Cette semaine, Sonia Fasolo, gérante de l’équipe ISR à la Finance de l’Echiquier, revient sur les liens entre climat et inégalités sociales. "L’OCDE estime que 30% des emplois dans le gaz, le charbon et la production d’électricité de source fossile sont à risque, d’ici 2030, en cas de politiques climatiques ambitieuses", rappelle-t-elle.
Quel rapport entre un oignon, la pluie et la paix ? A priori aucun. Si les effets du changement climatique sont visibles dans notre quotidien, ses conséquences sociales le sont moins… ou presque ! La flambée du prix des oignons en Inde – plus 500% depuis le début de l’année ! – qui a fait la une du Financial Times, illustre bien la mécanique des réactions en chaîne.
Oignons, climat et inégalités
Sécheresse et pluies torrentielles en Inde sont à l’origine de la mauvaise qualité des deux dernières récoltes d’oignons. Ce qui a propulsé les prix à des niveaux rendant quasi-inaccessible cette denrée de base de la cuisine indienne. Pour une population qui consacre déjà la moitié de son revenu à l’alimentation1, cette flambée génère le mécontentement… terreau fertile à l’instabilité géopolitique et aux conflits.
Le changement climatique exacerbe les inégalités, tant et si bien que l’une des cibles de l’Objectif de Développement Durable (ODD) n°1 (pas de pauvreté) est la nécessité de « renforcer la résilience des pauvres et des personnes en situation vulnérable et réduire leur exposition aux phénomènes climatiques extrêmes » d’ici 2030. Sans parler du risque de migrations climatiques, qui, bien que difficiles à estimer, toucheront des dizaines de millions de personnes chaque année. Dans un rapport publié par les services de Javier Solana en 2008, la Commission européenne tirait déjà la sonnette d’alarme sur l’effet « multiplicateur de menace » du dérèglement climatique. Nous y sommes.
Réconcilier l’environnement et le social
La survenance de risques physiques associés aux phénomènes climatiques extrêmes peut entraîner une baisse de productivité de certains secteurs, par manque et/ou inflation de matières premières agricoles. Avec la mondialisation des chaînes d’approvisionnement, il est de plus en plus difficile d’avoir une idée précise de la localisation des fournisseurs des entreprises dans lesquelles nous investissons. Une bonne partie du travail d’analyse des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) est consacrée à la compréhension des risques qui peuvent se cacher dans les chaînes d’approvisionnement.
Souvent négligées, les conséquences sociales du changement climatique s’ajoutent aux autres bonnes raisons de s’inscrire dans une trajectoire de limitation du réchauffement climatique inférieure à 2 degrés, un objectif sur lequel nous avons pris un retard inquiétant.
Mais parfois, les remèdes ont des effets secondaires sociaux non négligeables… La transition écologique a un coût social – en France, les Gilets jaunes ne nous contrediront pas. A l’échelle "microéconomique", elle fait planer une menace sur l’emploi dans les secteurs exposés à un risque de transition élevé, comme l’automobile ou la production d’énergie… à titre d’exemple, Audi, filiale de Volkswagen, annonçait fin novembre la suppression de 9.500 emplois pour investir dans l’électrification de sa gamme. L’OCDE estime que 30% des emplois dans le gaz, le charbon et la production d’électricité de source fossile sont à risque, d’ici 2030, en cas de politiques climatiques ambitieuses. Les considérations sociales ne doivent pas freiner la transition vers une économie bas carbone, car l’économie verte créera de nombreux emplois… encore faut-il que la mobilité professionnelle se généralise.
L’investisseur responsable, parce qu’il raisonne à 360 degrés sur l’écosystème qui entoure l’entreprise – les parties prenantes – tente de prendre en considération l’ensemble de ces réactions en chaîne… Conscient que pour maximiser ses probabilités de succès, la transition écologique devra être juste.
1 : à titre d’exemple, la part des dépenses de consommation de produits agricoles et agroalimentaires est de 15% en France (ministère de l’Agriculture, 2017)
Sonia Fasolo, gérante de l’équipe ISR à La Financière de l’Echiquier