités. Nous réduisons donc le prix du foncier pour les projets intégrant cette question. Nous demandons en plus un minimum de qualité environnementale, mais sans être trop intrusif, en privilégiant le dia logue », glisse Stéphane Carassou, adjoint en charge de l'habitat et de la cohésion sociale. Pour son projet pilote, le Grand Portail dans l'écoquartier Hoche de Nanterre (92), l'Établissement public d'aménagement de la Défense Seine Arche (Epadesa) a ciblé le parc social. « Nous avons fixé l'éligibilité au prêt locatif social (PLS) comme critère de revenu », précise Céline Crestin, directrice du projet Ecoquartier Hoche. Collectivités et aménageurs imposent donc leurs conditions et, comme à Lille et dans de nombreuses villes, impliquent les offices HLM.
La capitale des Flandres a organisé des ateliers de sensibilisation pour les professionnels et les particuliers avant sa consultation. Malgré tout, les résultats n'ont pas été aussi fructueux qu'espérés. Seuls deux projets ont été définitivement sélectionnés dans le quartier des Bois-Blancs. Leur maîtrise d'ouvrage est conjointement assurée par le collectif citoyen et un bailleur (Partenord et Lille Métropole Habitat). « Le montage est plus sécurisant avec des professionnels. Nous ne finançons pas d' AMO, mais sommes très présents auprès des groupes et avons gardé une enveloppe financière pour organiser des ateliers particuliers en fonction de leurs besoins », explique Sylvie Leleu, chargée de mission habitat social. Il est vrai, qu'en attendant les réformes promises par le ministère, notamment sur le statut des coopératives d'habitants, l'adossement des projets à un opérateur social reste la solution la moins complexe. « Il faut cependant sans arrêt ruser pour contourner les difficultés, reprend Sylvie Leleu. Le bailleur est par exemple contraint de financer les espaces mutualisés sur ses fonds propres, n'étant pas autorisé à répartir les charges correspondantes entre les différents utilisateurs. » La Fédération nationale des sociétés coopératives d'HLM a d'ailleurs édité en 2011, avec le concours de l'Union sociale pour l'habitat, le guide Accompagner les projets d'habitat participatif et coopératif.
Les villes se tournent naturellement vers les opérateurs du logement HLM, privilégiant finalement une vision plus sociale de l'habitat groupé consistant à faire émerger des projets accessibles aux populations les plus fragiles. Elles restent cependant à l'écoute des groupes d'autopromoteurs plus indépendants et plus compétents, généralement issus des catégories socioprofessionnelles supérieures. « Le développement de l'habitat participatif doit profiter aux plus modestes. Il est essentiel de faire évoluer à grande échelle la production de l'habitat, surtout en accession sociale », conclut Stéphane Gruet, architecte et philosophe, fondateur de l'agence toulousaine de recherche et d'action Aera. Au bénéfice des habitants, mais aussi des bailleurs qui trouvent là l'occasion de renouveler leurs modes de production et d'instaurer une nouvelle forme de coopération avec leurs locataires.